Les règlements et agissements de l’UEFA et de la FIFA face au projet de « Superligue » sont-ils en adéquation avec la réglementation européenne ? C’est à cette question préjudicielle, transmise par le tribunal de commerce n°17 de Madrid, que la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) répondit par un arrêt en date du 21 décembre 2023.
Pour rappel, le 18 avril 2021, l’annonce du projet de Superligue avait suscité des réactions très négatives des supporters, des diverses instances du football, ainsi que du monde sportif et politique. Les critiques ont surtout cherché à démontrer que le projet risquait d’accentuer la financiarisation du football. Le projet de Superligue a été perçu comme une compétition s’inscrivant principalement dans une logique pécuniaire puisque chacun des clubs membres pourrait prétendre à un versement annuel de près de 350 millions d’euros.
La réaction la plus ferme a naturellement été celle de l’UEFA et de la FIFA qui ont brandi la menace suivante : « Les clubs concernés se verront interdire la participation dans toute autre compétition au niveau national, européen ou mondial, et leurs joueurs pourraient se voir refuser la possibilité de représenter leurs équipes nationales ».
L’UEFA a, ainsi, décidé de sanctionner les clubs participant à ce projet notamment en leur infligeant une retenue de 5 % de leurs revenus liés aux compétitions européennes et les avait condamnés à faire un don de 15 millions d’euros en faveur du développement du football auprès des jeunes en Europe.
Le 20 avril 2021, le tribunal de commerce n°17 de Madrid, saisi par des clubs à l’origine du projet, a toutefois interdit à l’UEFA et à la FIFA de prononcer toute sanction à l’encontre des clubs à l’origine du projet de Superligue.
Le 30 juillet 2021, ce même tribunal a été saisi de la même question concernant les 3 derniers clubs (FC Barcelone, Real Madrid et Juventus Turin) toujours engagés dans le projet. Le Juzgado de lo Mercantil de Madrid a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE la question préjudicielle précédemment citée.
Aussi convient-il d’aborder :
- La caractérisation de l’abus de position dominante de l’UEFA et de la FIFA (A.),
- La potentielle inapplicabilité de l’exemption prévue par l’article 101 § 3 TFUE (B.),
- Les précisions à apporter par l’UEFA et la FIFA en matière d’exploitation des droits médias (C.),
- L’atteinte à la libre prestation de services (D.),
- Les éventuelles conséquences de cet arrêt (E.).
A. Sur la caractérisation de l’abus de position dominante de l’UEFA et de la FIFA
Dans le cadre de cet Arrêt, la CJUE rappelle, tout d’abord, l’interprétation de l’abus de position dominante au sens de l’article 102 du TFUE :
« L’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que constitue un abus de position dominante le fait, pour des associations qui sont responsables du football aux niveau mondial et européen, et qui exercent en parallèle différentes activités économiques liées à l’organisation de compétitions, d’avoir adopté et de mettre en œuvre des règles subordonnant à leur autorisation préalable la création, sur le territoire de l’Union, d’une nouvelle compétition de football interclubs par une entreprise tierce, et contrôlant la participation des clubs de football professionnel et des joueurs à une telle compétition, sous peine de sanctions, sans que ces différents pouvoirs soient encadrés par des critères matériels ainsi que par des modalités procédurales propres à en assurer le caractère transparent, objectif, non discriminatoire et proportionné »
Conformément aux dispositions de l’article 102 du TFUE, la création d’une telle autorisation préalable n’est, donc, envisageable qu’en présence d’un encadrement par des critères matériels ainsi que par des modalités procédurales propres à en assurer le caractère :
- Transparent,
- Objectif,
- Non discriminatoire,
- Proportionné.
Or, en l’espèce, la Cour constate que les articles 22 e), 71,72 et 73 des statuts de la FIFA ainsi que les articles 49 et 51 des statuts de l’UEFA n’assurent pas un tel encadrement dans la mesure où elles « ne sont pas assorties de limites, d’obligations et d’un contrôle propres à exclure le risque d’exploitation abusive d’une position dominante, et […] ne sont pas encadrées par des critères matériels et par des modalités procédurales propres à garantir leur caractère transparent, objectif, précis et non discriminatoire, alors même qu’elles confèrent à l’entité qui est appelée à les mettre en œuvre le pouvoir d’empêcher toute entreprise concurrente d’accéder au marché »
Ce faisant, l’abus de position dominante est caractérisé en l’espèce.
- Sur le non-respect, par l’UEFA et la FIFA, des règles applicables au droit de la concurrence en matière d’entente
Pour rappel, l’entente est définie à l’article 101§1 du TFUE qui déclare incompatibles avec le marché intérieur et interdit tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.
En l’espèce, la Cour estime que le manque d’encadrement ci-avant rappelé est donc constitutif d’une restriction abusive de la concurrence.
Pour ce faire, la CJUE énumère et écarte toutes les justifications possibles aux agissements irréguliers de l’UEFA et de la FIFA :
- Des comportements spécifiques ne relevant pas des articles 101 § 1 et 102 du TFUE
La CJUE rappelle que toute atteinte aux dispositions des articles 101 et 102 du TFUE doivent nécessairement remplir les conditions cumulatives suivantes :
- La poursuite d’un ou de plusieurs objectifs légitimes d’intérêt général dénués de caractère anticoncurrentiel,
- Les moyens concrets auxquels il est recouru pour poursuivre ces objectifs sont véritablement nécessaires à cette fin,
- Même s’il s’avère que ces moyens ont pour effet inhérent de restreindre ou de fausser la concurrence, cela ne doit pas aller au-delà du nécessaire, en particulier en éliminant toute concurrence. (Cf. notamment arrêt « Wouters e.a. », C‑309/99, du 19 février 2002 et arrêt « Meca-Medina et Majcen/Commission » C‑519/04 P du 18 juillet 2006)
En l’espèce, la CJUE a, ainsi, considéré que les autorisations et sanctions de l’UEFA et de la FIFA ont pour effet certain de restreindre, voire d’éliminer toute concurrence dans la mesure où les équipes et les joueurs se trouvent dans l’impossibilité de participer à d’autre compétitions que celles de l’UEFA et de la FIFA.
Ce faisant, les conditions cumulatives susvisées n’étaient pas réunies, l’UEFA et la FIFA ne sauraient s’y fonder afin de justifier les restrictions concurrentielles établies.
B. La potentielle inapplicabilité de l’exemption prévue par l’article 101 § 3 TFUE
En vertu de l’article 101 § 3 du TFUE, certains accords restrictifs peuvent générer des avantages économiques objectifs qui contrebalancent les effets négatifs de la restriction de concurrence et exempte, dès lors, ces accords de ces interdictions.
Quatre conditions cumulatives sont, néanmoins, nécessaires, à savoir :
- Ces accords ou pratiques doivent contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits ou promouvoir le progrès technique ou économique,
- Les consommateurs doivent recevoir une partie équitable du profit qui en résulte,
- Les restrictions doivent être indispensables à l’atteinte de ces objectifs,
- L’accord ne doit pas donner aux parties la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause.
En l’espèce, si la CJUE n’écarte pas totalement cette exemption, elle laisse le choix à la juridiction de renvoi d’apprécier ces différentes conditions.
La CJUE affirme ainsi que « la position dominante, voire monopolistique, qui, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, est détenue par ces deux entités sur le marché concerné, il doit être considéré que lesdites règles donnent auxdites entités la possibilité d’empêcher toute concurrence sur ce marché ».
En sus des doutes soulevées quant à la dernière condition, la CJUE soulève également des doutes quant à la seconde selon laquelle les consommateurs doivent recevoir une partie équitable du profit qui en résulte.
En effet, le consommateur, à savoir les joueurs et plus largement les spectateurs et téléspectateurs, peuvent être lésés dans la mesure où la multiplication des compétitions signifie une augmentation des efforts à fournir pour les joueurs mais aussi et surtout une augmentation de l’offre, et donc du coût, pour les spectateurs, que ce soit pour se rendre aux stades ou pour accéder aux diffusions télévisuelles des rencontres.
Les conditions prévues à l’article 101 §3 ne semblent, dès lors, pas réunies en l’espèce.
Ce faisant, les règlements de l’UEFA et de la FIFA ne sont pas conformes aux règles concurrentielles édictées par les articles 101 et 102 du TFUE.
C. Les précisions à apporter par l’UEFA et la FIFA en matière d’exploitation des droits médias
La CJUE s’intéresse, par ailleurs, à la question des droits liés aux compétitions sportives et notamment les droits médias.
La CJUE ne remet pas en cause la propriété des droits pouvant naître des compétitions organisées par la FIFA et l’UEFA sur les territoires de l’Union.
En effet, les articles 101 et 102 du TFUE « ne s’opposent pas à des règles édictées par des associations responsables du football aux niveaux mondial et européen […], en ce que celles-ci désignent ces associations comme étant les détentrices originelles de tous les droits pouvant naître des compétitions relevant de leur « juridiction ».
La Cour relève, néanmoins, que les règles de l’UEFA et de la FIFA relatives à l’exploitation des droits médias sont de nature à porter préjudice aux clubs européens de football, à l’ensemble des entreprises opérant sur les marchés des médias et, finalement, aux consommateurs et aux téléspectateurs, ce en les empêchant de profiter de nouvelles compétitions potentiellement innovantes ou intéressantes.
Les articles 101 et 102 du TFUE « s’opposent à de telles règles en ce que celles-ci attribuent à ces mêmes associations un pouvoir exclusif en matière de commercialisation des droits en cause » à moins qu’il soit démontré une exemption conforme aux dispositions des articles 101 et 102 du TFUE, telle qu’une nouvelle redistribution solidaire des revenus générés par ces droits.
En présence d’une telle redistribution, le tribunal de commerce de Madrid pourrait ainsi considérer que l’exploitation des droits médias par l’UEFA et la FIFA serait bien conforme aux dispositions susvisées.
D. Sur l’atteinte à la libre prestation de service
En vertu de l’article 56 TFUE :
« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation ».
Toute restriction à cette libre prestation de service doit, ainsi, remplir les critères ci-avant rappelés.
Or, en l’espèce, la CJUE a considéré que les règles UEFA et FIFA de restriction à la libre prestation de services « sont de nature non pas simplement à gêner ou à rendre moins attrayantes les différentes activités économiques concernées, mais bien à les empêcher, en limitant l’accès de tout nouvel arrivant à celles-ci ».
Les dispositions prévoyant une autorisation au sein des règlements UEFA et FIFA constituent, dès lors, un manquement aux dispositions du TFUE en matière de libre prestation de services.
E. Les éventuelles conséquences de cet arrêt
Au regard de l’ensemble des éléments ci-avant exposés, il convient de préciser que si la CJUE soulève les atteintes, par les règlements UEFA et FIFA, à plusieurs dispositions du TFUE, elle n’apporte pas, pour autant, un blanc-seing au Projet de Superligue.
La CJUE rappelle, en effet, que l’ensemble des manquements ci-avant mentionnés soulève un problème d’encadrement et de contrôle fondée sur des critères objectifs propres à assurer le caractère transparent, objectif, non discriminatoire et proportionné.
Aussi, en théorie, en présence de règles d’autorisations préalables remplissant ces critères, aucun manquement ne saurait être reproché à l’UEFA ainsi qu’à la FIFA.
En pratique et en conclusion, si lesdites instances ont déjà apporté certaines modifications et que de nombreuses autres sont nécessairement attendues, il est néanmoins permis de s’interroger sur la compatibilité structurelle de leur modèle économique avec les dispositions applicables du droit de l’Union européenne ouvrant ainsi, nécessairement, la voie à de potentiels nouveaux acteurs.
Maître Laurent Fellous & Tristan Mauduit