Ancien joueur de la sélection péruvienne de rugby et récent champion du monde de rugby à XV des avocats avec l’équipe du barreau de Paris – le Rugby Club du Palais, avocat spécialisé en droit du sport et des sociétés, fondateur du cabinet Winter-Dávila & Associés, président de la Commission de justice de la Fédération péruvienne de rugby, arbitre au sein de la Chambre de conciliation et de résolution des litiges de la Fédération péruvienne de football, Me Miguel Angel Dávila a récemment ajouté une nouvelle fonction à cette liste déjà bien remplie : arbitre au TAS. Avec l’aide de son expertise, Jurisportiva revient sur le rôle de cette fonction et du Tribunal Arbitral du Sport.
Tout d’abord, quelles sont selon vous les spécificités de l’arbitrage sportif par rapport à l’arbitrage « classique » ? Le monde du sport a-t-il plus recours à l’arbitrage qu’ailleurs ?
Pour commencer, je voudrais vous remercier pour cet entretien.
Concernant votre première question, il me semble – bien que cela ne soit pas exclusif à l’arbitrage sportif – que les principales caractéristiques sont : l’arbitrage forcé, cela veut dire que dans de nombreux sports, les parties sont obligées de s’adresser à une chambre d’arbitrage parce que les statuts de leur fédération le prévoient ; les listes fermées d’arbitres, c’est-à-dire que dans presque toutes les chambres d’arbitrage sportif du monde, si ce n’est toutes, les parties ne peuvent choisir qu’à partir d’une liste d’arbitres; la représentativité des parties figurant sur les listes d’arbitres, qui se résument généralement à des arbitres choisis par les organismes sportifs, par les athlètes et par les clubs ou équipes sportives; et la rapidité avec laquelle sont traités certains dossiers.
En ce qui concerne l’autre question, je ne dispose pas de données exactes, mais si l’on tient compte du nombre de chambres internationales d’arbitrage commercial qui existent dans le monde, il me semble que l’arbitrage « classique » est beaucoup plus fréquent que l’arbitrage sportif.
Comment devient-on arbitre du TAS ?
Pour devenir arbitre du TAS, il faut être nommé par la commission de nomination des membres du TAS du Conseil International de l’Arbitrage en matière de Sport (CIAS).
En résumé, la commission reçoit des propositions du Comité Olympique International (CIO), des Fédérations Internationales (FI), des Comités Nationaux Olympiques (CNO) et des commissions des athlètes de ces entités. Il faut souligner que la FIFA est la fédération internationale qui propose le plus grand nombre d’arbitres, lié au fait que le football est le sport qui représente la majorité des dossiers du TAS.
Pour faire partie des arbitres proposés à la commission, il est nécessaire de remplir trois conditions : avoir une formation juridique, être un expert en droit du sport et/ou en arbitrage international, parler minimum une des trois langues officielles du TAS (Espagnol, Français ou Anglais).
Comment et quand peut-on saisir le TAS ?
En matière d’arbitrage, il existe 4 manières de saisir le Tribunal Arbitral du Sport.
La première est à travers un arbitrage classique devant la Chambre d’arbitrage ordinaire. Pour cela, les parties doivent avoir prévu la soumission au TAS en cas de litige, soit via une clause arbitrale dans un contrat, soit avec un règlement, soit grâce à une convention d’arbitrage ultérieure. Evidemment, le cas et les parties doivent avoir un lien avec le sport.
La deuxième est devant la Chambre arbitrale d’appel par le biais d’un appel à une décision rendue par une fédération, une association ou un autre organisme sportif, dans la mesure où les statuts ou règlements de ces organismes prévoient l’appel devant le TAS. Il faut également noter que la majorité des appels le sont pour des décisions émanant de la FIFA.
La troisième se fait avec la Chambre anti-dopage qui peut fonctionner comme la première instance d’un organisme sportif ou comme une instance unique.
Enfin, par la voie de la Chambre Ad Hoc qui est mise en place de manière extraordinaire lors d’événements sportifs majeurs tels que la Coupe du monde ou les Jeux olympiques.
Comment se voit-on nommer arbitre sur une affaire ?
En général, les arbitres sont choisis par les parties à partir de la liste fermée que j’ai déjà mentionnée, qu’il s’agisse d’un tribunal – avec trois arbitres – ou d’un arbitre unique. Dans le cas d’un tribunal, les deux premiers arbitres choisis par les parties désignent le président du tribunal, qui devient le troisième arbitre.
Dans les cas suivants : (i) si les parties ne s’accordent pas sur le choix d’un arbitre unique, (ii) si l’une des parties ne nomme pas l’arbitre qui doit compléter le tribunal ou (iii) si les arbitres nommés ne s’accordent pas sur la personne qui présidera le tribunal ; dans tous ces cas, le président de la chambre respective nommera l’arbitre manquant.
Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement du Conseil International de l’Arbitrage en matière de Sport (CIAS), organe suprême du TAS ? Quel est son rôle ? Qui le compose ?
En quelques mots, le CIAS fonctionne comme un conseil d’administration du TAS. Il est composé de 22 membres élus par le CIO, les Fédérations Internationales, l’Association des Fédérations Internationales olympiques d’été (ASOIF), l’Association des Fédérations Internationales olympiques d’hiver (AIOWF), l’Association des Comités Nationaux Olympiques (ACNO) et enfin les membres nommés par ces organismes sportifs élisent les membres restants du CIAS.
Ses compétences comprennent la modification des règlements du TAS, la nomination des présidents de chaque chambre, la nomination du directeur général, l’approbation des états financiers du Tribunal, la capacité de créer d’autres structures, la nomination des commissions du CIAS (la commission de nomination des membres du TAS, la commission des athlètes et la Commission de récusation). A travers ces commissions, il nomme les arbitres et les médiateurs et il connaît les procédures de récusation ou de révocation des arbitres.
Vous avez réalisé un travail de recherche sur l’accessibilité du TAS pour les parties originaires des continents hors Europe et Amérique du Nord, notamment d’Amérique du Sud, les langues de travail du TAS étant le Français et l’Anglais. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela peut-il représenter un frein pour un athlète sud-américain ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’expliquer le contexte, car le travail de recherche a commencé en 2019 et s’est terminé au début de la pandémie (2020).
À cette époque, – qui semble déjà lointaine – les audiences virtuelles n’étaient pas encore très développées, ce qui signifiait que les Sud-Américains devaient prendre à leur charge tous les frais de déplacement (billets d’avion, hôtel, etc) et les honoraires d’avocats européens. De plus, l’espagnol n’étant pas encore une langue officielle du TAS, des traducteurs devaient être ajoutés aux coûts susmentionnés.
De ce fait, les Sud-Américains étaient incontestablement désavantagés par rapport à leurs homologues européens ou nord-américains. Cependant, à la suite de la pandémie, les audiences virtuelles se sont énormément développées, ce qui, avec l’incorporation de l’espagnol comme langue officielle du TAS, a réduit les obstacles qui existaient auparavant.
Quel est selon vous l’importance des bureaux décentralisés et des chambres ad-hoc présentes lors des grands événements pour rendre le TAS plus accessible ?
Si la procédure est désormais virtuelle le plus souvent, les bureaux décentralisés restent importants pour accroître l’accessibilité au tribunal car, comme vous pouvez l’imaginer, toutes les audiences ne peuvent pas être menées à distance.
En ce qui concerne les chambres ad-hoc pendant les grands évènements sportifs, elles sont essentielles car elles permettent de poursuivre la compétition avec un traitement en accéléré des litiges et contestations.
Certains considèrent que le sport s’est judiciarisé ces dernières années, avec un recours à l’arbitrage et aux diverses juridictions de plus en plus fréquent. Dans ce contexte, pensez-vous que le TAS puisse jouer un rôle de plus en plus important dans les années à venir ?
Je suis d’accord avec ceux qui pensent que le sport s’est judiciarisé, mais je crois que c’est une cause directe de la professionnalisation du sport en général.
Je veux dire par là que ces dernières années, il y a eu une augmentation des spécialisations directement liées au sport dans de nombreux secteurs (droit du sport, marketing sportif, journalisme sportif, etc.). Cela est dû au fait que l’industrie du sport ne cesse de croître au fil des ans.
En ce sens, l’augmentation du nombre de personnes et de moyens financiers impliqués et, par conséquent, du nombre d’affaires juridiques liées à l’industrie du sport, est une cause naturelle de cette judiciarisation.
C’est pourquoi, il me semble inévitable que le TAS en tant que tribunal continue à croître lors de ces prochaines années, tant en nombre d’arbitres qu’en nombre d’affaires.
Jurisportiva remercie Me Miguel Angel Dávila pour sa disponibilité pour cet entretien et sa contribution pour présenter en détail le rôle et le fonctionnement du TAS.