Le 25 janvier 2024, le monde du football a appris avec stupéfaction la demande de la Fédération Ivoirienne de Football (FIF) auprès de son homologue française (FFF).
Cette demande tendait à obtenir le prêt ou la mise à disposition du sélectionneur de l’équipe de France féminine, Hervé Renard, afin qu’il dirige la sélection des éléphants (sélection nationale ivoirienne) pour ses matchs restants dans la Coupe d’Afrique des Nations 2023 (CAN 2023 qui se déroule du 13 janvier au 11 février 2024 en République de Côte d’Ivoire)[1] .
Rappelons que dans cette compétition, la Cote d’Ivoire a fini troisième du groupe A avec 1 victoire et 2 défaites. Elle a été qualifiée pour les huitièmes de finales grâce à sa classification de meilleure troisième de tous les groupes. Face à cette désillusion, la FIF a décidé de limoger son sélectionneur Jean-Louis Gasset et son adjoint le 24 janvier 2024 pour résultats insuffisants[2].
Au-delà du caractère insolite et inédit de cette demande de la FIF, il parait opportun de réfléchir sur les nombreuses questions qu’elle soulève. Entre autres interrogations, peut-on remplacer un sélectionneur dans une compétition ayant déjà démarré ? La réponse à cette question passera d’abord par l’analyse de l’opération de prêt ou de mise d’un sélectionneur à la disposition d’une autre association nationale (fédération).
Pour cette réflexion, nous nous limiterons au football et aux phases finales de compétitions de type coupe ou championnat entre sélections nationales. Géographiquement, nous nous appuierons sur les normes étatiques et sportives de la France et les normes sportives transnationales de la FIFA, UEFA et CAF[3].
I – Le « prêt » ou la « mise à disposition » de sélectionneur entre deux associations nationales
Le sélectionneur national bénéficie d’un contrat de travail avec une association nationale (fédération). En droit commun, il est possible de mettre un salarié (donc un sélectionneur) à la disposition d’une autre entreprise durant une période pour diverses raisons.
Nous analyserons cette opération sous l’angle des normes sportives transnationales et des normes nationales.
1.1 – Au niveau des normes sportives transnationales
L’emploi d’un sélectionneur (un entraîneur) est régi par l’annexe 2 du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) de la FIFA. Ce document pose un cadre général avec l’exigence d’une contrat écrit et signé individuellement. Ce contrat doit en outre inclure les éléments essentiels d’un contrat de travail, notamment un objet, les droits et obligations des parties, le statut et la fonction des parties, la rémunération convenue, la durée et la signature des parties[4].
Ce règlement et ceux des compétitions passées en revue sont restés silencieux sur l’opération de prêt ou de mise à disposition d’entraîneur entre fédérations nationales, que ce soit d’un même continent ou de continents différents. Pourtant, on peut envisager cette opération entre deux (02) sélections nationales participant à une même compétition, même si elle semble à priori contre-productive pour l’une d’elles. Ce peut être également le cas entre une fédération dont l’équipe est déjà éliminée de la compétition et une autre encore en compétition. Qu’en sera-t-il en outre, comme dans le cas actuel, lorsque l’opération concerne le sélectionneur d’une équipe féminine et une équipe masculine et vice versa ?
Comme toutes les normes dans le système pyramidal du sport, la FIFA fait obligation, aux associations infra d’inclure dans leurs règlements des moyens adaptés pour protéger la stabilité contractuelle des entraineurs dans le respect du droit national contraignant et des conventions collectives[5]. Autrement dit, chaque fédération nationale doit inclure les normes de l’instance mondiale dans les siennes en les adaptant à ses normes étatiques.
1.2 – Au niveau des normes nationales (étatiques et sportives)
Le sélectionneur est un salarié de l’association Fédération Française de Football dont le contrat est soumis principalement aux dispositions du Code du travail. Son contrat est également régi par certaines normes sportives (CCNS, règlements FFF, etc.). En tant que salarié, le sélectionneur peut faire l’objet d’un prêt de main d’œuvre, même à but lucratif, étant donné que son employeur (la FFF) est une association sportive[6]. Cette opération nécessite trois (03) conditions : l’accord du salarié concerné, une convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice qui en définit la durée et mentionne l’identité et la qualification du salarié concerné, ainsi que le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels qui seront facturés à l’entreprise utilisatrice par l’entreprise prêteuse, et enfin un avenant au contrat de travail, signé par le salarié, précisant le travail confié dans l’entreprise utilisatrice, les horaires et le lieu d’exécution du travail, ainsi que les caractéristiques particulières du poste de travail[7]. Dans le cas étudié, l’accord de l’employeur (La FFF) a fait défaut[8].
Du côté des normes sportives, un entraineur sous contrat avec un club, ne pourra contracter avec un autre club. Il ne peut signer plus d’un engagement à la fois sauf accord du club avec lequel il s’est engagé le premier[9].
En somme, que ce soit au niveau des normes étatiques ou des normes sportives transnationales et nationales, rien ne s’oppose expressément à cette opération de prêt de sélectionneur. La FFF pouvait bien prêter ou mettre son salarié Hervé Renard à la disposition de l’association FIF qui en a fait la demande après avoir obtenu l’accord du concerné.
Au-delà de la faisabilité de l’opération de prêt de sélectionneur, il se pose la question du remplacement effectif auprès de l’organisateur de la compétition.
II – Le remplacement d’un membre de la délégation d’une sélection nationale en cours de compétition
Pour les compétitions concernées, la délégation d’une nation comporte en dehors des joueurs (joueurs de champ et gardiens de but), des sélectionneurs, préparateurs physiques et autres membres désignés sous le vocable « officiels ». Une nation peut bénéficier du remplacement d’un membre de sa délégation à des conditions précises édictées par le règlement de la compétition.
Nous verrons successivement le mécanisme de remplacement d’un membre de cette délégation et sa conséquence sur l’équité sportive.
2.1 – L’existence d’un mécanisme de remplacement
Pour les compétitions regroupant des sélections nationales dans une phase finale, les règlements de chacune des fédérations transnationales imposent aux participants de transmettre à l’organisateur une liste de joueurs et officiels quelques jours avant le début de la compétition. Le nombre de personnes et les délais de transmission varient d’une compétition à l’autre[10]. En ce qui concerne le règlement de la Coupe d’Afrique des Nations, une liste de 23 joueurs doit parvenir au secrétariat de la CAF au plus tard dix (10) jours avant le début de la compétition. Cette liste est réduite à 21 joueurs lorsqu’elle transmise en ne respectant pas ce délai[11].
Notons que seul le règlement du Championnat d’Europe de Football (CEF) de l’UEFA précise que la liste transmise doit indiquer les nom et prénoms de l’entraineur principal et de l’entraîneur adjoint et leurs qualifications d’entraîneur[12].
Tous ces règlements prévoient un mécanisme de remplacement d’un joueur de la liste transmise pour maladie ou blessure grave mais sont tous restés muets sur le cas d’un sélectionneur et le cas échéant son adjoint. Ainsi, pour la CAN, le remplacement peut se faire jusqu’à 24h avant le premier match de la sélection nationales concernée après le formalisme requis[13]. Pour le règlement du CEF de l’UEFA, une distinction est faite entre un joueur de champ et un gardien de but. Alors que les deux (02) peuvent être remplacés avant le premier match de leur sélection nationale, les gardiens peuvent aussi être remplacés avant le prochain match de leur équipe dans la phase finale[14].
Le principe général qui se dégage de ces règlements est la prohibition d’un remplacement de joueurs après l’entrée en compétition de la sélection nationale concernée.
A ce stade, et par transposition du dispositif relatif aux joueurs, on peut être tenté de dire que le remplacement d’un membre de la délégation d’une sélection nationale comme le sélectionneur n’est pas interdit avant le démarrage de la compétition mais l’est après son démarrage.
La demande de FIF à la FFF pouvait être moins étonnante si elle avait été faite avant le premier match de la Côte d’Ivoire à la CAN sous-tendue par une maladie ou une blessure grave de son sélectionneur. Ce qui n’est pas le cas ici puisqu’elle a été faite en pleine compétition juste avant la phase des huitièmes de finales.
Il convient tout de même de préciser que la FIF n’a pas introduit une demande remplacement de son sélectionneur auprès de la CAF visiblement parce que la FFF a opposé une fin de non-recevoir à sa demande. Autrement, ce remplacement de sélectionneur en cours de compétition pourra également s’analyser sous le prisme de l’équité sportive.
2.2 – La nécessité de la préservation de l’équité sportive
Le sélectionneur n’est rien d’autre qu’un entraineur. Il est un maillon essentiel dans une équipe dans la mesure où il a la charge de la sélection des joueurs, la préparation de la stratégie de jeu, du système de jeu et du fonctionnement optimal de son équipe par l’agencement de ses joueurs sur l’aire de jeu durant chaque rencontre. Son remplacement peut donc grandement influer sur les résultats d’une équipe. La preuve, lorsque les résultats sont décevants ou insuffisants, il est le premier à être pointé du doigt puis mis de côté le cas échéant.
L’équité sportive vise à garantir une égalité des chances aux compétiteurs. La victoire ne doit souffrir d’aucune contestation. Ainsi, tous les participants à une compétition doivent avoir le sentiment qu’ils ont les mêmes chances de l’emporter. Les instances fédérales doivent rigoureusement veiller à ce principe cardinal d’équité afin de garantir l’honnêteté des acteurs[15].
Avec le rôle important du sélectionneur vu dans les paragraphes précédents, permettre à une équipe de procéder au remplacement de son sélectionneur au cours d’une compétition nous semble constituer une rupture de l’équité entre les équipes étant donné que chacune d’elles a eu la possibilité et le temps nécessaire pour opérer ses meilleurs choix en amont.
Il y avait de fortes chances que la CAF recale d’office la FIF au nom du principe d’équité ou qu’elle ou les autres instances sportives (Tribunal Arbitral du Sport par exemple) soient amenées à rendre une décision sur les éventuelles contestations à bon droit des autres équipes. Cette question de rupture de l’équité sportive n’ayant malheureusement pu être portée devant des instances de la CAF, aucune solution n’a été apportée pour l’heure.
En conclusion, cette demande surprenante de la FIF a le mérite de révéler une situation non prévue dans les règlements de la CAN et plus largement dans les règlements des compétitions de ce type. Les instances sportives, organisatrices de ces types de compétition, ont grand intérêt à faire évoluer leurs règlements afin de prendre en compte cette insuffisance qui sera probablement réexploitée par d’autres fédérations nationales ou même des clubs.
Kolawolé ESSOUN, Doctorant en droit privé et sciences criminelles, droit du sport, CREDIMI, Université de Bourgogne
Bibliographie
- Code du travail
- A.-X BIGARD, « Les jeux olympiques, la lutte contre le dopage et le maintien de l’équité », Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, N°1 janvier 2019, Elsevier Masson France
- Statut des éducateurs et entraineurs de football 2023-2024
- Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ), FIFA
- Règlement de la Coupe d’Afrique des Nations, CAF
- Règlement du Championnat d’Europe de football, UEFA
- https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/La-fff-ne-prete-pas-herve-renard-a-la-cote-d-ivoire/1444564, consulté le 26 janvier 2024
- La Côte d’Ivoire veut Hervé Renard pour la fin de la CAN – L’Équipe (lequipe.fr), consulté le 26 janvier 2024
- Jean-Louis Gasset n’est plus le sélectionneur de la Côte d’Ivoire – L’Équipe (lequipe.fr), consulté le 26 janvier 2024
[1] La Côte d’Ivoire veut Hervé Renard pour la fin de la CAN – L’Équipe (lequipe.fr), consulté le 26 janvier 2024
[2] Jean-Louis Gasset n’est plus le sélectionneur de la Côte d’Ivoire – L’Équipe (lequipe.fr), consulté le 26 janvier 2024
[3] FIFA = Fédération Internationale de Football Association, UEFA = Union des Associations Européennes de Football, CAF = Confédération Africaine de Football.
[4] Article 2 Annexe 2 du RSTJ.
[5] Article 1 Annexe 2 du RSTJ
[6] Article L8241-1 2° Code du travail
[7] Article L8241-2 Code du travail
[8] https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/La-fff-ne-prete-pas-herve-renard-a-la-cote-d-ivoire/1444564, consulté le 26 janvier 2024
[9] Article 25.1 4) Statut des éducateurs et entraineurs de football 2023-2024
[10] 23 à 26 joueurs et jusqu’à 27 officiels, Article 24 Règlement Coupe du Monde de la FIFA, Qatar 2022 ; liste de 23 joueurs transmise 7 jours francs avant le début de la compétition, Articles 48.01 et 48.03 Règlement du Championnat d’Europe de football de l’UEFA
[11] Article 72.1 Règlement de la Coupe d’Afrique des Nations
[12] Article 48.01 Règlement du Championnat d’Europe de football de l’UEFA
[13] Article 72.2 Règlement de la Coupe d’Afrique des Nations
[14] Article 48.04 Règlement du Championnat d’Europe de football de l’UEFA
[15] A.-X BIGARD, « Les jeux olympiques, la lutte contre le dopage et le maintien de l’équité », Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, N°1 janvier 2019, Elsevier Masson France, p. 283