La FIFA et l’UEFA à l’épreuve du droit de la concurrence : l’affaire Super League

par | 3, Jan, 2023

En attendant la décision de la CJUE sur la question préjudicielle introduite par l’entreprise espagnol European Super League Company SL, qui devrait être publiée prochainement (1), la question de la conformité de la FIFA et de l’UEFA, sur l’organisation des compétitions de football, au droit de la concurrence européenne reste toujours en suspens. 

Pour rappel, la European Super League était un projet de compétition semi-fermée porté par douze des plus grands clubs de football européens (Real Madrid, FC Barcelone, Atlético de Madrid, Manchester United FC, Manchester City, Chelsea FC, Arsenal FC, Tottenham Hotspur FC, Liverpool FC, Juventus FC, Inter Milan and AC Milan), formant une partie de l’actionnariat de la société European Super League Company SL. La holding financière JP Morgan avait accordé un prêt de 3 983 000 000 d’euros afin de permettre à cette nouvelle compétition dissidente de voir le jour. 

Seulement, la European Super League n’a pas été vu d’un très bon œil par la FIFA et l’UEFA puisque cette compétition aurait pu faire de l’ombre aux traditionnelles compétitions ouvertes organisées par la fédération internationale et les confédérations de football. 

Dans le but de voir ce projet s’effondrer, la FIFA ainsi que l’UEFA ont menacé les participants, autrement dit les clubs et les joueurs, d’une exclusion de l’ensemble des compétitions organisées par elles ainsi que de leurs championnats nationaux respectifs. De même, la European Professional Football Leagues a affirmé que tous clubs et joueurs participant à la European Super League ne pourront pas participer à l’Euro, aux Jeux Olympiques ainsi qu’à la Coupe du Monde pour les éditions à venir.

Ainsi, par peur des représailles, la majorité des clubs fondateurs de la European Super League s’est au fur et à mesure retirée du projet, ne laissant que le Real Madrid, le FC Barcelone et la Juventus de Turin. 

Au-delà des sanctions purement sportives, la FIFA avait déclaré que les clubs fondateurs devraient payer une indemnité correspondant à 5% des revenus générés lors de la saison 2022-2023 avec une amende supplémentaire de 15 000 000 d’euros afin de « manifester leurs bonnes fois ». 

En somme, la FIFA et l’UEFA se permettent un tel comportement car, d’après leurs règlements respectifs, « l’UEFA décide seule de l’organisation et de la suppression de compétitions internationales en Europe auxquelles participent des associations et/ou des clubs de celles-ci » (2). A ce titre, il est intéressant de constater que les articles des règlements prévoient la répartition des pouvoirs et champ de compétence entre la FIFA et l’UEFA puisque ce même article se termine par « Les compétitions de la FIFA ne sont pas concernées par cette disposition ». 

En prenant du recul sur les faits qui viennent d’être exposés, ne parait-il pas abusif le fait d’user d’une telle manière de son monopole, dans l’optique d’évincer un autre opérateur économique entrant sur le marché de l’organisation des compétitions internationales de football ? De même, la structure pyramidale du football liant la FIFA, l’UEFA, les fédérations nationales, les ligues et les clubs ne s’apparentent-elles pas à une entente néfaste à la compétitivité en Europe ? 

La Cour de Justice Européenne appréciera dans sa décision si la FIFA et l’UEFA sont conformes aux articles 101 et 102 du TFUE. 

De prime abord, appliquer le droit de la concurrence au sport pourrait paraître étonnant. Cependant, le modèle économique du sport de manière générale et plus précisément du football a fortement évolué et changé ces dernières décennies allant d’un modèle basé sur des activités et associations non lucratives à des spectacles sportifs de plus en plus importants générant plus de gains. Par conséquent, le nombre d’affaires relatives au sport porté devant les autorités européennes a augmenté proportionnellement à l’importance économique croissante du sport professionnel. Le football est devenu un véritable business avec les droits de retransmission TV, le sponsoring, la billetterie et toute la « fan experience » qui entoure les matchs de football.

Ainsi, les institutions judiciaires européennes ont reconnu que les fédérations (3), les clubs et même les joueurs pouvaient être qualifiés d’« entreprise » au sens du droit de la concurrence puisqu’ils étaient engagés dans une activité économique. De nombreux arrêts très connus ont statué dans ce sens (4). 

Le droit de la concurrence européenne s’applique donc à la discipline sportive en prenant en compte les particularités de cette dernière. 

Sur l’application de l’article 101 du TFUE, autrement dit sur la prohibition des ententes (5), l’organisation globale du football mondial doit rester coordonnée afin que l’ensemble des compétitions puissent avoir lieu sans se chevaucher. La FIFA est de surcroît coordinatrice de ce système puisqu’elle prévoit à l’article 70 de ses Statuts : « Le Conseil fixe d’entente avec les confédérations un calendrier international des matches auquel les confédérations, les associations membres et les ligues sont tenues de se conformer ». La FIFA ne s’en cache d’autant pas qu’elle utilise le terme d’« entente ». A ce titre, l’article 101(1)(c) interdit toutes décisions d’associations d’entreprises qui consistent à répartir les marchés. Pour rappel, le droit de la concurrence prend en compte trois types de marchés : le marché géographique, le marché de produit et le marché temporel. Ce dernier type de marché est souvent oublié, cependant il peut avoir un impact sur la compétitivité des opérateurs économiques sur le marché pertinent. En l’espèce, si la FIFA, l’UEFA et les fédérations nationales se partagent temporellement le marché, chacune d’elle se retrouve en position de monopole sur le marché des compétitions de football à un moment donné du calendrier sportif. 

Si l’on se place au sein de n’importe quel autre marché, voir une enseigne se mettre d’accord avec une autre pour que cette dernière soit ouverte les 6 premiers mois de l’année et la deuxième l’année restante paraît totalement aberrant. Bien entendu, cet exemple est volontairement simplifié mais ici, l’idée est la même seulement des intérêts légitimes entrent en ligne de compte, permettant à la FIFA et à l’UEFA de s’opposer à l’entrée d’une nouvelle compétition dans leur calendrier. En effet, quid des joueurs de football qui possèdent déjà un calendrier sportif bien rempli tout au long de la saison ? Il est fort probable qu’une augmentation de la fréquence des entraînements et des matchs, augmenterait à son tour le nombre de blessure du fait de la diminution du temps de récupération des joueurs entraînant à son tour une carrière potentiellement écourtée. 

Sur l’appréciation du non-respect de l’article 101 du TFUE et vis-à-vis des sanctions imposées par la FIFA et l’UEFA, quand bien même la plupart des affaires sont appréciées au cas par cas, une décision prise récemment par le juge européen peut servir de base de réflexion (6). A quelques détails près, les faits sont sensiblement les mêmes (7). Deux patineurs de vitesse avaient souhaité participer à une compétition dissidente et se sont vu menacer d’exclusion de toutes les compétitions sportives organisées par l’ISU. La CJUE a statué en faveur des athlètes en retenant que cette sanction était disproportionnée au but poursuivi et que les règles d’éligibilité étaient contraires à l’article 101 du TFUE. 

Cependant, il est à noter qu’un détail diffère entre les deux affaires : l’importance de la participation pour les athlètes aux compétitions internationales de par les gains générés. En effet, les joueurs de football gagnent leurs vies surtout grâce aux salaires versés par les clubs ainsi qu’au sponsoring et à leur image. Au contraire des patineurs de vitesse, les compétitions internationales auxquelles les joueurs participent ne génèrent pas des gains pouvant radicalement changer leur train de vie dans l’hypothèse où ils leur seraient interdits d’y participer. 

Par ailleurs, même si les jurisprudences concernant le champ sportif ont majoritairement porté sur la recherche et la qualification d’entente au sens de l’article 101 du TFUE, s’intéresser à l’abus de position dominante de l’article 102 du TFUE (8) peut être opportun. 

Une entreprise est considérée comme dominante lorsqu’elle détient au moins 40% des parts sur le marché pertinent. Sur le marché de l’organisation des compétitions internationales de football, il est aisé de constater que la FIFA et l’UEFA sont en situation de monopole et même plus exactement dans une situation d’oligopole. 

La position dominante n’est pas illégale en tant que telle, mais ce qui constitue un non-respect de l’article 102 du TFUE est l’abus de cette position dominante. Le fait pour la FIFA et l’UEFA d’imposer de telles sanctions alors même qu’elles sont collectivement dominantes pourrait être qualifié d’abus de position dominante. Ces sanctions n’ont pas seulement un impact négatif sur les joueurs, mais elles empêchent l’entrée sur le marché de nouveaux opérateurs économiques, tels que la European Super League. Même si ces sanctions ne sont pas dirigées directement à l’encontre de cette nouvelle compétition, la European Super League n’aurait pu fonctionner sans la participation des joueurs et des clubs qui ont quitté au fur et à mesure le projet à la suite des menaces de sanction de la FIFA et de l’UEFA. 

Au-delà des sanctions, étant donné que la FIFA et l’UEFA sont en position de dominance, la procédure d’autorisation mise en place pour participer à une compétition dissidente doit être claire, précise, non-discriminatoire et objective, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, à tel point qu’en réalité, aucune procédure n’existe réellement. 

Ainsi, il n’existe pour le moment aucune porte d’entrée possible pour les nouveaux organisateurs de compétitions de football souhaitant opérer sur le marché européen du fait de l’abus de monopole des fédérations internationales et de leur entente. 

Bien entendu, la FIFA et l’UEFA soutiendront très probablement qu’elles poursuivent des intérêts légitimes en interdisant la participation des clubs et des joueurs à une compétition se trouvant en dehors de cette pyramide du football, tels qu’une absence de procédure de redistribution des richesses et de contrôle anti-dopage, un calendrier sportif déjà complet ou encore que le système de la European Super League n’est pas basé sur le mérite, valeur à laquelle les supporteurs et plus globalement le sport européen est particulièrement attachée. 

Ainsi, quelles seraient les solutions possibles afin de combiner protection des intérêts légitimes et respect du droit de la concurrence européen ? Une réforme des statuts des fédérations internationales. La procédure d’autorisation étant quasiment inexistante, la mise en place d’une procédure telle qu’expliquée ci-dessus doit être enclenchée. De plus, ni la FIFA ni l’UEFA ne peuvent être à la fois arbitre et partie. Elles ne peuvent pas être des opérateurs économiques prépondérants du marché des compétitions de football et à la fois choisir qui peut y entrer. De ce fait, la création d’une commission indépendante chargée du respect des règles de procédure dans le cadre d’une demande d’autorisation et des critères préalablement établis et connus de tous sont nécessaires voir indispensable. 

Enfin, en cas de non-respect, des sanctions proportionnelles doivent être imposées. Cependant, bannir un joueur, même temporairement, sera très probablement vu comme disproportionné au regard de la brièveté de leur carrière et n’est surtout pas à l’avantage des fédérations puisqu’il ne paraîtrait pas très judicieux d’exclure des joueurs mondialement connus vis-à-vis de l’attractivité du spectacle sportif. Ainsi, mettre en place des sanctions dissuasives mais proportionnelles et pouvant bénéficier directement à l’éducation et à l’entraînement des jeunes peut être une possibilité. 

Article rédigé en décembre 2022 par Alix Lief, juriste stagiaire au sein du cabinet Earvin & Lew.

  1.  L’audience a d’ailleurs eu lieu le 11 et 12 juillet 2022 et les conclusions de l’avocat général ont été publiées récemment.
  2.  Article 49 des Statuts de l’UEFA
  3.  EC, 27 octobre 1992, Distribution of Package Tours During the 1990 World Cup, 92/521/EEC. 
  4.  ECJ, 12 décembre 1974, Walrave und Koch v. Association Union Cycliste International, C-36/74 ;ECJ, 14 juillet 1976, Donà v. Mantero, C-13/76 ; ECJ, 15 décembre, Bosman, C-415/93. 
  5.  Article 101 du TFUE : « 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à : a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction, b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements, c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement, d) appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, e) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. 2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit. »
  6.  CJUE, 16 décembre 2020, International Skating Union v. European Commission, T-93/18
  7. https://www.jurisportiva.fr/articles/le-projet-de-super-league-toujours-pendant-devant-les-tribunaux/
  8.  Article 102 du TFUE : « Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre états membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables, b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs, c) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, d) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats ». 

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