Il y a déjà deux ans, Jurisportiva vous présentait le Centre de Règlement des Différends Sportifs du Canada (CRDSC)[1], institution unique offrant au contentieux sportif amateur des solutions amiables et adaptées.
À l’occasion de la Paris Arbitration Week 2024, le cabinet K&L Gates a organisé deux conférences[2] présentant pour l’une le Centre de Règlement des Différends Sportifs du Canada et pour l’autre les travaux de la Chaire de recherche sur la sécurité et l’intégrité dans le sport de l’Université Laval (Québec).
À l’heure où la gouvernance dans le mouvement sportif français fait débat, une discussion sur les modèles existants à l’étranger tombe à pic ! En février 2023, le journal l’Équipe publiait une tribune[3] dans laquelle quatre personnalités du sport débattaient des problématiques agitant le milieu et proposaient des solutions, sujet on ne peut plus brûlant alors que la France s’apprête à accueillir les Jeux Olympiques dans quelques semaines. Qu’en est-il deux ans plus tard ?
Maître Louis Degos et Maître Sarra Saïdi ont accueilli au sein des bureaux parisiens de K&L Gates Marie-Claude Asselin et Prof. Sylvie Parent pour deux échanges aussi animés que passionnants.
“20 ans de CRDSC, a-t-on 20 ans de retard ?”, c’est par cette question que Louis Degos lance cette discussion.
Marie-Claude Asselin, ex-athlète et entraîneure de basketball, est aujourd’hui CEO du CRDSC. Elle nous éclaire sur la forme et le rôle de ce dernier.
Au Canada, le CRDSC est institué en 2003 par la Loi sur l’activité physique et le sport[4]. La réflexion autour du besoin de réforme de l’organisation du sport amateur au Canada est ancienne. En 2000, un rapport du groupe de travail au secrétaire d’état pour le sport amateur énonce : “Faute de politiques justes et cohérentes ou à cause d’une mauvaise application des politiques, les athlètes et autres participants se font imposer des mesures disciplinaires, sont harcelés et se font refuser des possibilités sans avoir de recours appropriés ni de mécanisme d’appel à leur disposition”[5].
C’est sur ce constat que s’est construit le projet d’une organisation permettant de faire ce que les tribunaux civils ne peuvent pas : offrir un processus de règlement des conflits rapide et abordable, offrir aux parties prenantes un résultat “gagnant/gagnant” et enfin des “décideurs” qui comprennent le sport, ses enjeux et ses spécificités.
La loi de 2003 instituant le CRDSC lui confie alors deux missions : d’une part offrir un service de règlement extrajudiciaire des différends sportifs et d’autre part une mission d’éducation et de prévention.
Le CRDSC et son organisation unique fait aujourd’hui figure de modèle. Il se caractérise notamment par son indépendance et sa transparence.
Indépendance, car le CRDSC a la forme d’une organisation à but non lucratif financée par le gouvernement Canadien via Sport Canada, service chargé de la promotion du sport amateur et de haut niveau.
Transparence, car le CRDSC fournit des ressources par le biais d’une bibliothèque juridique spécialisée en droit du sport avec pour but de prévenir les différends, accélérer le règlement des litiges et promouvoir une compréhension approfondie des droits et des responsabilités des différents acteurs du monde sportif, qu’ils soient athlètes, entraîneurs, avocats ou autres. L’accès à la justice est facilité grâce à des services pro bono et la mise à disposition de listes de professionnels comme d’arbitres, de médiateurs et d’avocats.
Un autre aspect de cette transparence est la publicité des décisions non anonymisées.
La création du CRDSC est couronnée de succès. Elle répond à un besoin du monde sportif et plus particulièrement des athlètes, notamment celui d’avoir accès à des procédures de règlement des différends à vitesse “olympique”. Une statistique clé ? 3 heures et 58 minutes, le temps record entre la réception d’un dossier et le rendu d’une décision.
Aujourd’hui, le nombre de dossiers reçus par le CRDSC explose, et ce d’autant plus depuis le lancement du Programme Sport Sans Abus en juin 2022. Ce programme vise à promouvoir un milieu sportif sans abus, faisant l’objet de la seconde conférence.
Safe Sport : vers la fin de la mauvaise habitude de “laver son linge sale en famille”
Depuis 2022, le CRDSC se compose d’une division supplémentaire et autonome : le Bureau du Commissaire à l’intégrité dans le sport (BCIS) qui met en œuvre le programme “Sport sans abus”, visant à promouvoir le Safe Sport.
La notion de Safe Sport vise la garantie d’un environnement sportif exempt de violence. Ce concept est bien ancré dans la culture nord-américaine. Aux Etats-Unis, les litiges disciplinaires en violation de la liste des conduites interdites par le Code Safe Sport sont soumis à l’arbitrage au sein de l’US Center for Safe Sport[6], une institution indépendante du Comité olympique et paralympique national. Dans le même sens, le Canada a déjà mis en place des initiatives comme la publication en 2022 d’un “Code de Conduite Universel pour prévenir et contrer la maltraitance dans le sport[7]” (CCUMS). Ce Code établit les comportements prohibés et les règles harmonisées à destination des organismes de sport recevant des fonds du Gouvernement du Canada afin de promouvoir une culture du sport saine et exempte d’abus. De plus, le CRDSC a joué un rôle crucial dans la création en 2022 du Bureau du Commissaire à l’intégrité dans le sport chargé d’administrer le CCUMS et de traiter les litiges disciplinaires liés au Safe Sport.
Sylvie Parent, Professeure à l’Université Laval et titulaire de la Chaire Sécurité et Intégrité dans en milieu sportif, travaille sur ces questions et son travail est cité, entre autres, par le Conseil de l’Europe. Son intervention nous permet de découvrir un panel de travaux et de recherches sur divers sujets en lien avec le Safe Sport[8]. En effet, Prof. Sylvie Parent souligne l’attention particulière donnée au traitement de ces victimes d’abus, de l’important de minimiser l’impact de ces procédures et d’éviter une “re-traumatisation”, notamment en limitant le nombre de fois où la victime devra répéter son vécu. Par ailleurs, Prof. Sylvie Parent déplore que les législations protectrices et les codifications visant à promouvoir un “sport sécuritaire” soient souvent adoptées ou accélérées en réaction à des scandales.
Sarra Saïdi apporte également son expertise sur ces sujets puisqu’elle accompagne des athlètes canadiens dans des procédures de facilitation, de médiation et d’arbitrage dans le cadre de dossier pro bono du CRDSC ainsi que du Legal Aid Program du BCIS. Elle témoigne de l’importance de ces procédures pour des athlètes pour qui un litige avec leur fédération peut avoir des conséquences dramatiques sur une carrière, et plus généralement sur une vie.
Ces conférences ont été l’occasion d’évoquer la situation française et les perspectives d’évolution. En effet, la notion de Safe Sport n’est que peu mobilisée et l’efficacité des recours mis à disposition des sportifs peut être relativisée. Plus généralement, le sportif qui souhaite faire appel d’une décision disciplinaire prise à son encontre par sa fédération, ou encore contester le choix de cette dernière de ne pas le sélectionner doit se tourner vers le juge étatique. Certes, un préalable de conciliation existe devant le Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF), mais l’analyse de systèmes étrangers pousse à relativiser son efficacité.
Alors que la France se prépare à accueillir les Jeux Olympiques, la crise de la gouvernance à laquelle fait face le milieu du sport français (que Jurisportiva vous avait déjà présenté en 2022[9]) s’enlise. Déjà en 2022, l’article de l’Équipe conclut sur des propositions pour faire face à cette crise, notamment la création d’une autorité indépendante des fédérations sous l’ombrelle du ministère des Sports et des Jeux afin de traiter des violences et de l’éthique “une sorte de Safe Sport français”.
Ces modèles étrangers sont alors particulièrement intéressants face au manque d’indépendance et de transparence du modèle français et ont soulevé bien des questions et des débats durant la PAW et continuent de le faire !
[1] https://www.jurisportiva.fr/articles/le-centre-de-reglement-des-differends-sportifs-au-canada/
[2] https://parisarbitrationweek.com/partner/kl-gates/
[3] https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Article/La-gouvernance-des-federations-sportives-fait-debat/1379657
[4] https://www.crdsc-sdrcc.ca/eng/documents/Bill-C-12.pdf
[5] https://www.crdsc-sdrcc.ca/fr/documents/Working-Group-Report-f.pdf
[6] https://uscenterforsafesport.org/#/
[7] https://commissaireintegritesport.ca/files/CCUMS-v6.0-20220531.pdf
[8] https://www.equipe-sp.fse.ulaval.ca/projets/
[9]https://www.jurisportiva.fr/actualite/la-gouvernance-du-sport-francais-en-pleine-crise-a-moins-de-deux-ans-de-paris-2024/
ENGLISH:
Paris Arbitration Week 2024 – Discussion organized by K&L Gates with the Sport Dispute Resolution Centre of Canada and the Research Chair in Sadert and Integrity in Sport at Laval University (Quebec)
Two years ago, Jurisportiva introduced you to the Sport Dispute Resolution Centre of Canada (SDRCC)[1], a unique institution that provides amicable and tailored solutions for amateur sports litigation.
During the Paris Arbitration Week, the law firm K&L Gates organized two conferences[2], one presenting the SDRCC, and the other highlighting the work of the Research Chair in Safety and Integrity in Sport at Laval University (Quebec).
At a time when governance in the French sports movement is being debated, a discussion on existing foreign models is timely! In February 2023, the newspaper L’Équipe published an op-ed[3] in which four sports personalities debated current issues stirring the sports world and proposed solutions, a hot topic as France prepares to host the Olympic Games in a few weeks. What is the situation two years later?
Louis Degos and Sarra Saïdi welcomed Marie-Claude Asselin and Prof. Sylvie Parent for two lively and engaging exchanges at K&L Gates’ Paris offices.
« 20 years of SDRCC, are we 20 years behind? » Louis Degos launches this discussion with this question. Marie-Claude Asselin, a former athlete and basketball coach, is now CEO of the SDRCC. She enlightens us on its structure and role.
The SDRCC was established in Canada in 2003 through the Physical Activity and Sport Act[4]. The reflection on the need to reform the organization of amateur sports in Canada is longstanding. A 2000 report stated, « Due to the lack of fair and coherent policies or because of their poor implementation, athletes and other participants face disciplinary actions, harassment, and are denied opportunities without adequate recourse or appeal mechanisms. »[5]
This observation led to the creation of an organization capable of addressing issues beyond the ability of civil courts: offering a rapid and affordable conflict resolution process, a « win/win » outcome for stakeholders, and decision-makers who understand sports, their stakes, and specifics.
The 2003 law tasked the SDRCC with two missions: providing a service for the extrajudicial resolution of sports disputes and an education and prevention mission.
The SDRCC and its unique organization now serve as a model. It is characterized notably by its independence and transparency.
Independence, as the SDRCC takes the form of a non-profit organization funded by the Canadian government through Sport Canada, a service tasked with promoting amateur and elite sports.
Transparency, as the CRDSC provides resources through a specialized legal library in sports law aimed at preventing disputes, expediting litigation resolution, and promoting a deep understanding of the rights and responsibilities of various actors in the sports world, whether they are athletes, coaches, lawyers, or others. Access to justice is facilitated through pro bono procedures and the availability of professional lists such as arbitrators, mediators, and lawyers.
Another aspect of this transparency is the publicity of non-anonymized decisions.
The creation of the SDRCC has been a success . It responds to a need in the sports world and particularly for athletes, notably the need for access to « Olympic-speed » dispute resolution procedures. A key statistic? 3 hours and 58 minutes, the record time between receiving a case and rendering a decision.
Today, the number of cases received by the CRDSC is skyrocketing, especially since the launch of the Sport Without Abuse Program in June 2022. This program aims to promote a sports environment free of abuse, which was the subject of the second conference.
« Safe Sport: Towards the End of the Bad Habit of ‘Washing Dirty Laundry in Family’ ».
Since 2022, the SDRCC has included an additional and autonomous division: the Office of the Sport Integrity Commissioner (OSIC), which implements the « Sport Without Abuse » program aimed at promoting Safe Sport.
The concept of Safe Sport aims to ensure a sports environment free of violence. This concept is well established in North American culture. In the United States, disciplinary disputes violating the prohibited conduct list in the Safe Sport Code are subject to arbitration within the US Center for Safe Sport[6], an independent institution from the national Olympic and Paralympic committee. Similarly, Canada has already implemented initiatives such as the publication in 2022 of a « Universal Code of Conduct to Prevent and Address Maltreatment in Sport”[7] (UCCMS). This Code establishes prohibited behaviors and harmonized rules for sports organizations receiving funds from the Government of Canada to promote a healthy and abuse-free sports culture. Furthermore, the CRDSC played a crucial role in the creation in 2022 of the Office of the Commissioner for Integrity in Sport tasked with administering the UCCMS and handling disciplinary disputes related to Safe Sport.
Sylvie Parent, Professor at Laval University and holder of the Chair of Research on Security and Integrity in the Sports Environment, works on these issues, and her work is cited, among others, by the Council of Europe. Her intervention allows us to discover a range of studies and research on various subjects related to Safe Sport[8]. Indeed, Prof. Sylvie Parent emphasizes the particular attention given to the treatment of abuse victims, the importance of minimizing the impact of these procedures, and avoiding « re-traumatization, » notably by limiting the number of times the victim will have to recount their experience. Additionally, Prof. Sylvie Parent regrets that protective legislation and codifications aimed at promoting « safe sport » are often adopted or accelerated in reaction to scandals.
Sarra Saïdi also brings her expertise on these subjects as she supports Canadian athletes in facilitation, mediation, and arbitration processes as part of the SDRCC’s pro bono service and the OSIC’s Legal Aid Program. She testifies to the importance of these procedures for athletes for whom a dispute with their federation can have dramatic consequences on a career, and more generally on a life.
These conferences were an opportunity to discuss the French situation and perspectives for evolution. Indeed, the notion of Safe Sport is underutilized, and the effectiveness of the remedies available to athletes can be questioned. More generally, an athlete who wishes to appeal a disciplinary decision made against them by their federation, or contest the federation’s choice not to select them, must turn to the state judge. Certainly, there is a prior conciliation process before the French National Olympic and Sports Committee (CNOSF), but analysis of foreign systems leads to questioning its effectiveness.
As France prepares to host the Olympic Games, the governance crisis facing the French sports world (which Jurisportiva already presented to you in 2022[9]) continues. Already in 2022, L’Équipe’s article concluded with proposals to address this crisis, including the creation of an independent authority for federations under the Ministry of Sports and Games to address violence and ethics, a sort of French Safe Sport.
These foreign models are particularly interesting given the lack of independence and transparency of the French model and have raised many questions and debates during PAW and continue to do so!
[1] https://www.jurisportiva.fr/articles/le-centre-de-reglement-des-differends-sportifs-au-canada/
[2] https://parisarbitrationweek.com/partner/kl-gates/
[3] https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Article/La-gouvernance-des-federations-sportives-fait-debat/1379657
[4] https://www.crdsc-sdrcc.ca/eng/documents/Bill-C-12.pdf
[5] https://www.crdsc-sdrcc.ca/fr/documents/Working-Group-Report-f.pdf
[6] https://uscenterforsafesport.org/#/
[7] https://commissaireintegritesport.ca/files/CCUMS-v6.0-20220531.pdf
[8] https://www.equipe-sp.fse.ulaval.ca/projets/
[9]https://www.jurisportiva.fr/actualite/la-gouvernance-du-sport-francais-en-pleine-crise-a-moins-de-deux-ans-de-paris-2024/