Quelques mois après sa décision ouvrant la porte à la création de la Superligue, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) pourrait à nouveau venir bouleverser le paysage du football européen, voire mondial. Par un communiqué, elle a rendu publiques les conclusions de Maciej Szpunar, son avocat général (déjà à l’origine des conclusions de l’affaire de la Superligue) dans une affaire opposant cette fois la FIFA à l’ancien international français Lassana Diarra.
Explicitement intitulé “Avocat général Szpunar : certaines règles de la FIFA en matière de transfert de joueurs peuvent s’avérer contraires au droit de l’Union”, le communiqué de la CJUE laisse penser qu’après le monopole des compétitions de l’UEFA, c’est au tour Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) de la FIFA d’être remis en question par le droit européen.
À l’origine de cette affaire, il y a un litige opposant l’international français Lassana Diarra et son ancien club du Lokomotiv Moscou. Lors de la saison 2014-2015, le joueur voit son contrat résilié par le club russe, qui avance que le joueur a arrêté d’exécuter son contrat sans « juste cause ». Cette résiliation a entraîné une série de poursuites judiciaires, le Lokomotiv Moscou réclamant une indemnisation à Diarra pour le préjudice causé devant la chambre de résolution des litiges de la FIFA. Celle-ci accède aux demandes du club, condamne Diarra à payer une amende de dix millions d’euros et à subir une suspension de 15 mois.
Pendant que cette affaire est traitée par les juridictions, le joueur est à la recherche d’un club pour la suite de sa carrière. Mais le règlement des transferts de la FIFA inclut le principe de codébition, qui rend solidaire le club qui engagerait le joueur du paiement de l’amende et fait peser sur lui la menace d’une sanction sportive. Une situation qu’a récemment connu l’Olympique de Marseille, sanctionné d’une interdiction de recrutement dans le cadre du recrutement de Pape Gueye. Difficile donc pour Diarra de trouver un club dans ce contexte, alors même qu’il est proche de trouver un accord avec le club belge de Charleroi.
C’est pourquoi il décide ensuite de contester le RSTJ devant les juridictions belges, et plus précisément ce principe de codébition. Cette procédure débouche sur une question préjudicielle amenant le juge européen à s’exprimer sur la conformité de RSTJ au droit européen et sur les conclusions de l’avocat général de la CJUE.
Si elles ne présagent pas de la décision définitive de la Cour, qui sera prise dans les prochains mois, elles donnent toutefois des indications sur leur orientation. Et à première vue, elles ne vont pas dans le sens de la FIFA.
Des audiences organisées en janvier avaient permis aux parties – le joueur et les syndicats de joueurs UNFP et FIFPro d’un côté, la FIFA de l’autre – de présenter leurs arguments. Cette dernière a principalement avancé que le RSTJ permet de réguler un marché des transferts en s’assurant du maintien d’une certaine équité entre les clubs. Un argument que contestent vivement les syndicats des joueurs professionnels pour qui, au contraire, ce cadre réglementaire prive les joueurs de leur liberté de rompre leur contrat et les rend dépendant de la volonté de leur employeur.
Une vision que partage l’avocat général de la CJUE Maciej Szpunar dont les conclusions ont été publiées le 30 avril. En effet, il estime que les règles de la FIFA en matière de transferts de joueurs peuvent être contraires au droit de l’Union européenne en ce qu’elles limitent la libre circulation des travailleurs et restreignent la concurrence entre les clubs.
En particulier, Szpunar remet en question le principe de codébition qui impose une responsabilité solidaire et conjointe aux joueurs et aux nouveaux clubs en cas de résiliation de contrat sans juste cause. Il estime que cette règle est un frein important à la recherche d’un nouveau club par le joueur, entravant ainsi la libre circulation des travailleurs et nuisant à la concurrence sur le marché des transferts.
Les syndicats de joueurs se sont réjouis de ces conclusions et espèrent qu’elles ouvriront la voie à un dialogue pour redéfinir une règlementation des transferts plus équilibrée pour les joueurs. David Terrier, président de la FIFPRO Europe et vice-président de l’UNFP, a déclaré qu’« il nous apparaît de plus en plus évident que seule une convention collective réellement paritaire est à même de pouvoir protéger les joueurs.” Un cadre règlementaire qui demandera encore du temps avant de voir le jour, tant les positions des différentes parties prenantes semblent pour l’instant éloignées.
Toujours est-il que l’évolution de cette affaire dans les prochains mois devrait être suivie de très près par l’ensemble des acteurs du football professionnel. Une décision de la CJUE allant dans le sens de son avocat général pourrait provoquer un nouvel arrêt Bosman modifiant en profondeur le marché des transferts, et peut-être même la fin des indemnités de transferts, une particularité du football par rapport aux autres sports professionnels comme le basket ou le rugby… Ou alors à minima une modification du RSTJ permettant de se conformer au droit européen.
Une seule chose est sûre, quelques mois après l’arrêt sur la Superligue, dont les conséquences ne se sont pas fait ressentir pour le moment, le droit européen occupe une nouvelle fois une place importante dans l’évolution de la règlementation des fédérations internationales de football.