Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 1, 29 mars 2023

par | 25, Avr, 2023

Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 1, 29 mars 2023, n° 21/00704

Tout comme la vente de billets, la fourniture de moyens en vue de la vente de billets sans autorisation du producteur de spectacles est interdite au sens de l’article 313-6-2 du code pénal (I). Cet arrêt de la cour d’appel de Paris vient nous rappeler l’importance de la décision du Conseil Constitutionnel en date du 14 décembre 2018 validant la conformité de l’article 313-6-2 du code pénal à la Constitution (II).

I. Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 1, 29 mars 2023, n° 21/00704

Google a été condamné par un arrêt du 20 mars 2023 de la Cour de d’appel de Paris à verser au Prodiss, le Syndicat national des producteurs, diffuseurs, festivals et salles de spectacle musical et de variété, la somme de 300 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices portés à l’intérêt collectif de la profession, ainsi que la coquette somme de 60 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La condamnation a été prononcée sur le fondement traditionnel de la responsabilité civile (article 1240 du code civil) et de l’article 313-6-2 du code pénal qui interdit tant la vente ou l’offre de vente de billets que la « fourniture les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d’accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l’autorisation du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle ».

En cause le service Google Ads qui a fourni les moyens de la réalisation de vente de billets sans l’autorisation des titulaires des droits. Dans sa décision, la Cour rappelle que « Google Ads est un service de régie publicitaire offrant aux annonceurs la possibilité d’afficher des annonces sur le site du moteur de recherche Google.fr en fonction de mots-clés saisis par les internautes, un système d’enchères déterminant, sur la base des mots-clés choisis par l’annonceur, l’apparition de liens promotionnels dirigeant l’internaute vers le site de l’annonceur, la société Google Ireland, qui exploite le moteur de recherche Google.fr et qui met à disposition ce service Google Ads, étant rémunérée à chaque clic sur le lien promotionnel ». Or il a été établi que sur le site Google.fr ont été diffusées des annonces publicitaires en vue de la vente sur les sites Viagogo.fr, ticketstarter.fr, onlineticketshop.com, ticketbis.fr, stubhub.fr et rocket- ticket.com des billets des spectacles des artistes Artic Monkeys, Paul McCartney, Slash, Rammstein, Grand corps malade, Mylène Farmer, Drake et Metallica, sans autorisation des producteurs de ces spectacles.

Les condamnations prononcées sont lourdes, plus lourdes qu’en première instance (40 000 euros au titre des dommages intérêts ; 20 000 euros au titre des frais de justice : TJ Paris, 15 octobre 2020) ; elles l’ont été sans que la Cour d’appel considère nécessaire de faire droit à l’injonction de production de pièces sollicitée par le Prodiss.

II. Décision n° 2018-754 QPC du 14 décembre 2018 (1)

Le 14 décembre 2018, le Conseil Constitutionnel validait la conformité de l’article 313-6-2 du code pénal (issu de la loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 tendant à faciliter l’organisation des manifestations sportives et culturelles) à la Constitution dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les plus importants opérateurs de revente en ligne de billets. Aux côtés d’importantes fédérations sportives, le Prodiss était déjà intervenu dans le cadre de la procédure au soutien de la constitutionnalité du texte.

Afin d’éviter tout risque de sanction pénale à leur encontre, les opérateurs de revente de billets avaient soulevé une question de constitutionnalité à l’encontre de l’article 313-6-2 du Code pénal dans le cadre d’un contentieux initié à leur encontre par l’UEFA dans le contexte de l’EURO 2016. 

Les société requérantes avaient pour l’essentiel reproché aux dispositions querellées de :

  • Méconnaître le principe de légalité des délits et des peines en raison de l’imprécision de la notion de vente « de manière habituelle » ; et
  • Porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle.

Sur le premier grief, le Conseil constitutionnel avait notamment considéré qu’en instituant les dispositions contestées, le législateur avait, d’une part, entendu prévenir les troubles à l’ordre public dans certaines manifestations, notamment sportives, d’autre part, le législateur avait voulu garantir l’accès du plus grand nombre aux événements sportifs, culturels, commerciaux et aux spectacles vivants. Sur ce second point, l’infraction pénale en question devait permettre de lutter contre l’organisation d’une hausse artificielle du prix des billets pour de tels événements et spectacles.

En d’autres termes, le Conseil constitutionnel accueillait les arguments des organisateurs sportifs et producteurs de spectacle selon lesquels :

  • La spéculation sur le prix des billets d’événements sportifs ou culturels, rendue possible par l’activité illégale de revente de billets, entravait les efforts des organisateurs pour « démocratiser » l’accès à leurs événements ;
  • En perturbant les réseaux de distribution de billets, cette activité illégale créait également des risques accrus en matière de sécurité à proximité ou à l’intérieur des enceintes sportives, perturbant ainsi le placement prévu de supporters rivaux ou rendant possible l’accès à des personnes frappées d’interdiction de stade.

Sur les autres griefs, le Conseil constitutionnel indiquait qu’il était loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, ainsi qu’à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Au cas d’espèce, il n’existait pas d’atteinte disproportionnée au regard des objectifs de sécurité des manifestations sportives et culturelles et de lutte contre la spéculation sur le prix des billets.

*** Quand bien même la revente illicite de billets ou la fourniture de moyens en vue de la revente illicite de billets serait une incrimination pénale, il n’en demeure pas moins que l’article 313-6-2 du code pénal peut être utilement exciper dans le cadre d’une action civile, comme l’a démontré l’arrêt Google.

  1. https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018754QPC.htm

Rhadamès Killy et Xavier Près, avocats associés de la société VARET PRÈS KILLY

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