Les droits TV du football français : facteur de croissance ou boulet au pied?

par | 25, Avr, 2023

Amazon Prime Vidéo, Canal +, beIN Sport, Mediapro, RMC Sport, Eurosport, La chaîne L’Equipe… La guerre entre les diffuseurs TV pour les droits du football professionnel français (Ligue 1 et Ligue 2) n’aura jamais été aussi féroce que ces dernières années.

Depuis la faillite de Mediapro et la réattribution hâtive des droits TV de la Ligue 1 en 2020, Amazon, Canal + et Free sont les distributeurs officiels des championnats français. Cette attribution permet à la LFP de percevoir aujourd’hui quelque 695,5millions d’euros par saison (contre 1,153 milliards d’euro avec le contrat initial de Mediapro selon RMC Sport.

Si ce changement de contrat représente une perte indéniable pour la LFP, il ne faut pas oublier d’où le football français vient. En 38 ans, le montant des droits TV pour les championnats français est passé de 800 000€ par saison en 1985 à 695,5 millions en 2023 soit une augmentation de 86 837% (Foot Unis).

Les premiers bénéficiaires de cette augmentation sont inévitablement les clubs professionnels français. Mais cela est-il véritablement bénéfique au football français ? Décryptage.  

Une évolution exponentielle des droits TV dans le football

Comme indiqué, les droits TV n’ont cessé d’exploser ces dernières années et cela ne devrait pas s’arrêter d’aussi tôt. Vincent Labrune, président de la LFP, a annoncé au journal L’Équipe, que le prochain appel d’offres pour la Ligue 1 aura lieu durant «l’automne 2023 ». Aujourd’hui la France est légèrement en retard par rapport aux autres principaux championnats européens. En effet la Ligue 1 est aujourd’hui le championnat avec les plus bas montants de droits TV parmi le «Big Five» européen. La Ligue 1 est évidemment très loin derrière la Premier League qui se vend comme le championnat le plus attractif pour les diffuseurs TV. Mais ce qui est plus problématique pour les décideurs de la LFP est l’écart qui demeure encore entre la Ligue 1 et les championnats de Bundesliga et de la Série A, championnats avec la même portée médiatique selon eux comme le prouve l’objectif annoncé par le président de la LFP. 

Tableau issu de : Droits TV dans le top 5 européen : plafond atteint ? | Foot Unis (foot-unis.fr)

En effet, l’objectif est clair pour Vincent Labrune : intégrer durablement le top 3 européen comme il l’a affirmé auprès du journal L’Équipe. « Il faut être non pas dans le Top 4, d’ici cinq ans, mais sur le podium européen, aussi bien en termes de résultats sportifs que de revenus ».

Pour cela différentes pistes sont étudiées afin de renforcer l’attractivité du championnat comme le développement du digital et de la multi-canalisation de l’expérience client ainsi que la réflexion autour du nom même du championnat (Ligue 1) : « La Ligue 1 est une marque qu’il faudra dépoussiérer et rebaptiser ». 

Un élément favorable au développement économique des clubs

L’augmentation impressionnante des droits TV se répercute directement dans le développement économique des clubs français. En effet la moyenne du budget annuel des 20 clubs de Ligue 1 pour la saison 2007 – 2008 atteignait 45,45 millions d’euros contre 116,8 millions d’euros de moyenne pour la saison 2022-2023 (budget prévisionnel) soit une différence de 71,35 millions d’euros en 15 ans. Cette augmentation s’explique en partie par l’explosion du budget annuel du PSG dû à son rachat par le QSI en 2011, ce qui a permis au club de passer d’un budget annuel de 70 millions d’euros en 2007 à 700 millions en 2022-2023. 

Cependant nous pouvons constater que l’augmentation de la moyenne de budget ne peut s’expliquer que par le rachat du PSG. En 2007, seul l’OL détenait un budget supérieur à 100 millions d’euros. Lors de la saison 2022-2023, 6 clubs (PSG, OL, OM, AS Monaco, OGC Nice, Lille OSC) détiennent un budget prévisionnel de 100 millions d’euros ou plus. L’augmentation des droits TV semblent donc avoir profité aux plus gros clubs du championnat mais pas seulement. 

Les clubs les plus modestes du championnat ont également vu leur budget augmenter grâce à cette progression des droits TV. Lors de la saison 2007-2008, 9 clubs détenaient un budget inférieur ou égal à 30 millions d’euros contre seulement 2 en 2022-2023 (chiffres issus des tableaux suivants, provenant de Sportune, et STATISTA).

Quel est alors le réel impact de l’augmentation des droits tv sur le développement économique des clubs de football ? 

Aujourd’hui les droits TV représentent le principal élément composant le budget annuel des clubs. Ainsi c’est tout le fonctionnement et le business model des clubs qui reposent sur cette source de revenu. Toute la politique sportive des clubs se trouve alors déterminée par cette source de revenus : la capacité financière pouvant être allouée aux transferts, l’élaboration de la masse salariale annuelle, les commissions pouvant être accordées aux différents intermédiaires ainsi que toute la politique de formation du centre de formation. 

L’exemple le plus flagrant est bien entendu les clubs anglais de Premier League et de Championship. Les clubs de Premier League se répartiront quelques 4,12 milliards d’euros entre 2022 et 2025 par an (selon Droits TV dans le top 5 européen : plafond atteint ? | Foot Unis), dès lors il leur est beaucoup plus aisé de dépenser sur le marché des transferts comme ils le font régulièrement ces dernières années. Si l’on en croit la liste établie par le site 90MIN (Top 20 des clubs qui ont dépensé le plus en transfert depuis 2000 (90min.com), 7 clubs parmi les 20 plus dépensiers au monde entre 2000 et 2020 sont anglais ! Et la tendance n’a vraisemblablement pas changé depuis 2020 comme le prouve le dernier mercato hivernal durant lequel les clubs anglais ont dépensé quelque 920 millions d’euros (dont 330 millions d’euros uniquement pour Chelsea) soit plus que tous les clubs de Ligue 1, Serie A, Bundesliga et Liga réunis. 

Ces sommes vertigineuses s’expliquent en très grande partie grâce aux droits TV selon Loïc Ravanel qui s’est confié à FRANCEINFO en février dernier (collaborateur scientifique du CIES – centre international d’études sportives) : « La Premier League est le championnat qui concentre le plus de richesses depuis plusieurs années, car il est le championnat le plus diffusé, et qui a les droits TV domestiques et internationaux les plus élevés. Ils ont réussi à monnayer leur spectacle”. Cette folie des grandeurs ne se retrouvent pas seulement dans les montants d’indemnités de transfert mais également dans les salaires ainsi que les différentes commissions inhérentes aux transferts. 

Dès lors l’augmentation des droits TV a bien permis aux clubs notamment français d’augmenter leur budget annuel. Cependant deux autres indicateurs sont importants à prendre en considération afin de déterminer si cette augmentation des budgets (due entre autres de l’augmentation des droits TV) est véritablement pérenne : la composition du budget et la diversification des sources de revenus. 

Une dépendance aux droits TV croissante pour les clubs français ?

Si l’augmentation des droits TV a permis au club professionnel français d’augmenter significativement leur budget, ceux-ci n’en ont pas profité pour diversifier leurs sources de revenus, ce qui pourrait leur être préjudiciable. En effet, lors de la saison 1985-1986, les budgets des clubs français dépendaient majoritairement des sponsors et de la billetterie. Les droits TV ne représentaient que 15% du budget total des clubs de Ligue 1 en moyenne (hors transferts). Cette part a progressé pour atteindre 46,25% lors de la saison 2017-2018 (36 % si l’on compte les revenus des transferts), contre seulement 22 % pour les sponsors et 11 % pour les billets d’entrée selon STATISTA et OUEST FRANCE.

Dès lors, les clubs français deviennent de plus en plus vulnérables et dépendants des diffuseurs TV de sorte que des évènements tels que la faillite de Mediapro en 2020 pourraient mettre ces derniers dans des situations délicates voire fatales à leur survie. D’autant plus quand des crises majeures telles que la pandémie du Covid19 viennent s’ajouter à cela.

Cet argent sert avant tout à assumer la croissance de la masse salariale des clubs ainsi qu’à leur offrir la possibilité de conserver leurs meilleurs éléments et de faire face aux différents assauts des clubs étrangers. Cependant, comme évoqué précédemment, les clubs ne peuvent se contenter des recettes liées aux droits TV pour assurer leur rentabilité économique sous peine de faire face à d’énormes difficultés financières en cas de faute de paiement des diffuseurs ou encore de résultats sportifs particulièrement décevants qui entraîneraient une baisse des recettes issues des droits TV. 

Une comparaison avec leurs homologues européens sans appel

L’autre conséquence du manque de diversification des revenus des clubs français est le fait que ceux-ci sont donc aussi directement dépendants des droits TV lors des périodes de mercato. Comme leur budget repose principalement sur les droits TV, les clubs français partent inévitablement avec un désavantage vis-à-vis des autres clubs des autres principaux championnats européens et notamment la Premier League. 

Pour prouver cela, nous pouvons prendre les revenus en droits TV perçus par le PSG et Huddersfield lors de la saison 2014-2015. Cette saison-là le PSG finit champion de Ligue 1 et empoche 59,8 millions d’euros de droits TV. Cette même saison, Huddersfield est dernier et relégué de Premier League mais empocha tout de même 108 millions d’euros de droits TV ! Soit presque le double des revenus du PSG selon la comparaison réalisée par RMC Sport. Si cela n’affecte bien entendu pas énormément le club parisien étant donné la puissance financière qui est détenue par ses propriétaires qataris, les autres clubs français, qui dépendent bien plus des droits TV, sont souvent impuissants financièrement face aux clubs anglais. 

Si Vincent Labrune arrive donc à faire accéder la Ligue 1 au podium des revenus générés par les droits TV lors de la prochaine session de négociation qui vaudra pour les saisons de 2024 à 2028, alors les clubs français pourront commencer à se rapprocher de leurs homologues espagnols, allemands, italiens voire anglais. Cependant les clubs français doivent également apprendre du passé et notamment de la pandémie de la COVID 19 et de la faillite de Mediapro pour se rendre compte que les droits TV ne sont qu’une source de revenu parmi tant d’autres. L’occasion pour eux de repenser leur modèle économique, cette fois-ci avec des recettes plus diversifiées ? À suivre …

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