Affaire Sala : le Tribunal Fédéral rejette le recours de Cardiff et entérine la sentence du TAS

par | 17, Mai, 2023

Par un arrêt du 30 mars 2023, rendu public le 9 mai dernier, la première Cour de droit civil du Tribunal fédéral suisse (ci-après « TFS »), compétente en matière d’arbitrage international, s’est prononcée sur le sort d’un recours en annulation à l’encontre d’une sentence rendue sous l’égide du Tribunal Arbitral du Sport (ci-après « TAS ») dans l’affaire du transfert du regretté joueur de football italo-argentin Emiliano Sala

Dans les faits, le litige opposait deux clubs de football professionnels, le Cardiff City Football Club (ci-après « CCFC») et le Football Club de Nantes (ci-après « FCN »), quant au transfert du joueur de football professionnel Emiliano Sala. En date du 19 janvier 2019, les parties ont conclu un contrat de transfert (ci-après le « Contrat ») pour un montant global de 17.000.000 d’euros, étalé en trois paiements. Une première tranche de 6.000.000 d’euros devait intervenir dans les cinq jours suivant l’enregistrement du joueur par le CCFC, puis une autre le 1er janvier 2020 et la dernière le 1er janvier 2021. À cette date, les deux clubs ont annoncé publiquement le transfert du joueur. Quelques jours après l’annonce, le joueur objet de la transaction est décédé dans des conditions tragiques alors qu’il rejoignait son nouveau club. 

Le 26 février 2019, le FC Nantes a assigné le club des Bluebirds devant la Commission du Statut du Joueur de la FIFA (ci-après « CSJ »), en respect de la clause compromissoire figurant à l’article 8.2 du Contrat, afin d’obtenir le règlement de la première tranche. En réponse, le CCFC faisait valoir que des fautes avaient été commises par le demandeur et opposait ainsi une demande de compensation de créance aux prétentions du FCN. Le 25 septembre 2019, l’organe juridictionnel de la FIFA a conclu en faveur du FCN et a estimé qu’il était incompétent sur la demande de compensation soulevée en défense. Le club de Cardiff a interjeté appel de la décision devant le TAS. 

Par une sentence rendue le 26 août 2022, le tribunal arbitral formé sous les auspices du TAS a rejeté l’appel du CCFC. Aux termes de sa sentence, la formation a notamment conclu : “ The Panel thus concludes that (i) CCFC is procedurally precluded from availing itself of the alleged set-off claim, and (ii) in answer to question no. 3 of the Bifurcated Issues, the substantive prerequisites for a set-off are not fulfilled. “ [1]. Le tribunal arbitral a donc adopté la même position que la CSJ en confirmant son incompétence pour se prononcer sur la demande de compensation alléguée par Cardiff.

Ainsi, le CCFC a formé un recours afin d’obtenir l’annulation de la sentence en se fondant sur l’alinéa 2 de l’article 190 de la LDIP. Au soutien de son recours, le club gallois présente quatre moyens devant la juridiction helvétique :  

  1. Le refus du tribunal arbitral d’admettre sa compétence sur la demande de compensation ;
  1. Une atteinte au principe d’égalité des parties ;
  1. Diverses violations du droit à être entendu ;
  1. Une contrariété de la sentence à l’ordre public

Dans sa décision, le TFS consacre ses principaux développements sur le premier moyen présenté par le recourant. En effet, la question principale étant de savoir si la CSJ, puis le TAS en appel, était compétente pour connaître de la demande de compensation opposée par le Cardiff City Football Club.

A titre liminaire, la Cour souligne que « le TAS, lorsqu’il est saisi par la voie de l’appel, ne peut examiner la prétention opposée en compensation que si l’organe juridictionnel appelé à se prononcer en première instance sur le litige, en l’occurrence la CSJ FIFA, était lui-même habilité à le faire. » (Point n°5.3.2). Ainsi, l’on comprend que les deux organes juridictionnels sont intimement liés nonobstant leur indépendance structurelle. 

Ensuite, il convient de rappeler que le premier alinéa de l’article 377 du Code de procédure civile suisse, relatif à la compensation, dispose que : 

« Le tribunal arbitral est compétent pour statuer sur l’exception de compensation même si la créance qui la fonde ne tombe pas sous le coup de la convention d’arbitrage ou fait l’objet d’une autre convention d’arbitrage ou d’une prorogation de for. ».

Or, dans le prolongement de sa jurisprudence[2], la Cour suprême suisse relève que « […] la CSJ FIFA n’est ni une autorité étatique ni un tribunal arbitral mais uniquement l’organe juridictionnel d’une association de droit privé. » (Point n°5.5.4). Par conséquent, il n’est pas possible selon elle de « transposer simplement un principe de procédure civile suisse […] aux litiges soumis à l’organe de règlement des différends d’une association privée. » (Ibid). L’article 377 du CPC suisse ne serait donc pas applicable aux litiges se présentant devant la CSJ.  

À l’aune de sa décision, la Cour rappelle également « qu’une association de droit suisse jouit, en vertu du principe de l’autonomie de l’association garanti par l’art. 63 CC, d’une large autonomie dans l’établissement et l’application des règles qui régissent sa vie sociale ainsi que ses relations avec ses membres » (Point n°5.5.5). En outre, selon une jurisprudence constante[3] de la Cour « il convient d’interpréter les statuts d’une association sportive majeure, comme la FIFA, en particulier les clauses relatives à des questions de compétence, selon les règles d’interprétation de la loi » (Point n° 5.5.5.1).

Dès lors, les règles édictées par la FIFA ne précisant pas le sort d’une demande de compensation présentée devant la CSJ, c’est à bon droit que la CSJ a décliné sa compétence sur cette demande du CCFC lors de la procédure de première instance. Ainsi, le TFS rejette ce premier moyen en ce qu’il valide la déclinaison de compétence de la CSJ, puis du TAS, pour connaître de la demande de compensation.  

Sur le second moyen, le recourant arguait d’une atteinte au principe d’égalité des parties dès lors que l’un de ses experts n’avait pas pu être auditionné devant le tribunal arbitral. 

La Cour constate cependant que, outre les « péripéties procédurales » rencontrées avec l’expert, « la violation dénoncée par le recourant du principe d’égalité des parties n’a eu aucune influence sur le sort de la procédure » (Point n°6.3) et ne laisse donc pas prospérer cet argument.

Sur le troisième moyen, relatif à une prétendue violation du droit à être entendu, le CCFC réitère l’argumentaire qu’il avait développé dans son premier et deuxième moyen, la Cour rejette donc logiquement ce moyen en renvoyant à ses précédents développements. 

Enfin, sur le quatrième et dernier moyen, relatif à une incompatibilité de la sentence avec l’ordre public, le Tribunal fédéral nous donne sa lecture de ce grief : « Une sentence est incompatible avec l’ordre public si elle méconnaît les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique » et saisit l’occasion pour rappeler la distinction entre l’ordre public procédural et l’ordre public matériel (Point n°8.1 et s.).

Néanmoins, cet argument ne convainc pas plus la Cour suprême et cette dernière va même jusqu’à faire une remarque cinglante en ce que « le moyen fondé sur l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, à la recevabilité plus que douteuse, ne saurait prospérer » (Point n°8.2.1). 

Dès lors, le recours dirigé par le Cardiff City Football Club contre la sentence CAS 2019/A/6594 du 22 août 2022 est rejeté par le Tribunal fédéral suisse. Ce dernier met à la charge du recourant les frais judiciaires et le condamne à régler les dépens au FC Nantes. 

Toutefois, les dirigeants du Cardiff City Football Club ne semblent pas avoir abdiqué. En effet, dans une récente interview accordée au quotidien français l’EquipeVincent Tan, propriétaire du club gallois, déclarait : « Je suis très en colère. Nous n’avons pas le choix, nous n’arrêterons pas. Ce n’est que le début, pas la fin. ». Cette volonté a été récemment réaffirmée lors de l’assignation du FC Nantes par le CCFC devant le tribunal de commerce de Nantes aux fins de voir la responsabilité du club de la Cité des Ducs engagée pour les « pertes de revenues subies » par le club gallois, notamment à la suite de sa relégation en Championship (deuxième division anglaise) en 2019. 

Liens utiles : 


[1] Point n°189 de la sentence CAS 2019/A/6594

[2] V. notamment TF, 13 janv. 2022, n°4A_344/2021 

[3] V. notamment TF, 2 juin 2021, n° 4A_618/2020 et 29 juillet 2020, n°4A_462/2019

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