Un récent article de Jurisportiva posait la question de la baisse des salaires des joueurs de football de Ligue 1 dans le contexte de la crise sanitaire liée à la COVID-19. Au niveau international, la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA (ci-après la « CRL ») a été amenée à trancher des litiges entre clubs et joueurs étrangers en raison de la décision de ces premiers de réduire unilatéralement le salaire des seconds. Plus précisément, ces litiges concernaient des contrats de travail soumis exclusivement à la règlementation de la FIFA pour lesquels la CRL est compétente s’agissant de litiges de dimension internationale entre un club et un joueur.
Pour trancher ces litiges, la CRL s’est fondée sur des directives adoptées par le Bureau du Conseil de la FIFA en 2020 prévoyant en particulier que les décisions unilatérales portant sur des conditions contractuelles doivent uniquement être entérinées par la CRL si elles ont été prises de bonne foi et si elles sont raisonnables et adéquates. La FIFA a, par ailleurs, précisé la façon dont la CRL devait appréhender la question de la force majeure, justification principale des clubs pour réduire unilatéralement le salaire des joueurs. A cet égard, la règle suivie par la CRL a été la suivante :
« La FIFA n’ayant pas déclaré que la crise de la COVID-19 était un cas de force majeure dans un pays ou territoire spécifique, il incombe à la partie invoquant la force majeure d’établir l’existence d’un tel cas en vertu du droit applicable ainsi que des conséquences qui en résultent. L’analyse doit être faite au cas par cas en prenant en compte l’ensemble des circonstances pertinentes ».
Au terme de cette règle, la CRL a ainsi accepté que les clubs puissent apporter la preuve qu’en vertu de leur loi nationale, la situation à laquelle ils étaient confrontés, justifiant la réduction unilatérale des salaires, était reconnue comme un cas de force majeure. La CRL n’a toutefois pas précisé en quoi consisterait une telle preuve. Aussi, les clubs devaient-ils préalablement saisir une juridiction de droit commun aux fins d’obtenir cette preuve, ce en contradiction avec les termes du contrat de travail signé avec les joueurs écartant expressément le droit local ? Un avis de droit signé par un professeur suffirait-il ?
Dans les contentieux que nous avons eus à suivre, la CRL a écarté le motif de force majeure en raison du manque de preuves établissant l’existence d’un cas de force majeure, ce qui a donné lieu à des appels formés devant le TAS et à des questions de droit international privé sur le fait de savoir si la question de l’établissement de la force majeure devait s’analyser en droit local (selon les directives FIFA, mais en contradiction avec les termes du contrat de travail qui écartent le droit local) ou en droit suisse selon l’article R58 du code de l’arbitrage en matière de sport qui dispose :
« La Formation statue selon les règlements applicables et, subsidiairement, selon les règles de droit choisies par les parties, ou à défaut de choix, selon le droit du pays dans lequel la fédération, association ou autre organisme sportif ayant rendu la décision attaquée a son domicile ou selon les règles de droit que la Formation estime appropriées. Dans ce dernier cas, la décision de la Formation doit être motivée».
Il en résulte une certaine incertitude sur le droit applicable. D’une part, les règlements applicables, soit les règlements FIFA évoqués supra– permettent aux clubs d’exciper de leur droit national pour justifier de l’existence d’un cas de force majeure (et ainsi éventuellement justifier de la réduction unilatérale des salaires), d’autre part l’article 58 du code de l’arbitrage en matière de sport dispose que la formation arbitrale doit (subsidiairement) statuer en vertu du droit suisse (droit du pays dans lequel siège la FIFA).
Quelle règle de droit la formation arbitrale va-t-elle in fine appliquer ? A notre avis, l’article R58 doit se lire comme suit : la formation vérifiera, en premier lieu, la légalité (soit la conformité) de la décision de la CRL au regard des règlements FIFA applicables. En second lieu, elle appliquera tous les moyens de droit suisse dont les parties pourraient exciper et qui sont multiples. Dans ce cadre et par souci de cohérence, elle devrait analyser la force majeure sous le seul angle du droit suisse.
Rhadamès Killy
Avocat à la Cour – Attorney-at-Law, California State Bar
Crédit photo : Europe 1