CJCE 18 juillet 2006, Meca-Medina & Majcen, C-519/04
Dans l’arrêt Bosman (1), la CJCE avait pris en considération l’aspect économique grandissant dans le sport, comprenant notamment les flux financiers devenus de plus en plus importants, mettant de côté certaines conséquences que pourrait engendrer l’arrêt précité. C’est ainsi que l’on a pu constater de nombreuses atteintes à la stabilité contractuelle ou encore l’entrave à la concurrence entre les clubs amateurs et les clubs professionnels.
Considérant que le sport est « irréductible à un simple spectacle commercial » (2), il ne peut être assimilé à toute autre concurrence économique, dans la mesure où les entreprises cherchent à assurer une prédominance sur le marché dans lequel elles opèrent ; d’où la nécessité d’une intervention étatique pour préserver la liberté concurrentielle.
En revanche, la compétition sportive est soumise à une toute autre logique, d’une part en raison du fait que l’existence de concurrents est indispensable à la survie de la compétition sportive et d’autre part parce que le sport « n’a pas été créé pour dégager des flux monétaires. Il a sa propre logique : La victoire sur le temps et sur l’adversaire dans laquelle l’athlète recherche aussi sa satisfaction personnelle, l’incertitude du résultat faisant précisément la spécificité du spectacle sportif ».
Ainsi, c’est à travers l’angle de la compatibilité de la réglementation antidopage du Comité International Olympique (CIO) avec les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (anciennement articles 81 et 82 du Traité CE) que la question de l’applicabilité du droit communautaire de la concurrence au sport s’est posée.
Dans les faits, deux nageurs professionnels, arrivés premier et deuxième du Championnat du Monde de longue distance en 1999, avaient été contrôlés positifs à la nandrolone, substance interdite par la réglementation internationale antidopage. La Fédération Internationale de Natation (FINA) avait suspendu les athlètes pour une durée de quatre ans, réduite ensuite à deux ans par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS). Les deux sportifs ont alors saisi la Commission Européenne estimant que la réglementation antidopage du CIO était incompatible avec les dispositions du Traité CE, notamment en matière d’ententes illicites et d’abus de position dominante.
La Commission a d’abord rejeté la plainte des athlètes estimant que les règles antidopage « sont intimement liées au bon déroulement de la compétition sportive, qu’elles sont nécessaires pour lutter contre le dopage et que leurs effets restrictifs ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Par conséquent, elles ne tombent pas sous le coup de l’interdiction édictée aux articles 81 et 82 du Traité CE » (3).
Suite au recours déposé par les nageurs devant le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes (TPICE), ce dernier a estimé que la lutte antidopage ne relevait pas du champ d’application du droit communautaire dans la mesure où sa finalité ne poursuit aucun objectif économique puisque le dispositif tend à préserver l’éthique sportive et la santé des sportifs (4).
Dans son arrêt du 18 juillet 2006, la CJCE a annulé la décision du TPICE en retenant que les règles antidopage sont soumises au droit communautaire en ce sens que le caractère purement sportif d’une réglementation ne saurait faire déroger le sportif du champ d’application du droit communautaire si il continue à exercer son activité économique.
Ainsi, il ressort de l’arrêt que la réglementation antidopage qui est intrinsèquement non-économique, produit des effets économiques indirects dès lors qu’elle s’applique à l’activité sportive considérée comme économique, et soumise par conséquent aux dispositions du Traité CE (5).
Ce raisonnement adopté par la CJCE conduit à considérer que l’inapplicabilité du droit communautaire aux réglementations « purement sportives » est conditionnée au fait que la règle sportive soit entièrement dénuée de conséquences économiques directes ou indirectes.
Dans le cas des nageurs, les sanctions émanant du dispositif antidopage ont inéluctablement eu des conséquences économiques sur l’activité des athlètes suite à leur suspension de plusieurs années. Par conséquent, la CJCE considère que la réglementation antidopage entre dans le champ d’application du droit communautaire.
Quant à la compatibilité de la réglementation antidopage du CIO avec le droit communautaire de la concurrence, la Cour part du constat que la réglementation litigieuse était constitutive d’un accord entre entreprises pour déterminer in concreto si elle a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence au sens des dispositions du Traité. Elle devait ensuite examiner si les effets restrictifs de concurrence étaient proportionnés à la poursuite des objectifs poursuivis par la réglementation consistant à assurer le bon déroulement de la compétition sportive, dans la lignée de la jurisprudence Wouters (6).
D’abord, la Cour estime que le caractère répressif de la réglementation litigieuse et l’importance des sanctions applicables sont susceptibles de produire des effets anticoncurrentiels dans la mesure où elle pourrait « conduire à l’exclusion injustifiée de l’athlète des compétitions » (7).
Ensuite, dans son test de proportionnalité, la CJCE a considéré que le caractère excessif des restrictions doit s’apprécier d’une part, dans la détermination des seuils permettant de fixer la ligne de partage entre les situations relevant du dopage passible de sanctions et celles qui n’en relèvent pas et d’autre part, dans la sévérité desdites sanctions (8). Or, la CJCE juge que les restrictions imposées aux athlètes par le seuil au-delà duquel la présence de la nandrolone est constitutive de dopage iraient au-delà de ce qui est nécessaire afin d’assurer le déroulement et le bon fonctionnement des compétitions sportives (9). Par ailleurs, les requérants n’ayant pas objecté le caractère excessif des sanctions infligées, le caractère disproportionné de la réglementation antidopage n’est dès lors pas établi.
Ainsi, l’arrêt Meca-Medina constitue un revirement dans la jurisprudence communautaire.
En effet, dans l’arrêt Walrave et Koch (10), la Cour avait confirmé que le droit communautaire ne s’appliquait pas aux règles « intéressant uniquement le sport », les considérant comme étrangères aux activités économiques visées par le Traité CE.
Aussi, l’arrêt Deliège (11) a reconnu que les instances sportives sont les mieux placées pour mettre en place des règles purement sportives au motif qu’elles étaient les plus compétentes en termes de connaissances et d’expérience.
L’arrêt Meca-Medina revient sur la jurisprudence communautaire appliquée au domaine sportif en intégrant au champ d’application du droit communautaire, notamment à travers un angle concurrentiel, les règles antidopage qui, à priori, relèvent de la compétence naturelle des instances sportives. Cette solution de la CJCE pourrait d’ailleurs ouvrir « la voie à un nombre toujours croissant d’actions en justice visant à contester, sur la base du droit communautaire, les règles et pratiques en vigueur dans le domaine sportif » (11).
- CJCE 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93
- F. LATTY, La lex sportiva- Recherche sur le droit transnational, Thèse, 2005, Page 730
- Communiqué Comm. CE n° IP/02/1211, 9 août 2002.
- TPICE, 30 sept. 2004, aff. T-313/02, Meca-Medina
- Point 26 de l’arrêt Meca-Medina
- CJCE 19 février 2002, Wouters, C-309/99
- Point 47 de l’arrêt Meca-Medina
- Point 48 de l’arrêt Meca-Medina
- Point 54 de l’arrêt Meca-Medina
- CJCE décembre 1974, Walrave & Koch c. AUCI, aff. 36/74
- CJCE 11 avril 2000, Deliège C-51/96 et C-191/97
- Gianni Infantino, « Meca-Medina : un pas en arrière pour le modèle sportif européen et la spécificité du sport ? », https://editorial.uefa.com/resources/01bb-0f8425c6d323-18608d8eec5c-1000/meca-medina_un_pas_en_arriere_pour_le_modele_sportif_europeen_et_la_specificite_du_sport_.pdf.