Quel droit à l’image et quelle rémunération pour les sportifs professionnels ?

par | 12, Déc, 2022

La rémunération des sportifs est un sujet difficile à aborder. 
Il est soumis à un fragile équilibre entre, d’une part, augmenter la compétitivité des clubs français par rapport à ses voisins européens, en baissant les charges qui pèsent à l’encontre d’individus dont les rétributions atteignent des niveaux très élevés, voire indécents pour certains, et d’autre part, respecter le principe d’égalité devant les charges publiques. 
Cet équilibre est d’autant plus fragile que, si les clubs français n’améliorent par leur compétitivité, les meilleurs joueurs de nos championnats risquent de s’exiler chez nos voisins européens, la qualité du spectacle va diminuer, tout comme les cotisations sociales prélevées par l’État.
C’est dans la quête de cet équilibre qu’a été créé le droit à l’image collective (I) puis le droit à l’image individuelle (II). 

Le droit à l’image collective (DIC)

La loi « Lamour » du 15 décembre 2004 (l. n° 2004-1366, 15 déc. 2004, JO 16 déc.) portant diverses dispositions relatives au sport professionnel avait mis en place un mécanisme d’exonération partielle de cotisations sociales de la rémunération. 

A. Définition et régime 

L’idée de cette réforme était de distinguer le salaire perçu par les sportifs en contrepartie de l’exécution du contrat de travail stricto sensu et les exploitations auxquelles il donne lieu par la suite. 

Ces exploitations correspondaient à la commercialisation de l’image collective de l’équipe hors la présence des joueurs, à savoir : les droits audiovisuels hors direct, le merchandising, les contrats de parrainage et publicité. Plus concrètement, on peut évoquer le cas des vignettes Panini, du jeux-vidéo FIFA ou des NFT Sorare.

Le fait que cette exploitation se déroulait en dehors de la présence physique du joueur justifiait le rapprochement avec le mode de rémunération des artistes- interprète selon lequel une fraction du montant de la rémunération perd son caractère de salaire au bénéfice de celui de redevance

Ces redevances n’étaient pas prises en compte pour le calcul des cotisations de sécurité sociale du régime général, mais étaient soumises à la CSG et à la CRDS

Le pourcentage de redevance ne pouvait excéder 30 % de la rémunération brute totale versée au sportif professionnel.

B. Les raisons de la création du DIC 

Après des concertations organisées à l’occasion des États généraux du sports et la prise en considération des conclusions du rapport de Jean-Pierre Denis, Inspecteur des finances, il est ressorti la nécessité de créer le DIC.

Il a d’une part été constaté que l’image est devenue une composante essentielle du sport professionnel. Elle constitue souvent le principal vecteur de son développement. 

Sous la double impulsion de la forte progression des produits de la commercialisation des droits TV et de la volonté des clubs de diversifier leurs recettes pour les élargir aux ressources du sponsoring et à la vente des produits dérivés des marques, la pratique consistant à valoriser l’image de certains sportifs professionnels s’est développée dans des conditions jugées imparfaites voire abusives.

Pour les clubs, il s’agissait de profiter de la notoriété de leurs salariés les plus médiatiques pour soustraire une fraction de leurs rémunérations aux charges sociales. 

D’autre part, de nombreuses études, ont relevé le déficit de compétitivité des clubs professionnels français vis-à-vis de leurs principaux concurrents.

La baisse des charges résultant de la mise en œuvre des différents dispositifs devait permettre de susciter un cercle vertueux, permettant, à terme, de réduire l’exode des meilleurs joueurs à l’étranger, avec toutes les retombées fiscales induites et ainsi améliorer la compétitivité des clubs français vis-à-vis de leurs voisins européens. 

C. Le bilan du DIC : un succès relatif au coût incontrôlable par l’État payeur 

Selon le rapport du sénateur Michel Sergent, quatre ans après sa création, le DIC correspondait à un besoin réel du monde du sport professionnel, confronté à une compétition internationale exacerbée. Le système n’était toutefois pas satisfaisant en raison d’une efficacité limitée, procyclique et surtout un coût incontrôlable pour l’État.

1. Un atout en termes d’attractivité  

Le DIC a connu un succès immédiat auprès de plusieurs sports collectifs. Dès la saison 2005-2006, de nombreux clubs de football, de rugby et de basket-ball ont adopté ce dispositif.

Le droit à l’image collective a contribué à réduire l’écart entre la France et ses principaux concurrents européens en termes de coût global des salaires

L’effet du DIC était alors très net puisque malgré une augmentation importante du salaire moyen brut des joueurs de Ligue 1, les charges salariales et patronales ont légèrement diminué en valeur absolue. En conséquence, et bien que l’impôt sur le revenu acquitté par les joueurs ait augmenté, le salaire moyen net des footballeurs de Ligue 1 a affiché une progression de 40 % en deux ans. 

D’autre part, la France s’est rapprochée des standards internationaux en termes de différentiel entre salaire brut et salaire net. 

2. Un atout limité pour compenser de trop fortes disparités économiques et juridiques

Le DIC paraît toutefois insuffisant pour compenser l’écart de richesse toujours aussi important qui sépare les clubs français de leurs voisins européens. 

A titre d’exemple, en 2007, l’OL était le 13ème club récoltant le plus de recette avec des recettes 2,5 fois inferieures à celles du leader, le Real Madrid, et de 1,5 à 2 fois inferieures à celles de la dizaine de clubs de tête.

Cette insuffisance du DIC ressortait en réalité de son impact qui reste assez faible : le droit à l’image collective représente en réalité que 3% du budget total des clubs de football

3. Un atout au coût incontrôlable 

Les recettes non perçues par les organismes de sécurité sociale du fait de la création du DIC devaient être intégralement compensées par l’État. Depuis sa création, le coût du droit à l’image collective a fortement augmenté pour atteindre un montant de 32 millions d’euros pour 2008

Le coût du droit à l’image collective est devenue incontrôlable par l’État payeur : plus la santé financière des clubs est bonne et plus les joueurs sont mieux payés. 

En tout état de cause, la Cour des comptes estimait que le DIC « ne correspond (ait) nullement à une rémunération quelconque de la contribution des sportifs à l’image collective de leurs clubs, puisqu’il s’appliqu (ait)de façon indifférenciée à une fraction forfaitaire de leurs rémunérations, quel que soit leur apport réel à la commercialisation de l’image collective de leur équipe » (Rapp. C. Comptes 2009, Doc. fr., p. 509).

Pour l’ensemble de ces raisons, cumulée avec la crise financière de 2009, ont conduit le Parlement à supprimer le DIC alors qualifié de « niches fiscales et sociales accordées aux sportifs professionnels » … pour le remplacer par le droit à l’image individuelle !

Le droit à l’image individuelle (DI) 

La loi n° 2017-261 du 1er mars 2017 visant à préserver l’éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs a consacré le droit à l’image individuelle des sportifs en prévoyant la possibilité pour les associations et sociétés sportives de verser des redevances, distinctes des salaires liés au contrat de travail de sportif professionnel, aux sportifs et entraîneurs professionnel qu’elles emploient en contrepartie de l’utilisation commerciale des attributions de leur personnalité tels que leur image, leur nom ou leur voix.

A. Définition et régime

En 2014, le rapport Glavany préconisait l’idée de faire évoluer le régime des cotisations sociales portant sur les rémunérations des joueurs. Il s’agissait de distinguer les deux fonctions distinctes exercées par les sportifs : 

  • Celle de compétiteur, liée aux rencontres sportive ainsi qu’aux entrainements dans le cadre d’un lien de subordination, et ;
  • Celle d’ambassadeur de son image, liée à la participation à des opérations promotionnelles auprès de partenaires, à des campagnes publicitaires ou à l’utilisation du nom, de la voix, de l’image sur des produits dérivés ou lors de reportages ou de rediffusion d’évènements sportifs.

En contrepartie de ces fonctions d’ambassadeur de son imagele sportif bénéficie, depuis la loi du 1er mars 2017, d’une redevance qui s’ajoute à la rémunération liée au contrat de travail et qui fait l’objet d’une taxation. 

Cette redevance est déterminée selon le ratio entre les recettes éligibles et le chiffre d’affaires d’exploitation totale. Les recettes éligibles sont l’ensemble des recettes des clubs non liées à la présence physique des joueurs mais qui résulte de l’exploitation de l’image de l’équipe à savoir :  les recettes issues des contrats de sponsoring, d’image, de merchandising et des ventes de droits audiovisuels différés.

Cette rémunération de l’image est soumise à l’impôt sur le revenu, à la CSG et à la CRDS mais pas aux cotisations sociales salariales et patronales. Les revenus sont assimilés à des revenus du patrimoine et leur déclaration est contrôlée par les URSSAF.

Il ne s’agit pas de « traficoter » le contenu d’une rémunération comme cela a pu être reproché avec le DIC mais simplement de créer un moyen supplémentaire de rémunérer les footballeurs professionnels

En tout état de cause, le montant des cotisations qui n’est plus récolté n’est pas compensé par l’État contrairement au système prévu pour la DIC. 

B. Les raisons de la création du droit à l’image individuelle 

Comme pour le DIC, le droit à l’image individuelle vise à développer et diversifier les recettes des clubs professionnels, augmenter la compétitivité des clubs français par rapport aux voisins européens en raison du montant élevé des charges sociales qui pèsent sur la rémunération des joueurs professionnels. 

A la différence du DIC qui s’appliquait à tous les sportifs, le droit à l’image individuelle ne concerne que ceux dont le club utilise l’image, le nom ou la voix.  Concrètement, un joueur qui, grâce à la vente de maillots ou de mugs à son effigie, permet à un club de générer des recettes, percevra une redevance contrairement à un jeune professionnel qui vient de signer son premier contrat. Ce nouveau dispositif permet donc de tenir compte de la réalité de l’utilisation par les clubs de l’image individuelle des sportifs. 

Par ailleurs, la réforme du droit à l’image individuelle permet aux clubs de sanctionner un joueur dont le comportement irrégulier nuirait à leur image et prélever une partie de sa redevance alors que le droit du travail interdit toute sanction pécuniaire pour tout salarié.

L’hostilité de certains parlementaires relative au droit à l’image individuelle, selon lesquels, ce régime créer une « niche fiscale » aux profits des sportifs professionnels, à l’instar du droit à l’image collective et viole ainsi le principe d’égalité devant les charges publiques n’aura pas empêché la création de ce droit. 

Conclusion 

Les réformes successives relatives à l’image des footballeurs ont toutes comme objectif d’augmenter la compétitivité des clubs français par rapport à ces concurrents européens. Cette compétitivité est à chaque fois obtenu en exonérant de charges sociales une partie de la rémunération du sportif. Une telle exonération entraine une baisse de charges importantes pour l’État, susceptible de caractériser une violation du le principe d’égalité devant les charges publiques (d’autant plus insupportable pour certains qui jugent les salaires des sportifs indécents). 

Il existerait peut-être une alternative qui permet d’augmenter la compétitivité des clubs français sans diminuer les charges sociales.  

Au lieu de se concentrer sur le régime d’exploitation de cette image, il conviendrait de s’intéresser aux domaines d’exploitation de cette image. Or, dans l’ensemble des travaux parlementaire des lois de 2004, de 2009 ou de 2017, seule est évoquée la commercialisation de l’image des footballeurs par le club.

Aucun parlementaire ne fait état de la commercialisation de l’image des footballeurs, par le syndicat des footballeurs, l’UNFP. Pourtant, selon l’article 280 de la Charte du football professionnel : « d) L’édition, la reproduction ou l’utilisation de l’image individuelle et collective de joueurs professionnels évoluant en France et regroupant simultanément plusieurs joueurs de plusieurs clubs, ne pourront être réalisées qu’avec l’accord et au profit de l’UNFP ».

Par cette disposition, le syndicat s’est discrétionnairement octroyé le droit de commercialiser, à son seul profit, l’exploitation de l’image « multi-club » des footballeurs professionnels. Dans ces conditions, l’UNFP n’hésite pas à céder ce droit à EA SPORTS qui édite le jeux vidéo FIFA ou à PANINI (quand bien même aucune vignette ne représente plusieurs joueurs de plusieurs clubs comme l’exige la Charte). 

Si les clubs reprenaient la main sur la commercialisation pour l’instant réalisée par et « au [seul] profit de l’UNFP », cela leur permettrait de réaliser des profits supplémentaires et d’augmenter leur compétitivité sans diminuer les charges prélevées par l’État. 

Mieux encore, la reprise en main par les clubs de l’exploitation à l’image de leurs joueurs augmenterait en réalité les charges récoltées par l’État puisque la rémunération de l’image du joueur par le club est soumise à l’impôt sur le revenu, à la CSG et à la CRDS.

Qu’en est-il des 200 euros versés par l’UNFP aux footballeurs évoluant en Ligue 1 en contrepartie de l’exploitation de leur image ? Sont-ils soumis à l’impôt sur le revenu, à la CSG et à la CRDS ? 

Réponse au prochain épisode … 

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