Alors que l’ensemble du mouvement sportif a récemment été pointé du doigt par un rapport parlementaire rendu le 22 janvier dernier, lequel visait notamment à identifier les défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, le traitement des signalements liés aux violences et discriminations a été la cible de nombreuses critiques.
Au regard du dossier de presse[1] paru le lendemain, ce rapport « révèle des défaillances majeures dans la réponse des fédérations : une approche inappropriée de la part de plusieurs dirigeants fédéraux et des défaillances lourdes de l’action disciplinaire mises en évidence par les auditions ».
Sanctionner, oui, mais à quel prix ? Dans les faits, les Fédérations n’ont pas toujours la marge de manœuvre nécessaire pour pouvoir agir à l’encontre des acteurs du monde fédéral auxquels il est reproché un comportement fautif. De quelles preuves les organes disciplinaires doivent-ils se satisfaire ? Doivent-ils s’abstenir de se prononcer lorsque les faits se sont déroulés de nombreuses années auparavant (les faits étant même, parfois, prescrits sur le plan pénal) ? Doivent-ils au contraire sursoir à statuer lorsque l’action pénale engagée parallèlement n’a pas encore abouti ? Peuvent-ils sanctionner alors même que le mis en cause n’est plus licencié à la Fédération en question ? Ce sont autant de problématiques qui peuvent expliquer cette impression « d’inaction » des Fédérations, dont le rapport parlementaire est fortement empreint.
L’une d’elles, relative à la qualité que doit revêtir le mis en cause lors du prononcé de la sanction disciplinaire, est par exemple l’objet d’interprétions diverses de la doctrine, des universitaires, et des Fédérations agréées elles-mêmes (!). Autrement dit, lorsqu’un organe disciplinaire est amené à prendre une décision, sa compétence se cantonne-t-elle aux seuls détenteurs d’une licence fédérale ? Ou s’étend-elle à tous mis en cause, pourvu que ceux-ci aient été détenteurs d’une licence fédérale au moment des faits reprochés ?
La réponse à cette question peut se trouver au sein de deux sources distinctes, ce qui explique aujourd’hui l’existence d’un léger flou juridique que seul le juge administratif pourra éclaircir.
I/ Un règlement disciplinaire type conférant un pouvoir étendu aux fédérations sportives
Afin d’obtenir ou de renouveler leur agrément, prévu par l’article L131-8 du code du sport, les fédérations sportives sont tenues de respecter certaines obligations, énumérées à l’article R131-3. Ce dernier impose ainsi aux fédérations, notamment, d’adopter un règlement disciplinaire conforme au règlement disciplinaire type (ci-après « RDT ») figurant à l’annexe I-6 du code du sport. En d’autres termes, les règlements disciplinaires des fédérations sollicitant l’agrément doivent être rédigés sur le même modèle que ce RDT.
Initialement mis en place par le décret n° 93-1059 du 3 septembre 1993 relatif aux règlements disciplinaires des fédérations participant à l’exécution d’une mission de service public, le RDT subit une transformation profonde vingt ans plus tard, suite au décret n° 2016-1054 du 1er août 2016 relatif au règlement disciplinaire type des fédérations sportives agréées. Depuis, mis à part quelques réajustements en 2017, le RDT n’a jamais été modifié.
Parallèlement, l’activité disciplinaire des Fédérations –et notamment des petites et moyennes Fédérations, qui connaissaient peu de poursuites disciplinaires par le passé– a pris une ampleur certaine ces dernières années, s’expliquant notamment par la libération de la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles dans le milieu sportif. S’ajoute à cela la complexe coexistence des procédures administrative, judiciaire et disciplinaire, qui peuvent être dirigées contre un même individu mais dont la célérité et la temporalité varient considérablement. Ces préoccupations nouvelles auraient pu (dû ?) aboutir à une évolution du RDT (de nombreuses Fédérations avaient d’ailleurs commencé à travailler en étroite collaboration avec le CNOSF à ce sujet en 2022, ces travaux ayant depuis été transmis au ministère), mais celle-ci n’a pas eu lieu.
Aujourd’hui, c’est à l’article 2 du RDT qu’est abordée la compétence des organes disciplinaires des fédérations sportives. Il dispose que :
« Il est institué un ou plusieurs organes disciplinaires de première instance et un ou plusieurs organes disciplinaires d’appel investis du pouvoir disciplinaire à l’égard :
1° Des associations affiliées à la fédération ;
2° Des licenciés de la fédération ;
3° Des titulaires de titres permettant la participation aux activités sportives de la fédération ;
4° Des organismes à but lucratif dont l’objet est la pratique d’une ou plusieurs disciplines de la fédération et qu’elle autorise à délivrer des licences ;
5° Des organismes qui, sans avoir pour objet la pratique d’une ou plusieurs disciplines de la fédération, contribuent au développement d’une ou plusieurs de celles-ci ;
6° Des sociétés sportives ;
7° Tout membre, préposé, salarié ou bénévole de ces associations et sociétés sportives agissant en qualité de dirigeant ou de licencié de fait.
Ces organes disciplinaires sont compétents pour prononcer des sanctions à raison des faits contraires aux règles posées par les statuts et règlements de la fédération, de ses organes déconcentrés ou, le cas échéant, de la ligue professionnelle et commis par une personne physique ou morale en une des qualités mentionnées ci-dessus à la date de commission des faits. ».
Cet article se retrouve aujourd’hui dans la quasi-totalité des règlements disciplinaires des fédérations sportives agréées. Il vient préciser, de manière exhaustive, la liste des différentes personnes physiques ou morales soumises au pouvoir disciplinaire des fédérations. Mais, plus encore, il indique que la qualité des personnes soumises à ce pouvoir s’apprécie à la date de commission des faits. Autrement dit, une personne qui aurait perdu cette qualité après avoir commis des faits répréhensibles disciplinairement, pourrait tout de même se voir infliger une sanction disciplinaire par les organes compétents. Par exemple, un licencié qui commettrait des violences physiques lors d’une saison sportive pourrait se voir sanctionner lors de la saison suivante, et ce même sans avoir renouvelé sa licence fédérale. L’analyse serait la même pour un club affilié (association relevant de la loi du 1er juillet 1901) qui aurait manqué, par exemple, à des règles d’éthiques et de déontologie, mais qui n’aurait pas repris son affiliation par la suite (l’organe disciplinaire pourrait, tout de même, prendre une décision à son encontre).
Cette lecture est aujourd’hui partagée par de nombreuses fédérations car elle leur octroie une capacité d’action étendue, sans qu’on puisse leur reprocher, a posteriori, de ne pas avoir agi. Cependant, elle est susceptible d’entrer en contradiction avec une interprétation plus stricte découlant de la jurisprudence constante du Conseil d’État.
II/ Une jurisprudence restrictive toujours en application
Si nous devions répertorier les « grands arrêts de la jurisprudence en droit du sport », l’arrêt Noulard rendu par le Conseil d’État en 1983[2] pointerait probablement en haut de la liste.
Dans cette affaire, la commission de discipline de la Fédération française de karaté, taekwondo et arts martiaux affinitaires, avait prononcé à l’encontre d’un sportif une peine disciplinaire de cinq ans de suspension. Le Conseil d’État retient à l’époque, suite à la lecture combinée des articles 11 et 13 de la loi du 29 octobre 1975 relative au développement de l’éducation physique et du sport[3], « qu’une fédération sportive n’est pas habilitée à prononcer une sanction disciplinaire à raison de faits qui, quelle que soit la date à laquelle ils ont été commis, l’ont été par une personne qui, à la date à laquelle il est statué par l’organe compétent de la fédération, n’avait plus la qualité de licencié de cette fédération». En l’espèce justement, le sportif n’avait pas renouvelé sa licence fédérale pour l’année en cours, de sorte que la sanction disciplinaire prononcée à son encontre était dépourvue de base légale et encourrait l’annulation.
Cette solution fut plusieurs fois retenue depuis (voir en ce sens des arrêts rendus le 26 octobre 1992[4] et le 25 mai 2010[5] par le Conseil d’État, ou encore un arrêt du 4 juillet 2013 rendu par la Cour administrative d’appel de Nantes[6]), la dernière en date l’ayant été par un arrêt retentissant rendu le 28 avril 2014[7] et concernant l’ancien directeur sportif du Paris Saint-Germain, Leonardo Nascimento de Araújo.
Dans cet arrêt, à la suite d’une altercation avec un arbitre, Leonardo avait été suspendu le 3 juillet 2013 par la commission disciplinaire d’appel de la FFF de « toute activité sportive en lien avec le football en France jusqu’au 30 juin 2014 ». Retenant que ce dernier ne possédait pas la qualité de licencié à la FFF au moment du prononcé de la sanction, et s’alignant sur sa jurisprudence déjà ancrée depuis 30 ans, le Conseil d’État avait une nouvelle fois retenu « qu’une fédération sportive agréée, qu’elle ait ou non reçu la délégation du ministre chargé des sports prévue à l’article L. 131-14, n’est habilitée à prononcer une sanction disciplinaire qu’à l’encontre des personnes qui, à la date à laquelle il est statué par l’organe disciplinaire compétent de la fédération, ont la qualité de licencié de cette fédération ».
L’affaire était toutefois quelque peu différente des décisions antérieures car Leonardo, en l’espèce, n’avait jamais eu la qualité de licencié (ni au moment des faits, ni au moment du prononcé), mais revêtait seulement la qualité de « licencié de fait » finalement[8].
Cette décision avait bénéficié, à l’époque, d’un certain écho médiatique et juridique au regard du poste qu’occupait Leonardo et de l’impossibilité (paradoxale) pour la FFF de prononcer une sanction à son égard. Peu de temps après, la doctrine invitait déjà à « réfléchir soit pour développer les pouvoirs des fédérations soit pour rendre obligatoire la détention de licence pour les principaux dirigeants de l’entreprise que constitue le club professionnel »[9]. Certains y percevaient également un « détournement de procédure » utilisé par des clubs sportifs, car il semblait en effet « qu’il suffise de ne pas licencier un élément pourtant central d’un club pour le faire échapper à toute sanction. »[10].
La FFF, ne parvenant pas à l’époque à faire accepter au juge administratif la qualité de « licencié de fait » de Leonardo (ce qui sera également un apport du nouveau RDT de 2016), procédera à la modification de l’article 59 de ses Règlements généraux afin d’instaurer l’obligation pour les dirigeants de club d’être titulaires d’une licence fédérale.
III/ Une articulation complexe entre les deux lectures
D’un côté, nous avons donc le RDT qui permettrait aux organes disciplinaires de venir sanctionner des pratiquants non-licenciés, tant que ceux-ci disposaient bien d’une licence fédérale au moment de la commission des faits. De l’autre, nous retrouvons la position du Conseil d’État selon laquelle il est nécessaire que le pratiquant soit licencié au moment où l’organe disciplinaire prononce sa décision, pour que celle-ci soit légale. Deux articulations sont envisageables :
a. Des lectures cumulatives
D’abord, nous pourrions envisager que les deux lectures sont à combiner, c’est-à-dire considérer que les deux conditions sont cumulatives, et qu’il est nécessaire, pour qu’une personne soit sanctionnée, qu’elle soit licenciée au jour de la commission des faits et au jour où la sanction est prise. Cette lecture, aussi stricte qu’elle puisse être, serait a priori la moins risquée à adopter.
Elle se justifie de plus par le fait qu’en pratique, lorsqu’un organe disciplinaire souhaite sanctionner un pratiquant, c’est notamment car ce dernier continue d’intervenir dans le giron fédéral (il encadre, il pratique, il dirige, il aide bénévolement, etc.). Or, de nombreuses fédérations imposent désormais la détention d’une licence fédérale dès lors que l’on intervient dans leurs champs d’action. Nous trouvons ainsi, de plus en plus, des licences « encadrant », des licences « dirigeants », des licences « bénévoles », ou encore des licences « non-pratiquants ». L’article L131-6 du code du sport fonde d’ailleurs cette possibilité, en précisant que « Les statuts des fédérations sportives peuvent prévoir que les membres adhérents des associations affiliées doivent être titulaires d’une licence sportive. », et ce mouvement a récemment été amplifié par le déploiement du contrôle d’honorabilité des bénévoles (encadrants, dirigeants, arbitres) reposant sur la détention d’une licence.
De sorte que, aujourd’hui, rares deviennent les cas où les organes disciplinaires sont amenés à se prononcer à l’encontre d’une personne non-licenciée à la Fédération : soit la personne intervient dans le giron fédéral, et alors dans la majorité des cas elle détiendra une licence (peu importe son type), ou à défaut elle aura a minima la qualité de licencié de fait ; soit la personne n’intervient plus dans le giron fédéral, elle n’est alors ni licenciée, ni licenciée de fait. Dans ce second cas, la Fédération n’a, en soi, même plus intérêt à agir contre elle. Il lui suffirait alors d’attendre que la personne soit de nouveau licenciée (« fédéralement », ou « de fait »), afin d’enclencher immédiatement une procédure disciplinaire à son encontre, couplée d’une mesure conservatoire.
Cette interprétation stricte, impliquant l’existence d’un lien juridique afin de pouvoir sanctionner, se retrouve par ailleurs dans d’autres branches du droit, tel que le droit du travail. C’est en effet dans le contrat de travail qui le lie à ses salariés que le pouvoir disciplinaire de l’employeur trouve sa source. C’est ainsi qu’à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, ce dernier peut, après avoir respecté une procédure stricte imposée par le code du travail[11], prononcer une sanction à son égard. Le salarié reste par ailleurs soumis à ce pouvoir disciplinaire pendant les périodes de préavis (de démission ou de licenciement par exemple), ou pendant d’éventuelles suspensions de son contrat de travail[12]. Cependant, dès lors que le lien juridique entre l’employeur et le salarié (matérialisé par le contrat de travail duquel découle le lien de subordination) est rompu, alors le pouvoir disciplinaire disparaît automatiquement. Il est ainsi difficile d’imaginer un employeur sanctionner son ancien salarié pour des faits fautifs commis durant l’existence du contrat de travail.
Un raisonnement analogue s’observe dans le domaine de la fonction publique, où un agent public peut également faire l’objet d’une sanction disciplinaire en cas de manquement à ses obligations[13]. Le pouvoir disciplinaire appartient alors, sauf délégation, à l’autorité investie du pouvoir de nomination du fonctionnaire. Notons que si le fonctionnaire placé en disponibilité demeure soumis à son statut et peut ainsi faire l’objet d’une sanction disciplinaire[14], ce pouvoir disparaîtra également dès lors que le fonctionnaire ou l’agent contractuel démissionne de la fonction publique.
En droit du travail, aucun doute ne semble donc subsister quant au fait que le pouvoir disciplinaire de l’employeur s’efface dès lors que celui-ci n’est plus lié par un lien juridique au subordonné. En matière disciplinaire fédérale, au contraire, un doute s’est définitivement installé depuis 2016 et remet en cause le maintien de la jurisprudence Noulard dégagée par le Conseil d’État il y a maintenant 40 ans.
b. Des lectures exclusives
Nous pourrions également, à juste titre, considérer que le décret n° 2016-1054 du 1er août 2016 (instaurant le nouveau RDT) est venu, implicitement, mettre fin à la jurisprudence du Conseil d’État pour permettre in fine aux fédérations de sanctionner des personnes non-licenciées (pourvu qu’elles aient été licenciées au moment des faits).
Pour alimenter cette hypothèse, notons que l’ancien Règlement disciplinaire type imposé par le code du sport, en vigueur avant le 4 août 2016, ne prévoyait aucune spécificité quant au moment où la qualité de licencié devait s’apprécier pour le prononcé de la sanction (aucune précision que ce soit au moment des faits, ou au moment où l’organe statue)[15]. Cette lacune peut laisser penser que si les « rédacteurs » du décret ont pris le temps de préciser, en 2016, que la personne devait être licenciée au moment de la commission des faits, il s’agissait peut-être d’une volonté de leur part de venir contrer la jurisprudence développée par le Conseil d’État jusque-là.
Cela était, en tous cas, la position d’une grande partie de la doctrine, à l’image du professeur J-F. LACHAUME qui expliquait que « S’agissant de la compétence, en raison de la personne, des organes disciplinaires fédéraux, le RDT 2016 innove incontestablement. […] L’article 2 du RDT 2016 élargit la compétence ratione personae des organes disciplinaires fédéraux sans que soient nécessairement résolues toutes les difficultés liées à la solution Noulard mais, comme le souligne M. Rémy (Droit du sport 2016, n° 237, p. 3), on peut penser que la nouvelle rédaction du RDT « permettra d’aboutir à un assouplissement » de celle-ci (…). »[16]
Cette interprétation était partagée par d’autres universitaires, estimant qu’était désormais assujetti au pouvoir disciplinaire des fédérations « tout ancien adhérent auteur de faits sanctionnables mais dont le départ faisait obstacle à toute poursuite disciplinaire », en reconnaissant tout de même que cette « réaction normative à l’affaire Leonardo conduisait le pouvoir réglementaire à intégrer dans la sphère de compétence fédérale des tiers au contrat d’association »[17].
Cette deuxième lecture est donc séduisante, certes, mais remet en question le fondement même du prononcé d’une sanction disciplinaire. Si la licence n’est pas présente au moment du prononcé de la décision disciplinaire, quel est alors le lien juridique qui justifie qu’un organe fédéral sanctionne un pratiquant lambda, non rattaché à la fédération qui a pourtant créé cet organe ?
Soit l’on considère que nous faisons fi de cette nécessité d’avoir un lien juridique pour justifier le prononcé d’une sanction fédérale (et nous ouvrons la porte à de possibles dérives), soit nous admettons que ce lien est toujours nécessaire, mais que nous en décalons temporellement l’appréciation. Autrement dit, c’est la période d’appréciation du lien juridique qui serait aménagée par le RDT : là où cette appréciation devait se faire au moment de la sanction d’après le Conseil d’État, elle se retrouve rétroactivement déplacée au moment de la commission des faits depuis le RDT de 2016.
Cette réflexion, transposée au lien « de fait » qui peut exister entre un licencié de fait et une fédération, pourrait même permettre, dans l’absolu, qu’un organe disciplinaire fédéral sanctionne un pratiquant qui n’a jamais détenu de licence fédérale auprès de la fédération sportive en cause (et qui n’a donc jamais eu de lien juridique avec elle). Prenons le cas, par exemple, d’un pratiquant qui est licencié de fait au moment de la commission des faits (il revêt bien une des qualités soumises au pouvoir disciplinaire des fédérations au moment où il commet les faits) mais qui n’est ni licencié, ni licencié de fait au moment du prononcé de la sanction. D’après le RDT, cette sanction serait tout à fait légale. Dans un tel cas, se repose légitimement la question du fondement de la sanction prise à son égard, dans le sens où l’appréciation du lien juridique est rendue impossible par … l’absence du lien juridique lui-même. Pour éviter un tel écueil, peut-être pourrions-nous imposer, pour qu’un licencié de fait au moment des faits soit sanctionné, qu’il détienne a minima une licence fédérale au moment du prononcé de la décision (dès lors qu’il est adhérent à un club affilié, alors l’article L131-6 du code du sport évoqué ci-dessus permettrait d’imposer cette détention de licence).
Nous pouvons également nous questionner sur la pertinence de sanctionner un individu qui n’est, in fine, ni licencié, ni licencié de fait (et qui donc, a priori, n’intervient plus dans le champ d’action fédéral). En effet, à quoi bon sanctionner une personne qui ne participe plus aux activités de la Fédération, de ses organes déconcentrés, ou de ses membres affiliés ? L’unique intérêt concernerait les cas les plus graves, pour lesquels il apparaîtrait pertinent de prononcer par exemple « une interdiction d’être licencié de la fédération » (en se protégeant pour l’avenir). Si le RDT prévoit bien ce type de sanction[18], certaines Fédérations ne l’ont malheureusement pas repris. Dans de tels cas, restent alors des sanctions qui n’ont en pratique que très peu d’impact envers un non-licencié (par exemple un avertissement, un blâme, une amende, une pénalité sportive, une suspension de terrain ou de salle), ou qui sont tout simplement impossibles à prononcer juridiquement (telles qu’une radiation, un retrait provisoire de la licence, etc.).
Enfin, sanctionner un non-licencié n’est pas sans risque pour une Fédération, notamment si le mis en cause conteste la sanction et recherche la responsabilité de cette dernière en vue d’obtenir des dommages et intérêts (le montant de ceux-ci pouvant s’avérer élevé dans le cas, par exemple, d’une sanction prononcée à l’encontre d’une personnalité publique qui mettrait en avant une atteinte à sa réputation).
En conclusion, les deux lectures étant envisageables, cela crée de facto une insécurité juridique tant que le Conseil d’État ne se sera pas prononcé. Celle-ci persiste d’autant plus que les quelques formations en droit du sport, qui se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main mais dont les promotions successives irriguent ensuite toutes les organisations de la sphère sportive, sont parfois amenées à enseigner des positions divergentes quant à cette problématique.
Les prémices d’une réponse pourraient alors nous être apportées par la conférence des conciliateurs du Comité national olympique et sportif français (dans le cadre du préalable obligatoire à tout recours contentieux), si jamais la question venait à se poser devant elle. Dans un tel cas, rappelons que la conférence est chargée d’une « mission de conciliation dans les conflits opposant les licenciés, les agents sportifs, les associations et sociétés sportives et les fédérations sportives agréées »[19](sans autre précision quant au moment où ces qualités s’apprécient). Ainsi, si la conférence interprétait stricto sensu cette disposition, elle devrait en théorie refuser de statuer sur le recours qu’un non-licencié réalise auprès d’elle après avoir été sanctionné disciplinairement.
Cela signifierait, in fine, qu’une sanction disciplinaire prononcée par une Fédération à l’encontre d’un non-licencié pourrait directement être contestée devant le juge administratif, là où une sanction prononcée à l’encontre d’un licencié devrait, d’abord, passer par la conférence.
[2] Conseil d’Etat, Sous-sections réunies, 4 novembre 1983, Noulard, requête numéro 41775
[4] Conseil d’Etat, 2 / 6 SSR, du 26 octobre 1992, 133354
[5] Conseil d’État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 25/05/2010, 332045
[6] Cour Administrative d’Appel de Nantes, 3ème Chambre, 04/07/2013, 12NT01439
[7] Conseil d’État, 2ème / 7ème SSR, 28/04/2014, 373051
[8] Le licencié de fait pouvant se définir comme le pratiquant qui se comporte « comme un véritable licencié » (mais qui pour autant, ne possède pas de licence fédérale). La notion « être licencié de fait » ne doit pas être confondue avec « être licencié au moment des faits ».
[9] Sébastien MARTIN, Maître de conférences à l’Université Montesquieu – Bordeaux IV, « La limite des pouvoirs disciplinaires d’une fédération sportive », Cah. dr. sport n° 36, 2014, p. 165
[10] Frédéric COLIN, Maître de conférence à l’Université d’Aix-Marseille, « La limitation de la compétence disciplinaire d’une fédération sportive à ses licenciés : l’affaire « Leonardo » en référé suspension devant le Conseil d’État », Cah. dr. sport n° 36, 2014, p. 161
[11] Articles L. 1332-1 et suivants
[12] Cour de Cassation, Chambre sociale, du 16 novembre 2005, 03-45.000
[13] Articles L532-1 à L532-13 du code général de la fonction publique
[14] CAA de PARIS, 4ème chambre, 04/11/2022
[15] Son article 2 indiquait que « Il est institué un ou plusieurs organes disciplinaires de première instance et un ou plusieurs organes disciplinaires d’appel investis du pouvoir disciplinaire à l’égard des associations affiliées à la fédération, des membres licenciés de ces associations et des membres licenciés de la fédération. », sans autre précision.
[16] Jean-François LACHAUME, Professeur émérite à l’Université de Poitiers, « Réflexions sur le décret du 1er août 2016 relatif au règlement disciplinaire type des fédérations sportives agréées », AJDA 2017
[17] Gaylor RABU, Maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille, Chronique de droit du sport (Janvier 2016 – Janvier 2017) (1re partie)
[18] Article 22 14° du RDT