Si la carrière d’un sportif professionnel peut atteindre des sommets, elle peut aussi connaître les méandres du banc des remplaçants, voire des tribunes. Le manque de temps de jeu, lié à la méforme physique du moment ou à la montée en puissance d’un coéquipier, est génératrice de frustration, ce d’autant plus lorsqu’elle s’inscrit dans la durée.
Dans ces conditions, certains athlètes peuvent être tentés de mettre fin à leur contrat en raison de l’insuffisance du temps de jeu qui leur est octroyé. Se pose donc la question de la faisabilité d’une telle rupture et de ses conditions.
A titre liminaire, il convient de rappeler que sportif professionnel salarié est engagé dans le cadre d’un contrat à durée déterminée spécifique (Code du sport, art. L.222-2 et suivants). De ce fait, à l’exception de certaines dispositions prévues expressément à l’article L.222-1 du Code du sport, le contrat du sportif professionnel est soumis au Code du travail.
En particulier, s’agissant d’un contrat à durée déterminée, il ne peut être rompu que dans les cas limitativement énumérés aux articles L.1243-1 et L.1243-2 du Code du travail, à savoir :
- L’accord des parties;
- La faute grave:
- La force majeure;
- L’inaptitude constatée par le médecin du travail;
- L’embauche en contrat à durée indéterminée.
Mis à part l’accord des parties, seule la faute grave pourrait répondre aux velléités de départ d’un salarié mécontent de son temps de jeu.
Or, l’on sait que dans le cadre de la relation de travail, l’employeur est tenu à deux obligations principales envers le salarié : le versement du salaire et la fourniture du travail convenu contractuellement. A défaut, il est de jurisprudence constante que l’employeur commet une faute grave pouvant justifier une rupture du contrat à ses torts (Cass. soc., 24 janvier 2007, n°05-41.913 ; Cass. soc., 3 novembre 2010, n°09-65.254).
Si l’on transpose cette obligation au secteur sportif, à partir de quand doit considérer que l’employeur cesse de fournir une prestation de travail ? Le manque ou l’absence de temps jeu en équipe première est-il considéré comme un défaut de fourniture d’une prestation de travail susceptible de constituer un manquement grave ?
La réponse ressort de la Convention collective nationale du Sport, laquelle prévoit en son article 12.3.1.3 que « la participation d’un sportif à chaque compétition relève du pouvoir de sélection exercé sous la responsabilité de l’employeur ».
Émanation du pouvoir de direction appliquée au secteur sportif, l’employeur est ainsi doté d’un pouvoir de sélection, lequel lui permet de convoquer librement dans le groupe professionnel les joueurs amenés à évoluer en compétition mais également de déterminer les joueurs qui débuteront le match et ceux qui entreront ou non en jeu. Le sportif salarié n’est donc pas doté d’un droit de jouer.
Cette liberté est évidemment bienvenue dans le secteur sportif, l’entraîneur devant être assuré de pouvoir mettre en place l’équipe la plus performante possible à l’instant T en vue d’atteindre les objectifs fixés sans s’inquiéter d’un éventuel risque prud’homal en cas d’insuffisance de temps de jeu de l’un de ses joueurs.
Cette liberté ne doit néanmoins pas faire oublier l’exécution de bonne foi du contrat de travail à laquelle est tenu l’employeur. Ainsi, s’il ne convoque pas ou s’il ne fait pas jouer un joueur en compétition avec le groupe professionnel, il doit néanmoins lui donner les moyens d’améliorer ses performances en vue de participer aux compétitions auxquelles est inscrite l’équipe première. Le joueur doit donc bénéficier des mêmes conditions d’entraînement que les autres sportifs professionnels.
Cela ressort d’ailleurs expressément de la Convention collective nationale du Sport laquelle précise à l’article 12.3.1.3 précité :
« L’exécution normale du contrat de travail passe par la possibilité, pour les sportifs, de participer à des compétitions inscrites au programme de leur employeur. Celui-ci doit donc mettre en œuvre les moyens permettant aux entraîneurs et sportifs visés au présent chapitre d’atteindre leur meilleur niveau en vue des compétitions pour la préparation desquelles ils ont été engagés ».
De même, en application du principe de bonne foi contractuelle, l’employeur ne saurait écarter le joueur de la préparation et/ou du programme d’entraînement du groupe professionnel. Cette mise à l’écart pourrait d’ailleurs être assimilée à une modification du contrat de travail sans l’accord du salarié dans la mesure où le sportif a initialement signé pour jouer en équipe professionnelle.
Quid en cas de mise à l’écart ou de conditions d’entraînement différenciées ?
Le salarié qui ne bénéficie pas des mêmes conditions d’entraînement que les autres sportifs du groupe professionnel, voire qui est écarté du groupe professionnel, peut rompre son contrat pour faute grave aux torts de l’employeur. Cette rupture implique le plus souvent pour le joueur de saisir en amont la ligue professionnelle afin qu’elle enjoigne au club de se conformer à ses obligations sous peine de sanctions.
C’est ainsi que le Toulouse Football Club a été condamné au début des années 2000. En effet, mis à l’écart du groupe professionnel lors d’un stage de présaison, un joueur a saisi les instances de la ligue, lesquelles ont ordonné la réintégration du joueur dans le groupe professionnel. Face à l’inexécution de l’employeur, le joueur s’est donc orienté sur le terrain judiciaire.
Par un arrêt du 14 janvier 2004, la Cour de cassation a validé la position de la Cour d’appel, laquelle avait prononcé la résiliation du contrat du joueur aux torts de l’employeur en considérant que l’employeur avait gravement manqué à ses obligations en cessant de fournir du travail à son salarié (Cass. soc., 14 janvier 2004, n°01-40.489).
Le joueur peut donc rompre le contrat (ou obtenir cette rupture du juge) en raison de la faute grave de l’employeur. Bien que cette rupture se différencie de la prise d’acte connue en matière de contrat à durée indéterminée (Cass. soc., 3 juin 2020, n°18-13.628), les conséquences pratiques sont neutres puisque le salarié a la possibilité de solliciter des dommages et intérêts correspondant aux salaires qu’il aurait perçus si son contrat s’était poursuivi jusqu’à son terme (C. trav., art. L.1243-4).
C’est d’ailleurs en ce sens qu’a récemment tranché la Cour d’appel de Toulouse en jugeant que « la rupture anticipée du contrat à durée déterminée sera requalifiée de rupture abusive aux torts de l’employeur et conduit à appliquer les dispositions de l’article L1243-4 du code du travail prévoyant une indemnisation au moins égale aux rémunérations que devait percevoir le salarié jusqu’au terme du contrat » (CA Toulouse, 8 janvier 2021, n°18/05494 ; cf. également en ce sens CA Pau, 18 septembre 2006, 05/02013).
Attention toutefois pour le joueur salarié. S’il s’avère que la rupture n’est pas fondée sur une faute grave (par exemple, l’hypothèse du joueur qui rompt son contrat car il manque de temps de jeu en équipe première), l’employeur aura tout à fait la possibilité de saisir le Conseil de prud’hommes (ou de formuler une demande conventionnelle si le joueur a déjà saisi) pour obtenir réparation du préjudice à condition qu’il ait la capacité de le démontrer (C. trav., art. L.1243-3).
En pratique, la problématique se règle le plus souvent par la signature d’une convention de rupture d’un commun accord fixant les modalités de sortie ou par le transfert du sportif dans le cadre des périodes autorisées. En effet, outre le risque prud’homal, les injonctions de réintégration du joueur au sein du groupe professionnel sous peine de sanction prononcées des ligues (de type retrait de points) sont particulièrement incitatives.