Véritable bouclier de l’intégrité des compétitions interclubs ?
Afin de préserver l’intégrité de la compétition, l’UEFA, dans son article 5 du Règlement de l’UEFA Champions League, pose un principe selon lequel deux clubs ayant le même propriétaire ne peuvent participer à une compétition interclubs. Il convient de préciser que sont entendues comme « compétitions interclubs », les trois compétitions européennes organisées par l’UEFA : la Champions League (ou Ligue des Champions), l’Europa League ainsi que l’Europa Conference League.
Dans certaines situations, la multipropriété des clubs de football ne pose pas de problème du point de vue de cet article. C’est par exemple le cas du City Football Group qui possède 11 clubs à travers le monde. Parmi ces 11 clubs, seul Manchester City est susceptible de se qualifier pour participer à une compétition interclubs de l’UEFA. Les autres, de par leur situation géographique ou leurs résultats sportifs, ne sont pas concernés par les compétitions interclubs de l’UEFA.
Pourtant malgré cette règle de l’UEFA, deux des clubs du groupe Red Bull, à savoir le RB Leipzig et le Red Bull Salzbourg, participent régulièrement à la Ligue des Champions et se sont même déjà affrontés en Europa League, lors de la campagne 2018-2019.
Cette situation avait déjà fait grincer des dents à l’époque et le possible rachat de Manchester United par le Qatar, déjà propriétaire du Paris Saint-Germain via la société QSI, ou par le groupe INEOS, actuel propriétaire de l’OGC Nice, risque de ramener ce sujet sur la table et poser la question de la portée et de l’efficacité de l’article 5 du Règlement de l’UEFA Champions League.
Cette analyse de la règle de la multipropriété des clubs de football de l’UEFA sera divisée en trois parties : il s’agira tout d’abord d’exposer les règles de l’article 5 du Règlement de l’UEFA Champions League (I) avant de se demander comment ces règles ont-elles pu être contournées par le groupe Red Bull (II). Puis, sera étudié le potentiel rachat Manchester United et les conséquences que cela pourrait avoir sur la multipropriété des clubs de football (III) avant d’aborder les assouplissements prévus par l’UEFA en la matière (IV).
I – L’article 5 du Règlement de l’UEFA Champions League sur la protection de l’intégrité de la compétition et la multipropriété des clubs
L’article 5 du Règlement de l’UEFA Champions League expose tout d’abord ce qu’il faut comprendre par multipropriété (A) avant de mettre en avant les conséquences auxquelles les clubs s’exposent si les critères visant à assurer l’intégrité de la compétition ne sont pas respectés (B).
A – La multipropriété des clubs, une notion entendue au sens large par l’UEFA
L’alinéa 5.01 de de cet article est lui-même divisé en trois paragraphes qui correspondent à trois critères, trois types d’interdiction, visant à assurer l’intégrité de la compétition.
Le premier critère concerne les clubs participant à une compétition interclubs de l’UEFA qui sont interdits, directement mais aussi indirectement, de :
- « Détenir ou négocier des titres ou des actions de tout autre club participant à une compétition interclubs de l’UEFA » (i) ;
- « Être membre de tout autre club participant à une compétition interclubs de l’UEFA » (ii) ;
- « Être impliqué de quelque manière que ce soit dans la gestion, l’administration et/ou les activités sportives de tout autre club participant à une compétition interclubs de l’UEFA » (iii) ;
- « Détenir un quelconque pouvoir dans la gestion, l’administration et/ou les activités sportives de tout autre club participant à une compétition interclubs de l’UEFA » (iv).
Si le premier critère semble faire référence aux clubs en tant que personnes morales, dans le deuxième critère, l’UEFA semble être plus large dans son approche puisqu’elle met en avant que « personne ne peut être, en même temps, directement ou indirectement impliqué, de quelque manière que ce soit, dans la gestion, l’administration et/ou les activités sportives de plus d’un club participant à une compétition interclubs de l’UEFA ».
Enfin, le troisième et dernier critère fait expressément référence à la fois aux personnes morales mais également aux personnes physiques puisque l’article dispose qu’« aucune personne physique ou morale ne peut avoir le contrôle de ou exercer une influence sur plus d’un club participant aux compétitions interclubs de l’UEFA, un tel contrôle ou une telle influence se définissant dans le présent contexte comme :
- La détention de la majorité des droits de vote des actionnaires,
- Le droit de nommer ou de révoquer la majorité des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance,
- Le fait d’être actionnaire et de contrôler seul, en vertu d’un accord conclu avec d’autres actionnaires du club, la majorité des droits de vote des actionnaires, ou
- Le fait d’être en mesure d’exercer, de quelque manière que ce soit, une influence décisive lors de la prise des décisions du club. »
Ainsi, l’alinéa 5.01 fait référence à une multipropriété au sens très large du terme et expose de nombreuses situations différentes, qu’elles concernent les clubs en eux-mêmes mais aussi tout autre personne morale ou physique qui pourrait contrôler ou influencer de près ou de loin un club plusieurs clubs prenant part aux compétition interclubs de l’UEFA.
B – Les conséquences du non-respect des critères visant à assurer l’intégrité de la compétition
L’alinéa 5.02 du Règlement de l’UEFA Champions League énonce la sanction à laquelle s’exposent les clubs qui ne respectent pas les règles exposées dans le précédent paragraphe : un seul des clubs concernés pourrait alors participer à une compétition interclubs de l’UEFA.
Le club qui sera admis sera sélectionné suivant trois critères qui s’appliquent suivant l’ordre suivant :
« a. le club qui, par ses résultats sportifs, se qualifie pour la compétition interclubs de l’UEFA la plus prestigieuse (c.-à-d. par ordre décroissant d’importance : UEFA Champions League, UEFA Europa League ou UEFA Europa Conference League) ;
b. le club le mieux classé dans le championnat national donnant accès à la compétition interclubs de l’UEFA correspondante ;
c. le club dont l’association est la mieux classée dans la liste d’accès (voir Annexe A). »
De même, l’alinéa suivant, 5.03, prévoit que les clubs non admis sont remplacés conformément à l’alinéa 4.09.
Il convient de noter que le dernier alinéa de l’article 5, l’alinéa 5.04, pose une exception à la règle. En effet, les règles posées par l’alinéa 5.01 ne s’appliquent pas si sont concernés un club directement qualifié pour la phase de groupe de l’Europa League et un club qualifié pour disputer l’un des tours de l’Europa Conference League.
L’efficacité d’une règle se mesure toujours à l’efficacité des sanctions qui sont appliquées en cas de violations de ces dernières. L’article 5.02 expose clairement que si des clubs ne respectent pas les critères énoncés dans l’article 5.01, un seul d’entre eux sera admis pour participer à une compétition interclubs.
Le cas de la galaxie Red Bull est notamment très intéressant à étudier puisque le RB Leipzig et le Red Bull Salzbourg participent depuis plusieurs années à des compétitions interclubs de l’UEFA.
II – Comment la “galaxie” Red Bull a-t-elle contourné l’article 5 du Règlement de l’UEFA Champions League ?
A – Le modèle de la galaxie Red Bull
Aujourd’hui le groupe Red Bull ce n’est pas qu’une boisson énergisante, c’est aussi une politique de sponsoring dans de nombreux sports : plongeon, chute libre depuis l’espace, surf ou encore voltige aérienne. La firme organise également des compétitions sportives tels que les mondiaux de ski freestyle, possède une écurie de Formule 1 et plusieurs clubs de football à travers le monde. Une véritable galaxie.
La galaxie Red Bull a aujourd’hui quatre clubs de football sous son giron : les Red Bulls New York, le Red Bull Brasil FC, le Red Bull Salzbourg et le RB Leipzig. Ce sont ces deux derniers qui vont nous intéresser dans le cadre de cette étude.
Si le nom du club autrichien, Red Bull Salzbourg, fait expressément référence à la marque autrichienne du même nom, il faut savoir que les initiales “RB” du club allemand RB Leipzig ne signifient officiellement pas Redbull, mais bien RasenballSport. En plus de partager les mêmes initiales, le logo des deux clubs est étrangement similaire.
Tout cela n’a en fait rien d’une coïncidence puisque derrière les deux clubs se trouvait en réalité le même homme : Dietrich Mateschitz, le fondateur de la marque Red Bull, décédé en octobre 2022.
En 2005, le groupe Red Bull rachète le club de la ville où est installé son siège social, le SV Austria Salzbourg. Le club changera alors de logo et de nom pour devenir le Red Bull Salzbourg.
En 2009, Red Bull rachète le club amateur du SSV Markanstädt, club qui évolue alors en 5ème division allemande. Le club deviendra le RB Leipzig et en 2020, à peine 11 ans plus tard, disputera une demi-finale de Ligue des Champions face au Paris Saint-Germain.
A noter que la marque autrichienne ne pouvait cette fois pas donner son nom à sa nouvelle équipe, la législation allemande interdisant aux clubs de porter le nom d’une entreprise. Cependant, que cela soit par son logo, ou les initiales « RB », il n’en reste pas moins qu’il n’y a pas de confusion possible quant aux références faites au groupe Red Bull.
En sus, sur volet purement sportif, les deux clubs partagent une identité commune : un large réseau de scouting, un projet de jeu offensif et chatoyant mené par des coachs au projet de jeu ambitieux, une confiance accordée aux jeunes joueurs qui peuvent passer par le Red Bull Salzbourg pour faire leurs gammes avant d’être transférés vers le RB Leipzig qui joue dans un championnat européen majeur, la Bundesliga, et est le club le plus compétitif des deux. L’international français de 24 ans Dayot Upamecano est un parfait exemple des liens qui existent entre le Red Bull Salzbourg et le RB Leipzig, pur produit de la galaxie Red Bull. Arrivé en provenance des U19 de Valenciennes, il fait ses gammes au sein de club autrichien avant de passer au niveau supérieur un an et demi plus tard et d’être transféré au RB Leipzig. Il évolue aujourd’hui au Bayern Munich et est vice-champion du monde avec l’équipe de France après avoir été titulaire sur l’ensemble de la compétition. Un parcours qui s’est avéré payant.
B – Le RB Leipzig et le Red Bull Salzbourg à l’épreuve de l’article 5 du Règlement de l’UEFA Champions League
L’ascension du RB Leipzig au sein des divisions du football allemand a été spectaculaire, au point d’atteindre la première division, la Bundesliga, lors de la saison 2016-2017 et de participer à la Ligue des Champions la saison suivante.
C’est lors de la saison 2017-2018 que la multipropriété du groupe Red Bull va poser question : le Red Bull Salzbourg et le RB Leipzig sont tous les deux qualifiés pour participer à la Ligue des Champions ce qui est interdit en vertu de l’article 5 du Règlement de l’UEFA Champions League.
Après une enquête, l’organe de contrôle financier de l’UEFA a estimé qu’il n’y avait pas de violation de l’article 5 : « à la suite d’une enquête approfondie, et suite à plusieurs modifications de la structure de gouvernance et de structure effectués par les clubs (concernant les entreprises, le financement, le personnel, les accords de sponsoring, etc.), le CFCB a estimé qu’aucune personne physique ou morale n’avait plus une influence décisive sur plus d’un club participant à une compétition interclubs de l’UEFA. »
Mais alors quelles sont les modifications de la structure de gouvernance des deux clubs dont parle l’UEFA ? Tout d’abord le groupe Red Bull a abandonné toutes fonctions dirigeantes au sein du club autrichien et n’est donc officiellement plus le propriétaire de Salzbourg. La participation de Red Bull à l’Assemblée Générale du club de Salzbourg a également été supprimée. Red Bull conserve tout de même un contrat de sponsoring avec le club autrichien qui se nomme toujours Red Bull Salzbourg et joue dans un stade dont le nom ne pourrait être plus explicite : la Red Bull Arena. Cependant les droits accordés à Red Bull et les montants payés ont été réduits. Pour l’anecdote, le nom du stade dans lequel évolue le RB Leipzig en Allemagne s’appelle…la Red Bull Arena ! Sur demande de l’UEFA, le Red Bull Salzbourg a également dû modifier son logo afin que la marque Red Bull n’apparaisse plus, du moins plus aussi explicitement.
Un autre exemple très parlant est celui de Ralf Rangnick qui était à l’époque directeur sportif à la fois de Leipzig et de Salzbourg, entretenant l’idée d’un megaclub, alors qu’aujourd’hui, le discours est celui de l’indépendance, permettant ainsi aux deux clubs de participer ensemble à des compétitions européennes.
D’un côté, cette situation a entraîné une restructuration des deux clubs afin qu’ils s’adaptent aux règles de l’UEFA, participant ainsi à l’intégrité des compétitions européennes. D’un autre côté, et ce n’est pas un secret, le groupe Red Bull est toujours derrière le club autrichien et si le discours est à l’indépendance, ils partagent toujours cette identité commune.
III – Le potentiel rachat de Manchester United, un tournant dans la multipropriété des clubs de football ?
Depuis des années, la gestion de Manchester United par la famille Glazer, propriétaire du club depuis 2005, pose question. Depuis le départ de Sir Alex Ferguson en 2013 après 27 ans passés sur le banc du club mancunien, le club semblait, jusqu’à il y a peu, sans direction claire. Le fait que les Glazer aient sorti du club plus de 154 millions de livres sterling entre 2011 et 2021, pour se les distribuer entre eux, n’a fait qu’amplifier la gronde des supporters à l’encontre de leurs actionnaires majoritaires.
Le 22 novembre 2022, la famille Glazer a officiellement annoncé qu’une vente du club était envisagée. Deux offres ont été officiellement rendues publiques. La première vient de Jim Radcliffe qui est à la tête du groupe INEOS, actuel propriétaire de l’OGC Nice. Une seconde offre émane de Cheikh Jassim Bin Hamad Al Thani, membre de la famille princière du Qatar, l’émir du Qatar était propriétaire du Paris Saint-Germain via la société QSI.
Dans les deux cas, la question de la multipropriété de l’article 5 du Règlement de l’UEFA Champions League se poserait. En effet, de par son budget et son statut, Manchester United est un club qui aspire à jouer la Ligue des Champions, voire l’Europa League, tous les ans tandis que l’OGC Nice est un club ambitieux et régulièrement présent en Coupe d’Europe sur les dernières années et que le Paris Saint-Germain se qualifie tous les ans depuis des années pour la Ligue des Champions.
Si l’on pourrait se dire qu’il suffirait pour Manchester United de suivre la voie ouverte par l’affaire Red Bull et se montrer particulièrement vigilant sur la gouvernance du club, la situation pourrait évoluer puisque l’UEFA a récemment eu des mots très forts à propos de la multipropriété des clubs de football. En effet, selon l’UEFA : « L’essor des investissements multi-clubs a le potentiel de constituer une menace matérielle pour l’intégrité des compétitions européennes de clubs, avec un risque croissant de voir deux clubs ayant le même propriétaire ou investisseur s’affronter sur le terrain. » Ces mots vont-ils se traduire par un durcissement de l’application des règles de l’article 5 ou même par une nouvelle régulation ?
Si la multipropriété n’est pas un phénomène nouveau, elle tend à se développer et risquerait de prendre un nouveau tournant avec le rachat potentiel de Manchester United, surtout si le club venait à être racheté par la Qatar puisque pour la première fois, la multipropriété concernerait deux des plus grands clubs du monde, avec un pouvoir et un rayonnement bien plus important que le RB Leipzig et le Red Bull Salzbourg.
Beaucoup de questions se posent donc et pour le moment, nous n’avons que très peu de réponses. Suivant l’évolution de la vente du club mancunien, nous pourrions avoir des éléments de réponse d’ici quelques mois.
IV – Un assouplissement des règles par l’UEFA ?
Par ailleurs, le Président de l’UEFA, Aleksander Ceferin, a très récemment laissé entendre qu’un assouplissement des règles de la multipropriété pourrait être prochainement envisagé : “Nous devons parler de ces réglementations et voir ce qu’il faut faire à ce sujet. Il y a de plus en plus d’intérêt pour cette multipropriété. Nous ne devrions pas simplement dire non aux investissements pour la propriété de plusieurs clubs, mais voir quel type de règles nous fixons dans ce cas, car les règlements doivent être stricts.” Ainsi, l’intégrité des compétitions serait-elle placée au second plan à partir du moment où il y a “de plus en plus d’intérêt pour cette multipropriété ?”. Si les réactions qui ont suivi les propos de M. Ceferin ont été très vives, il convient toutefois de nuancer : comme nous avons pu le voir avec le cas du groupe Red Bull, l’efficacité des règles posées dans l’article 5 peut poser question. Les propos du Président de la confédération européenne ne sont-ils au final qu’une simple expression de ce qui a été observé par le passé ?
Il sera donc intéressant de voir quelle serait la position de l’UEFA, et les justifications avancées, face à un nouveau cas de multipropriété pour définitivement savoir si oui ou non, l’article 5 du Règlement de l’UEFA Champions League est une véritable protection de l’intégrité des compétitions interclubs.
Bibliographie
D. Fioux, “Les secrets de la galaxie Red Bull avant Leipzig – PSG”, l’Équipe, 3 novembre 2021.https://www.lequipe.fr/Football/Article/Les-secrets-de-la-galaxie-red-bull-avant-rb- leipzig-psg/1296312
Kévin Veyssière, Leipzig, Salzbourg et la galaxie Red Bull”, FC Geopolitics, 6 septembre 2022. https://footballclubgeopolitics.fr/2022/09/06/leipzig-salzbourg-et-la-galaxie-red-bull/
“La galaxie Red Bull, grand argentier du sport mondial”, La Liberté, 24 octobre 2022. https://www.laliberte.ch/news/sports/autres-sports/la-galaxie-red-bull-grand-argentier-du- sport-mondial-664474
“Manchester United Finances Q1 2022/23”, The Swiss Ramble, 12 Décembre 2022.
M. Ziegler, “Uefa’s rethink of Champions League multi-club ownership rules could affect Manchester United sale”, The Times, 14 mars 2023. https://www.thetimes.co.uk/article/uefas-rethink-of-champions-league-multi-club-ownership-rules-could-affect-manchester-united-sale-gp9pq2xzk?utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1678831519
UEFA Club Financial Control Body AC-01/201, Rasenballsport Leipzig GMBH – FC Red Bull Salzburg GMBH, 16 juin 2017.