Le 21 juillet 2022, le Tribunal judiciaire de Paris rend son verdict. François Gabart sera bel et bien autorisé à prendre le départ de la Route du Rhum à Saint-Malo. Libération pour le petit prince de la discipline dont le trimaran est au cœur de la polémique depuis l’hiver 2021. Retour sur une affaire qui bouscule le monde de la voile.
Alors que le marin, François Gabart (SVR Lazartigue) est actuellement au coude-à-coude avec Charles Caudrelier (Maxi Edmond de Rothschild) et Thomas Coville (Sodebo Ultim 3) pour la première place de la classe Ultim 32/23 de la Route du Rhum, rien ne prédestinait le vainqueur du Vendée Globe 2013 à être sur la ligne de départ. La raison ? Le trimaran de François Gabart ne respecterait pas les normes architecturales de la catégorie.
La règle 3.11 de l’OSR au cœur du litige
En effet, quelques semaines avant la quinzième édition de la Transat Jacques Vabre, le 7 novembre 2021, la classe Ultim 32/23 (catégorie regroupant les trimarans de la course au large) reproche à François Gabart de ne pas respecter la règle 3.11 OSR1 (Offshore Spécial Régulations). Cette règle stipule en effet que les « winches », qui représentent le poste de manœuvres du bateau, « doivent être installés de telle façon qu’un opérateur n’ait pas besoin de se trouver en dessous du pont ». De manière plus simple, les winches doivent se situer sur le pont.
Contrairement aux autres Ultim, qui ont des cockpits « posés » sur le pont, le trimaran bleu de François Gabart est fermé. Si on s’attarde sur le plan de coupe de VPLP design, un cabinet d’architecture navale, la zone dans laquelle se trouve les winchs s’apparente bel et bien à un pont. Disons plutôt un cockpit faisant partie intégrante du pont mais protégé par une « casquette » non-étanche. Deux trappes étanches permettent notamment d’accéder à ce cockpit.
Et la question est légitime : en quoi ce cockpit si bien abrité, où se trouvent les winchs, peut-il être considéré comme un pont ? D’après l’argumentaire du vainqueur du Vendée Globe en 2013, il s’agit d’une zone humide. Un argument suffisant pour ce dernier pour considérer que ce cockpit est un pont. Si la zone est protégée mais considérée comme humide, alors par où rentre l’eau de mer ? Toujours selon le skipper de 39 ans, l’eau rentrerait par les deux bulles des postes de barre non étanches et par les passages du gréement2 courant.
Autre problème pour le trimaran SVR Lazartigue, la zone de pont doit permettre au marin d’observer l’environnement direct de son navire. Une règle que le bateau de François Gabart ne respecte pas selon son adversaire, Charles Caudrelier, skipper du trimaran Edmond de Rothschild. « Il y a une règle fondamentale dans la marine que tout marin doit respecter : tu dois être en capacité d’assurer une veille visuelle depuis la passerelle ou, nous concernant, le pont de travail. (…) Le concept architectural choisi par François et SVR pose un problème quant à cette règle fondamentale de sécurité qui est occultée dans un but de performance aérodynamique. Quand François est à l’intérieur de son bateau, il ne voit rien (…) », expliquait le marin à Voile et Moteur.
Bataille d’expertises
Face à cet imbroglio, trois experts reconnus dans le milieu de la course au large, sont alors mandatés, le 11 janvier 2022, par la classe Ultim pour déterminer si le trimaran de François Gabart est conforme ou non au règlement de l’OSR. À la grande déception d’une majorité des marins de la classe Ultim, le groupe d’experts émet un avis favorable et déclare le trimaran conforme au règlement.
C’est ici que les choses se compliquent. La classe, mécontente, ne va pas tenir compte de cet avis, qu’elle considère comme « facultatif ». Elle souhaite en effet faire appel à une seconde expertise, celle de World Sailing, la Fédération internationale de voile. Cette dernière se fondant sur des dessins du plan de pont du bateau de François Gabart, déclare, elle, que la règle 3.11 de l’OSR n’a pas été respectée. Cette fédération s’est néanmoins déclarée incompétente pour ce type de jugement, préférant renvoyer la responsabilité à la classe Ultim et à l’organisateur de la Route du Rhum pour statuer sur la participation ou non du trimaran SVR Lazartigue, le 6 novembre 2022.
Finalement tous les acteurs présents se résolvent à une dernière alternative, appuyée par la médiation de la Fédération française de voile : « Une réponse de World Sailing arrivant au plus tard le 4 mars 2022 s’applique à tous. Une réponse de World Sailing postérieure au 4 mars entraîne une dérogation temporaire à la RSO 3.11 en faveur de SVR Lazartigue pour sa participation à la Route du Rhum 2022, l’interprétation de World Sailing s’appliquant à tous à l’issue de la Route du Rhum ».
C’est l’exécution de ce point clé de l’accord que demandait le groupe Kresk, le sponsor de François Gabart, auprès de la justice lors d’une audience en référé fin juin et qui estime que la réponse de World Sailing a été délivrée le 7 mars. La partie adverse, elle, affirme que World Sailing avait bien rendu son avis défavorable, le 23 février.
L’enjeu est considérable. On parle en effet de la participation ou non de François Gabart à la Route du Rhum, une transat légendaire, ultra-médiatisée. Son sponsor réclame, en cas de non-participation, des dommages de 19 millions d’euros. La classe Ultim, magnanime, mais qui craint bien d’endosser le mauvais rôle aux yeux du public, demande de son côté un euro symbolique.
Le 21 juillet 2022, le Tribunal judiciaire de Paris finit par donner raison au Groupe KRESK dans le litige qui l’oppose à la Classe Ultim. Le Trimaran SVR-Lazartigue sera donc sur la ligne de départ de la Route du Rhum.
Un problème de gouvernance de la classe Ultim
Mais cette affaire n’a fait que dévoiler le problème de la gouvernance qui régnait au sein de la classe Ultim, dont la présidence est assurée par un sponsor. L’impartialité est nécessairement questionnée. Si cette affaire peut avoir une seule vertu, c’est celle de refonder en profondeur cette gouvernance en perpétuel conflits d’intérêts.
Finalement en donnant simplement « une dérogation » temporaire au trimaran de François Gabart, la justice n’a pas tranché sur le fond du dossier et la conformité du bateau. Elle l’a même invité dans son jugement à reformuler une demande d’adhésion à la classe après la Route du Rhum, en fin d’année. En précisant que ce sera à la classe Ultime 32/23 « d’apprécier » cette requête.
À ce jour, dans un souci de ne pas ternir l’image de la classe Ultim lors de ce grand évènement, les revendications des uns et des autres ont été mises sur pause le temps de la course. Mais, inévitablement, il faudra bien trouver une solution à ce conflit au retour de Guadeloupe.
- OSR : règlement qui regroupe l’ensemble des mesures de sécurité pour les bateaux participant à des courses en mer. Ce règlement est édicté par la Word Sailing (fédération mondiale de voile).
- Le gréement d’un navire à voile est l’ensemble des pièces fixes et mobiles d’un navire permettant la propulsion et manœuvre d’un bateau par la force du vent. Il est constitué de l’ensemble des espars, cordages servant à régler, établir et manœuvrer la voilure