Interview de Mathilde Francès (Responsable juridique au PSG)

par | 7, Sep, 2022

Interview avec Mathilde Francès, Responsable Juridique en charge du sponsoring, des médias et du corporate dans le département juridique du Paris Saint-Germain. Mathilde a gentiment reçu notre équipe il y a plusieurs semaines au sein des locaux du club afin d’échanger autour de son parcours, de ses missions mais surtout des diverses nouvelles problématiques juridiques auxquelles le PSG est confronté ces derniers temps. Entretien.

Bonjour Madame, tout d’abord, pourriez -vous vous présenter en quelques lignes ?

Bonjour, je m’appelle Mathilde Francès et je suis Responsable juridique sponsoring, médias et corporate au sein de la direction juridique business du Paris-Saint Germain (PSG). 

Le rôle principal de mon équipe au sein du club consiste en la négociation et la rédaction de contrats. Nous avons également un rôle de conseil et de soutien aux opérationnels lors de l’exécution des contrats préalablement signés. 

Le périmètre géré par mon équipe est par ailleurs assez large. En effet nous travaillons : 

  • Sur les sujets sponsoring et développement du club à l’international, par l’intermédiaire de ses bureaux à l’étranger (Doha, Singapour, Shanghai et Tokyo). 
  • Avec les départements médias/digital, communication et marketing sur des sujets aussi variés que le documentaire dédié au Paris Saint-Germain diffusé sur Amazon Prime, la distribution de certains droits audiovisuels, les chaînes du Club PSG TV ainsi que sur la plateforme Twitch, des agences de communication, de graphisme, des photographes, des prestataires de veille médias, l’organisation d’évènements spécifiques, ou encore les tournées à l’étranger de l’équipe masculine de football etc. 
  • Sur les sujets corporate, notamment la gestion de la vie des sociétés composant le groupe Paris Saint-Germain.

Pouvez-vous nous présenter rapidement la structure juridique du club, à des fins de bonne compréhension ? 

Il existe deux directions juridiques qui dépendent, toutes deux, du secrétariat général : 

– Une direction des affaires juridiques sportives et des relations institutionnelles;

– Une direction juridique business, à laquelle nous appartenons, qui est composée de quatre pôles:

– Un pôle sponsoring, médias et corporate (le mien),

– Un pôle IT, digital et équipe féminine,

– Un pôle merchandising, propriété intellectuelle et organismes caritatifs et à but non lucratif,

– Un pôle activités stade, gestion des sites, achats et assurances.

Quel a été votre parcours académique et professionnel ?

S’agissant de mon parcours universitaire, il est assez classique. 

J’ai effectué un baccalauréat économique et social et suis entrée en faculté de droit à l’université Toulouse 1 Capitole où j’ai effectué ma licence et mon master 1 en droit privé option droit de l’entreprise. 

Je suis ensuite partie à Strasbourg en master 2, au sein du Centre d’Etudes Internationales de la Propriété Intellectuelle (CEIPI), afin de me spécialiser en propriété intellectuelle. 

Dans la foulée, j’ai été amenée à faire un stage chez A.S.O. (Amaury Sport Organisation), organisateur d’évènements sportifs internationaux tels que le Tour de France, le Dakar, le Marathon de Paris, etc. 

Ce stage s’est transformé en contrat de travail et j’ai pu apprendre beaucoup et m’épanouir au sein de cette entreprise pendant un an et demi avant de prendre la décision d’effectuer un LLM (master of law) à l’étranger en droit des médias. 

En effet, en travaillant chez A.S.O., je me suis rendue compte de l’importance des droits audiovisuels dans le milieu sportif tant du point de vue économique que de celui de la communication/visibilité. A.S.O. produit elle-même le signal TV de ses évènements et les commercialise ensuite, générant des revenus considérables. J’ai alors compris que maîtriser les aspects juridiques de ce périmètre constituerait un avantage si je souhaitais continuer à travailler dans le milieu du sport. 

C’est la raison pour laquelle je suis partie en 2014-2015 à l’Université Queen Mary de Londres pour effectuer un LLM en droit des médias. 

À mon retour en France, j’ai eu la chance de pouvoir revenir chez A.S.O. et y suis restée trois ans supplémentaires. 

Ensuite, en mai 2018, j’ai eu l’opportunité de rejoindre la direction juridique business du Paris Saint-Germain en tant que juriste, puis d’évoluer en tant que responsable juridique trois ans plus tard. 

Qu’est-ce qui vous a amené au PSG ? Passion ou simple opportunité ?

La passion du sport m’a menée au Paris-Saint Germain. Je travaillais déjà dans le monde sportif avant et je souhaitais y rester car je suis effectivement une passionnée.

L’opportunité s’est présentée au bon moment, et le choix n’a pas été difficile à faire car le club était en plein développement à l’international, défi que j’avais professionnellement envie de relever. 

Il y a toujours un facteur chance mais il faut aussi savoir saisir la bonne opportunité.

Quelles sont les problématiques juridiques majeures auxquelles vous êtes confrontée ?

Notre principale activité au sein de la direction juridique business du club est la contractualisation, c’est-à-dire la formalisation d’une négociation commerciale dans le cadre du périmètre dont j’ai la charge. 

Nous travaillons bien entendu en étroite collaboration avec les équipes opérationnelles, qui sont parfaitement structurées pour chacune répondre à leurs enjeux et problématiques spécifiques.

Pour prendre l’exemple du département sponsoring dont nous rédigeons les contrats, deux équipes travaillent amont de la contractualisation : la business intelligence (BI) – qui analyse le marché et les données relatives au sponsoring sportif à l’international afin de les transformer en informations exploitables par le Club permettant de cibler des prospects – et l’offre dont le rôle est de construire les packages de sponsoring. 

L’équipe commerciale entre alors en jeu pour commercialiser les différents packages auprès de prospects. 

Une fois que les commerciaux se sont accordés avec un potentiel partenaire, nous intervenons à leurs côtés afin de négocier et rédiger le contrat de sponsoring.  

Une fois le contrat signé, les équipes de l’activation veillent quotidiennement à sa bonne exécution et accompagnent les sponsors dans l’activation de leurs droits marketing.

De plus, plusieurs fois par an le Paris Saint-Germain organise des workshops auxquels participent les partenaires pour bénéficier d’accès aux sportifs et créer des contenus (TV, digitaux, etc.).

A ces occasions, des informations confidentielles peuvent être révélées, comme par exemple le design d’un nouveau maillot, et nous intervenons alors pour rédiger des accords de non-divulgation. Ces accords sont spécifiques à chaque type d’intervenant aux workshops (prestataires, sponsors, salariés, etc). Il est nécessaire que le tout soit bien encadré afin que chaque partie contractante soit satisfaite de la prestation. 

En parallèle, nous épaulons au quotidien les équipes opérationnelles du club par différents moyens : du conseil juridique, de la formation interne, recherche juridique sur des sujets précis, de l’analyse de risque, relecture de communiqués de presse, validation de certaines activations etc.  

Nous intervenons également sur les sujets pré-contentieux. Il s’agit la plupart du temps d’intervenir pour faire cesser des opérations d’ambush marketing (ou marketing d’embuscade) mises en place par des sociétés non-partenaires du club et souvent concurrentes de nos propres sponsors. Lorsque ces situations se présentent nous analysons lesdites opérations au cas par cas afin de qualifier juridiquement les faits et rédigeons ensuite des mises en demeure adaptées. 

Si les situations d’ambush marketing représentent la majorité des sujets pré-contentieux sur lesquels nous intervenons, il peut également arriver que nous rédigions des protocoles transactionnels avec certains de nos co-contractants afin de mettre fin ou prévenir une situation de désaccord par le biais de concessions réciproques. 

Enfin, lorsque le cas se présente, nous assurons le suivi des contentieux en collaboration avec nos conseils externes.

En septembre 2021, le club de la capitale a signé un nouveau contrat de sponsoring avec Crypto.com. Ressentez-vous une tendance à la digitalisation, aux NFTs et crypto-monnaies au sein du Paris Saint-Germain ? Considérez-vous que c’est une bonne chose pour le Paris Saint-Germain ?

Effectivement, la tendance est très nettement à la digitalisation dans les secteurs du merchandising, des médias et du sponsoring sportif. 

Concernant notre partenaire Crypto.com, il s’agit une plateforme d’échanges de crypto monnaies qui a signé des contrats assez importants dans le milieu du sport ces derniers temps tels que le naming du Staples Center à Los Angeles, un deal avec la Formule 1 pour son format « sprint », etc.

Avec la signature de ce contrat, Crypto.com est devenu le « partenaire plateforme officiel de crypto-monnaies » du club. 

A ce titre, des jetons non fongibles (NFT) exclusifs sont mis en circulation sur la plateforme NFT native de Crypto.com.

Pour le club, la signature du contrat avec Crypto.com était une étape naturelle dans la mesure où nous partageons avec cette entité le même intérêt pour l’innovation. Cela démontre également encore la vision du Paris Saint-Germain et sa position de précurseur dans les domaines du digital, de l’esport et du lifestyle par exemple.

Cependant, Crypto.com n’était pas le premier partenaire avec qui nous avons signé un contrat de partenariat dans le secteur des crypto-monnaies. En effet, nous avons signé en 2018 un contrat avec Socios au titre duquel Socios a développé une offre de jetons (les Fans Tokens) que les fans du club peuvent se procurer sur l’application Socios et qui leur permet de participer à la vie du club et d’accéder à des expériences exclusives. Nous étions la première franchise sportive à devenir partenaire de Socios, et nous avons continué à innover à leurs côtés à l’occasion de l’arrivée de Lionel Messi, puisque nous avons conclu la première signature de contrat de joueur incluant des Fans Tokens.

Pour parler rapidement des NFTs, le club est également très actif dans ce domaine comme le démontrent plusieurs lancements récents : les équipes merchandising, et notamment celles de la direction juridique, ont récemment créé et mis aux enchères un NFT vidéo de Lionel Messi célébrant son septième Ballon d’Or, ainsi qu’une série exclusive de 10.000 NT en collaboration avec la star internationale Jay Chou (700 millions de followers sur les réseaux sociaux).

Cette tendance conforte la position de pionnier du Paris Saint-Germain comme entité innovante, et l’association à ces nouveaux secteurs digitaux constitue effectivement un succès puisqu’elle a permis au club de s’engager auprès d’un nouveau public mondial tout en créant une nouvelle source de revenus issue du digital. 

Le PSG vient de signer un nouveau contrat de sponsoring avec GOAT pour l’année prochaine. Quelles sont les ambitions du club avec cette société américaine ?

GOAT est une plateforme en ligne lifestyle nouvelle génération qui propose des produits assez pointus en matière de mode. 

Aux termes de ce contrat de sponsoring signé en avril 2022, la marque GOAT figurera sur la manche des tuniques parisiennes à compter de la saison 2022/2023. Par ailleurs, le partenariat permettra à GOAT ainsi qu’au Paris Saint-Germain de promouvoir ensemble la plateforme et ses produits aux amateurs de football et de mode, dans le monde entier.

Ce partenariat s’inscrit totalement dans l’image du club, et ce contrat renforce encore le statut de « club lifestyle » auprès du public. En effet, les parties développeront ensemble des collaborations innovantes et créatives qui seront disponibles sur une plateforme accessible dans le monde entier. 

Comment luttez-vous contre l’ambush marketing ? Y a-t-il un exemple d’ambush marketing que vous auriez subi au PSG récemment et que vous pouvez révéler?

Comme je l’ai mentionné plus tôt, il s’agit généralement du cas où un concurrent d’un de nos sponsors publie des contenus à destination du public (encarts dans la presse écrite, campagnes d’affichage, posts sur les réseaux sociaux, etc.) dans lesquels il utilise des attributs du Paris Saint-Germain (marque, logo, dénomination, image de joueurs en tenue officielle, etc) de manière habile pour induire dans l’esprit du public l’existence d’une association officielle entre le club et sa marque. 

Ces pratiques sont extrêmement préjudiciables pour le club mais également ses sponsors car en plus de constituer un usage frauduleux de nos actifs incorporels, elles sont susceptibles de mettre à mal la relation et la valeur des contrats conclus avec nos propres sponsors. En effet, ces derniers paient des droits marketing leur permettant de s’associer officiellement au club, et notre devoir est donc de les protéger face à ce type de pratiques.  

Ainsi, dès que nous sommes alertés d’un cas d’ambush marketing, nous envoyons une mise en demeure aux représentants de la société concernée dans laquelle nous leur demandons de retirer sans délai les publications incriminées et de s’engager à cesser de le faire à l’avenir. C’est généralement suffisant, mais il arrive que certains récidivent. Dans ce cas, nous nous réservons le droit d’aller au contentieux devant la juridiction compétente et de demander des dommages et intérêts. 

Notre politique en la matière est celle de l’intransigeance. 

A titre d’exemple puisque vous le demandez, je mentionnerais plutôt un secteur au sein duquel nous traitons beaucoup de cas d’ambush marketing. Il s’agit du secteur du betting. Il s’agit en effet d’un secteur très concurrentiel et directement lié à l’actualité sportive. Ainsi les jours précédant les matches du club, et plus particulièrement les grosses affiches, nous constatons une hausse significative des cas d’ambush.

L’arsenal juridique en termes de lutte contre l’ambush marketing est-il suffisant ? 

Ce qu’il convient tout d’abord de rappeler, c’est que les opérations d’ambush marketing sont généralement très subtilement pensées. Les publications se trouvent à la limite de ce qui serait considéré comme illicite, et l’atteinte aux droits exclusifs du club ne peut pas être qualifiée de directe. Néanmoins, la notion d’association officielle au club est quant à elle bien créée dans l’esprit du public.

Juridiquement, notre arme face à l’ambush est celle du parasitisme économique (variante de la concurrence déloyale). Il se définit généralement comme le fait pour un tiers (en l’occurrence « l’ambusher ») de s’immiscer dans le sillage du club afin de tirer profit de sa notoriété et de ses investissements (ex : achats de joueurs) sans rien dépenser.

Je ne sais pas si cette arme juridique est suffisante. Néanmoins, il s’agit de la plus efficace pour contrer les cas d’ambush. 

Il est vrai que l’on peut faire la comparaison avec les Jeux Olympiques qui bénéficient d’une protection spécifique, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives qui disposent d’un droit de propriété spécifique sur les événements qu’ils organisent. 

Cependant, dans la mesure où nous ne sommes ni l’un ni l’autre, le parasitisme constitue à mon sens le moyen de défense le plus approprié et le plus efficace en l’espèce.

Travaillez-vous en collaboration avec des avocats ?

Dans le cadre de nos contentieux, nous travaillons bien entendu en collaboration avec des cabinets d’avocats.

Pour les cas de précontentieux, nous essayons généralement de les traiter en interne mais il peut arriver que nous ayons également recours à des avocats si le sujet, les risques ou bien le calendrier l’exigent. Il en est de même pour les points de questionnement juridique ou bien l’étude de la législation relative à un territoire ou secteur économique spécifique. 

Sur un autre sujet, avez-vous rencontré des difficultés, en tant que femme, en évoluant professionnellement dans le milieu du sport ?

Dans l’imaginaire collectif, le sport et son industrie sont apparentés à des secteurs plutôt masculins, et il est vrai qu’il y a généralement plus d’hommes que de femmes qui travaillent dans les entités sportives.  

Je n’ai cependant jamais rencontré de difficultés à cet égard depuis le début de ma carrière, et mes compétences n’ont à aucun moment été remises en cause de ce fait.

Lors de mes différentes expériences professionnelles, j’ai également eu la chance d’avoir été formée et guidée par des femmes de caractère et brillantes qui m’ont inculqué que la notion du sexe ne devait pas être un sujet dans le cadre professionnel. Je pense avoir naturellement pris exemple sur elles et je ne me rappelle pas avoir eu à me poser la question de ma légitimité au regard de mon genre dans le cadre de mon travail. 

Je reste néanmoins toujours vigilante à cette problématique pour mes équipes et mes collègues, et j’ai toujours eu à cœur d’instaurer un climat positif pour les femmes autour de moi. J’espère d’ailleurs pouvoir à l’avenir aider à s’épanouir professionnellement d’autres femmes, sur le modèle du mentorat que j’ai moi-même reçu.

Il faut également souligner à ce sujet que les mentalités changent, notamment parce que les jeunes générations sont beaucoup plus sensibilisées au sujet des discriminations, mais également grâce à certaines initiatives menées en interne.

Je voudrais souligner ici certaines actions prises par le Paris Saint-Germain :

En effet, les salariés ont pu bénéficier dans le cadre du programme de compliance du club de formations en ligne leur permettant de prendre connaissance de ce qui est discriminatoire au regard de la loi, de prendre conscience des biais et des stéréotypes, d’identifier les situations concrètes de discrimination, de découvrir les bonnes pratiques et de développer un comportement adapté. 

Le fait que la direction du club soutient activement ces programmes et s’assure de leur complétion par les salariés montre l’exemple et acte de la considération du club sur ces sujets.

Notre équipe de football féminine est également mise en avant au sein du club, et les salariés ainsi que leurs proches sont incités à aller les encourager au stade lors de leurs différents matchs. Il convient aussi de souligner que le CUP est également très présent dans les tribunes féminines. 

Notre fonds de dotation s’implique également pour l’égalité femmes/hommes depuis maintenant 10 ans à travers son programme « Allez les filles » permettant l’émancipation par le sport à destination de jeunes filles de 8 à 13 ans et leur sensibilisation durable aux bienfaits et valeurs du sport. A la fin de ce programme annuel, nous les encourageons à continuer la pratique du sport de leur choix en leur offrant leur licence sportive.

Le fonds de dotation du club est également présent aux côtés des femmes et des enfants en situation d’urgence pris en charge par l’association « Du côté des Femmes ». Ainsi, le club a par exemple organisé une journée au Parc des Princes en présence de joueuses de l’équipe professionnelle pour offrir aux femmes et enfants contraints de fuir leur domicile une échappatoire dans des moments difficiles. 

Toutes ces initiatives illustrent la sensibilité du Paris Saint-Germain sur la question des inégalités femmes/hommes et la volonté de s’assurer du respect des droits des femmes et de leur émancipation.

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