La protection des marques d’évènements sportifs

par | 7, Nov, 2022

En 2015, les revenus de l’industrie sportive s’élevaient à 45 milliards de dollars en billetterie, 45 milliards en parrainage, 35 milliards en droits TV, et 20 autres milliards en merchandising1. L’évènement sportif moderne dispose d’un impact outrepassant manifestement le champ de la performance sportive. Si ces enjeux sportifs forment la base incrémentale desdits évènements, l’enjeu financier et marketing peut sans aucun risque être considéré selon le même degré d’importance. En effet, un évènement sportif se définit tel « un lieu et un moment où se déroule une compétition sportive », et il est important de souligner qu’aux côtés des parties prenantes évidentes (athlètes, spectateurs, médias), apparaissent de manière sous-jacente de nombreux partenaires publics ou privés, tout autant que des détenteurs de droits ou des fournisseurs2

C’est justement au regard du lien unissant ces derniers aux organisateurs d’évènements sportifs qu’il s’agira de s’attarder dans la présente analyse, dans la mesure où la réussite de l’un implique celle de l’autre au travers de la marque de l’évènement sportif. En effet, le sponsor compte sur le succès de l’organisateur pour réaliser des bénéfices, tandis que l’organisateur a besoin de la contribution des sponsors pour mettre en place un événement médiatisé et performant. Or, c’est au regard de ces investissements, financiers pour l’un et organisationnel pour l’autre qu’un phénomène néfaste est apparu ces vingt dernières années, parallèlement au développement des nouveaux moyens de communication et du marketing moderne : l’ambush marketing. 

Ce phénomène pouvant se définir sommairement telle la pratique visant pour une marque à « « parasiter » un événement en profitant d’une forte exposition médiatique, sans être partenaire ou sponsor officiel3 », il s’agit plus particulièrement, « d’une tentative d’obtenir de la visibilité pour une marque, un produit ou une cause sans être partenaire ou sponsor de l’événement 4». Or, pour lutter activement contre ces pratiques, et donc pour protéger leurs marques, si les organisateurs d’évènements sportifs se sont lourdement fondés sur des stratégies marketing palliatives (stratégies sur site, ou globales), nombreux sont les cas où le comportement de l’ambusher dépasse le cadre de la licéité, et nécessite l’introduction d’actions judiciaires visant à faire cesser lesdits comportements, ainsi qu’à réparer la perte subie par les organisateurs ou par leurs partenaires commerciaux. 

A l’heure où de nombreuses équipes marketing et juridiques doivent veiller à une planification efficiente des zones publicitaires d’une part, et des stratégies anticipées de lutte contre d’éventuels ambush marketing d’une autre, notamment au regard des Jeux-Olympiques qui se dérouleront dans deux ans sur le territoire français, il s’agira d’analyser l’appréciation que fait le droit français du concept d’ambush marketing. Pour cela, s’il sera déterminant d’exposer la pertinence d’appréhender le phénomène au travers du droit de la concurrence déloyale et du parasitisme (II.), il est tout d’abord nécessaire d’évoquer en quoi de nombreux autres régimes juridiques théoriquement pertinents semblent inadaptés dans la pratique (I.). 

I. Des régimes juridiques théoriquement pertinents mais pourtant inadaptés

§1 : De l’insuffisante efficacité partielle du droit des marques

L’inefficacité du droit des marques n’est pas générale. Nombreuses de ses dispositions pourraient justifier sa pertinence. Cependant, les solutions qu’il propose ne sont pas à tous égards les plus adaptées aux situations parfois alambiquées qu’impliquent l’ambush marketing. En effet, si son concours est indispensable dans la protection première de la marque d’évènement sportif par l’enregistrement de sa dénomination ou ses symboles (logos, mascotte, dénomination de la mascotte, nom de la ville hôte, ou même certains codes couleurs), le contour théorique de ce droit le rend rapidement incompatible avec la difficulté de l’enjeu. A titre d’exemple, les conditions de dépôt de marque ne sont pas nécessairement adéquates pour certains des signes susmentionnés. La plupart seraient sujet au risque d’être qualifiés de signes dépourvus de distinctivité par exemple, constituant pour rappel un motif de nullité absolue d’une marque en vertu de l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle. Seraient ainsi concernés les noms de ville, ballons, terrains de sport. 

Aussi, la lenteur procédurale du droit des marques justifie son impertinence partielle au regard du phénomène de l’ambush marketing. L’enregistrement d’une marque ou autre signe distinctif au niveau national et européen est coûteux en temps, si bien que cette contrainte temporelle oblige les organisateurs à planifier à l’avance leurs pratiques commerciales. Or, planifier, c’est tenter de déterminer de manière anticipée la totalité des produits ou services pour lesquels un enregistrement sera sollicité, tâche loin d’être aisée et pouvant entrainer un coût important. De plus, les enregistrements multiples ne font parfois aucune différence : souvent, l’ambusher n’imite pas la marque, mais vise plutôt à offenser la marque du sponsor officiel au profit de la sienne. Il semble donc y avoir une inadéquation entre le droit des marques et la protection juridique des événements sportifs, non pas en raison de son impertinence, mais en raison de ses lacunes.

§2 : De l’impertinence partielle du droit du sport, et des lois ad-hoc en la matière 

Il a régulièrement été confié au droit du sport, ainsi qu’à des lois ad-hoc le soin d’appréhender les comportements d’ambush marketing, et ce, souvent à la demande explicite des organisateurs d’évènements sportifs lors d’évènements internationaux. En ce sens, pour protéger les sponsors officiels de pratiques parasitaires, il a notamment été question d’en adopter au regard des Jeux Olympiques de Sydney (2000), d’Athènes (2004), ou encore de Turin (2006). Toutefois, si ces lois ad-hoc peuvent présenter de considérables avantages (en faisant bénéficier aux symboles une protection plus large et souple que celle conférée par le droit des marques en outrepassant son principe de spécialité notamment), elles peuvent aussi être la cause de conséquences néfastes majeurs. 

Les Jeux Olympiques de Londres de 2012 en sont le parfait exemple. L’adoption d’une loi ad-hoc dite « London Olympic Games and Paralympic Games Act » démontra en effet que l’adoption de telles lois au spectre surprotecteur confondait manifestement la volonté d’une prévention mesurée avec celle d’une prévention abusivement agressive. A titre illustratif, l’article 32 de la loi susmentionnée définissait de manière très large ce en quoi consistait un « terme protégé », dont l’utilisation était réservée aux organisateurs et partenaires : c’est-à-dire tout « mot si semblable à un mot protégé qu’il est susceptible de créer dans l’esprit du public une association avec les Jeux Olympiques ou le mouvement olympique ». On peut donc constater pourquoi une loi ad-hoc peut être une solution efficiente. Pour autant, elle peut être manifestement trop agressive. De plus, si l’on peut remarquer que la protection déployée est trop agressive, c’est son caractère ex-ante qui lui fait aussi défaut. Le critère temporel ici n’est effectivement pas anodin. Vaut-il mieux museler la liberté d’expression par anticipation, par crainte d’atteinte future à la marque d’un évènement sportif, ou plutôt déceler quels outils permettraient de lutter à postériori au sujet d’une atteinte à des droits de marques ? 

Il s’agira de développer dans un deuxième axe d’en quoi le régime de la concurrence déloyale et parasitaire peut constituer cette alternative mesurée et efficace, laissant au droit le soin de réparer et non de faire grief. 

II. Concurrence déloyale et parasitaire : un régime souple et adapté pour contrer des pratiques trompeuses 

§1 : De la pertinence théorique de la concurrence déloyale et parasitaire 

Théoriquement adapté justement par son application ex-post, le régime de la concurrence déloyale et parasitaire semble adopter la position la plus efficiente dans la lutte contentieuse pour la protection de la marque d’évènement sportif (à l’inverse des différentes stratégies juridiques précédemment discutées dont les apports ne restaient que partiellement adaptés). 

L’application du droit de la concurrence déloyale et parasitaire, bien que ne prohibant pas par défaut certains actes illicites, permettrait de combattre grand nombre d’actes auxquels se livrent les ambushers. Particulièrement, la publicité parasitaire – fortement répandue pour des évènements type J.O, coupe du monde de la FIFA – pourrait être efficacement combattue. En effet, si la sanction de l’ambusher qui prétend à tort être un sponsor officiel est facilement réprimée, seul le parasitisme serait apte à appréhender un concurrent présentant son produit comme « non officiel »5, son essence résidant en la sanction d’une « volonté intentionnelle et préméditée de tirer parti de la valeur économique d’autrui à des fins lucratives et injustifiées, procurant un avantage concurrentiel significatif »6

Le régime pré-évoqué de la concurrence déloyale, grâce à la plasticité de sa notion de parasitisme par exemple, serait effectivement apte à appréhender efficacement les techniques de publicité trompeuse et, plus largement, la création de risques de tromperie, incluant la plupart des terrains de jeu de l’ambush marketing. Particulièrement, la publicité trompeuse faisant allusion au parrainage ou la tentative d’associer son nom à un athlète ou à un événement sportif par le biais d’une publicité de félicitations en ferait partie. 

§2 : Le choix d’un régime jurisprudentiel équilibré : fin d’un monopole d’exploitation abusif  

La jurisprudence française semble avoir rapidement considéré le régime de la concurrence déloyale et parasitaire comme celui le plus adapté au regard des stratégies de lutte pour la protection a posteriori de la marque d’évènement sportif. En effet, le choix de condamner sur la base de ce régime a été répété à plusieurs reprises et s’est dessiné avec de plus en plus d’ardeur à chaque nouvelle décision. 

En ce sens, c’est dès 1996 que le Tribunal de Grande Instance de Paris se référait à ce fondement afin de condamner les comportements d’ambushers. Ainsi, si le spectre de la concurrence déloyale et parasitaire semblait déjà planer lourdement sur le marketing d’embuscade aux yeux du juge français. Des décisions clés ont par la suite confirmé explicitement le rôle central de ce régime juridique. 

La Cour d’appel de Paris a dans ce sillage considéré par décision en date du 10 février 2012, que « le fait pour une entreprise de se rendre visible du public à l’occasion d’une manifestation sportive ou culturelle afin d’y associer son image tout en évitant de rémunérer les organisateurs et de devenir un sponsor officiel constitue un ambush marketing et donc une faute au sens de l’article 1382 du Code civil ».

Le fait de privilégier une approche a posteriori de l’atteinte permet l’avènement d’un régime juridique équilibré. Reposant en les mains des juridictions, la valorisation d’un tel fonctionnement réside en le fait qu’il n’est pas question, pour le compte de la protection d’une marque, de créer une sorte d’immunité à l’image des effets de lois ad-hocs unilatérales et abusivement protectrices. Effectivement, cette approche jurisprudentielle est valorisée notamment car cette dernière ne mènerait pas à une victoire quasi systématique des organisateurs d’évènements sportifs : l’avantage de la casuistique peut tout aussi bien jouer en faveur des prétendus ambushers.

De plus, le caractère casuistique de ce régime peut aussi permettre son évolution rapide et pertinente. Il est vrai qu’ un tel régime permettrait certes de contrecarrer les plans d’ambushers, mais aussi de pallier la crainte déjà succinctement évoquée : la protection des marques d’évènements sportifs ne doit pas être accomplie au prix des libertés fondamentales. La liberté d’expression, ou encore la liberté de commerce ne peuvent être sacrifiées au titre de quelconque cause, ce sur quoi la Cour de cassation a lourdement insisté en 2014, lorsque les juges du Quai de l’Horloge ont tempéré le monopole d’exploitation des fédérations sportives et des organisateurs de manifestations sportives issu de l’article L331-1 du Code du sport. 

Le litige en question, qui opposait la Fédération Française de Rugby et le constructeur automobile Fiat, s’établissait autour d’une publicité faisant état du score d’un match de l’équipe de France, ce que la Cour n’a pas considéré comme une « captation injustifiée d’un flux économique résultant des manifestations sportives organisées par la FFR ». A donc été privilégiée la liberté d’expression en l’espèce, et comme le revendiquait Maître Goutorbe au commentaire de cette décision, ladite Cour a choisi par une interprétation précise du parasitisme économique et de l’article L.331-1 du Code du sport, de créer les contours d’un ambush marketing « maîtrisé et licite ». 

Conclusion 

Les marques d’évènements sportifs peuvent faire l’objet de protection juridiques diverses. Évoqués précédemment, certains régimes juridiques peuvent sembler parfois :  

(i) pertinents mais incomplets : à l’image d’un droit des marques très utile dans la phase de protection précontentieuse, mais en partie incomplet ; 

(ii) impertinents par les dérives qu’ils sous-tendent : à l’image de lois ad-hocs dédiées à la lutte explicite contre l’ambush marketing toutefois grandement néfastes du fait de leur atteinte manifeste aux libertés de commerce et d’expression. 

Ainsi, le régime a posteriori de la concurrence déloyale et parasitaire, érigé par la jurisprudence française, serait celui le plus pertinent. En effet, mettant en avant d’une part la protection souple qu’incombe le régime du parasitisme, et d’une autre l’objectivité des juridictions disposant du pouvoir de trancher les litiges, un tel régime permettrait la conciliation des enjeux stratégiques visant à la protection effective des marques d’événements sportifs, tout en laissant le jeu de la concurrence et du marketing libre d’action dans la limite des lois en vigueur, c’est-à-dire sans museler quelconque liberté fondamentale. 

  1. Étude par Price Waterhouse Coopers, 2015.
  2. The ecosystem of sports spectales: from research to managerial practices and back, L. Maltese, F. Pons, J-P Danglade, O. Keramidas.
  3. B. Barthelot. 
  4. Ibid
  5. Pour un exemple récent, voir la campagne de publicité de Burger King « partenaire non-officiel de la VAR ».
  6. Tourneau, 1998 et Cass. com. 10 July 2018 

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