L’Ultra-trail du Mont-Blanc (UTMB) tire son origine de Catherine et Michel POLETTI, couple fondateur de l’événement en 2003. La course de 171 km et 10 000m de dénivelé a impulsé une dynamique pour la discipline et a créé une solide communauté de traileurs en France. Au fil des années, la compétition s’est diversifiée et la société organisatrice a gravi les échelons pour s’imposer sur le marché mondial de l’ultra-trail. Au cours de notre entretien avec Catherine POLETTI, nous abordons notamment le développement de la discipline du trail à l’étranger, la création récente du circuit international “UTMB World Series” en association avec The Ironman Group, ou encore la conciliation de grandes courses en nature avec l’enjeu environnemental. Entretien exclusif pour Jurisportiva.
Bonjour Madame. Dans un premier temps, pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour, je suis Catherine POLETTI, présidente de UTMB Group. C’est une société en pleine croissance, nommée « Group » car elle réunit plusieurs entités que nous avons créées ces dernières années.
S’agissant de l’UTMB Mont-Blanc, j’en suis la co-fondatrice avec mon mari et la directrice depuis le début, soit depuis 2003.
Pouvez-vous présenter votre entreprise, la SAS UTMB Group ?
Jusqu’en 2018, nous avions plusieurs entités : une première « Autour du Mont-Blanc » consacrée à organiser et animer l’UTMB Mont-Blanc. Une deuxième entité suisse créée en 2016 s’appelait « UTMB International » et était dédiée à la gestion des franchises que nous avions à l’étranger. Une troisième, « Ultra-Trail World Tour », était une société anonyme de droit suisse.
Enfin, une dernière structure s’appelait « LiveTrail » dont l’objet était de créer un logiciel pour capter les données d’aide à la décision (pour le chronométrage, la communication, la sécurité, la logistique, l’analyse des flux etc).
En 2019, pour préparer la succession à nos enfants, nous avons regroupé toutes ces entités en un seul groupe pour organiser de manière légale et optimale la transmission de tous ces actifs.
« UTMB International » était à 50% à « Autour du Mont-Blanc » et 50% à OC Sport qui, à cette période, était dirigée Rémi DUCHEMIN et dont le groupe Telegram était actionnaire. Nous sommes ainsi devenus « UTMB Group » via un partenariat avec le groupe Telegram lui-même.
Nous sommes une entreprise familiale, nous nous sommes toujours arrangés pour garder la majorité dans cette ouverture vers l’international, qui nécessitait des fonds et donc de s’associer à un grand groupe mais sans se faire absorber.
En 2022, cette organisation est modifiée par une nouvelle collaboration avec The Ironman Group.
En effet, en 2017-2018, les opérateurs ont réalisé qu’il devenait intéressant d’investir dans le trail running. Nous avons reçu plusieurs propositions de rachat de notre événement mais nous les avons toujours refusées. Il y avait notamment Spartan, The Ironman Group, Motiv et d’autres.
Par ailleurs, en 2019, nous avons reçu 32 000 demandes d’inscription pour nos huit courses bien que nous ayons 10 000 spots disponibles. Finalement, nous engendrions plus de frustration que de personnes satisfaites d’être sélectionnées.
Pour ces deux raisons, il nous fallait garantir la stabilité et le positionnement de l’événement. Nous avons donc créé un étage supplémentaire pour créer une pyramide et élargir la base pour ne pas être seuls.
Nous avons donc monté un circuit international avec un associé : The Ironman Group.
Cette entreprise voulait entrer dans le domaine du trail running mais n’avait pas les codes. Nous, on les avait. A l’inverse, ils avaient une puissance d’implantation à l’international que nous n’avions pas. On se complète.
The Ironman Group a donc racheté les parts du groupe Telegram qui était jusque-là notre associé, et ils ont accepté d’être associés minoritaire de UTMB Group.
UTMB Group, c’est donc un associé majoritaire « Société Poletti et Associés » et un associé minoritaire « The Ironman Group ».
Une dynamique de développement à l’étranger a donc été enclenchée. Quelles sont les motivations d’une telle internationalisation de l’ultra-trail ?
Depuis la création de l’événement, de nombreuses nationalités se déplaçaient au Mont-Blanc. Jusqu’à 111 nationalités représentées plus précisément. Par-dessus tout, dès 2010, plusieurs organisateurs étrangers nous ont contactés car ils souhaitaient organiser le même type d’événement chez eux. Les premiers ont été les Japonais et les Chinois.
D’ailleurs, nous n’avons jamais été à l’initiative de demandes, nous ne faisons que répondre à des appels entrants.
Au début, nous avons créé deux franchises pour que la marque ne soit pas dégradée. Rapidement, ces deux entités ne permettaient plus d’avancer aussi vite que le développement du trail-running lui-même.
Nous nous sommes donc associés à Ironman pour nous aider à nous internationaliser. Avoir une présence sur les différents sites pour l’accompagnement des locaux, c’est important.
En 2022, vous créez le circuit international “UTMB World Séries”. En quoi consiste cette compétition ?
Depuis toujours, les coureurs donnaient la preuve de leur compétence pour courir la distance. Ce minimum d’expérience est maintenant décidé par l’UTMB Index, une performance qui nous garantit que le coureur a déjà fini une course du même style. En apparaissant dans le classement final d’une course inscrite dans le circuit, le coureur gagne des « Running Stones » qui permettent de participer au tirage au sort pour participer à l’UTMB Mont-Blanc.
Aujourd’hui, le circuit international compte 25 événements dans le monde, l’année prochaine il y en aura 35, et je pense nous pourrons atteindre les 50 courses.
Comment s’opère concrètement la création et l’organisation d’une course à l’étranger ?
Nous organisons nos 25 courses de manière proactive. Soit nous les créons nous-mêmes, soit nous les achetons, et sur certains territoires nous travaillons différemment : en Corée par exemple, car le système politique et financier est particulier.
Avec Ironman, nous nous sommes partagés le travail. UTMB Group possède 14 courses et Ironman en possède 11. Les onze courses d’Ironman sont toutes réunies dans une maxi franchise pour garantir aux coureurs l’uniformité des règles appliquées.
S’agissant de l’organisation pure, très concrètement, les locaux sont salariés de l’événement. Nous, nous fournissons la majorité des sponsors, la communication à l’année, et gérons les inscriptions. C’est un travail très collaboratif.
Jusqu’en 2019, l’entreprise comptait une dizaine de salariés. Aujourd’hui, nous sommes une cinquantaine en Haute-Savoie et une cinquantaine à l’étranger.
Ce qui est clair, c’est que l’on ne travaille qu’avec les courses qui souhaitent travailler avec nous. Si nous trouvons un terrain d’entente, tant mieux, sinon, tant pis.
Selon quels critères les lieux de course sont-ils sélectionnés ?
Nous prenons deux paramètres en compte :
- un paramètre géographique : Est-ce un lieu iconique intéressant à visiter ? Ce lieu est-il capable d’accueillir du monde ?
- un paramètre sportif : y a-t-il une densité importante de coureurs et coureuses de trail running à cet endroit du globe ?
Par exemple, nous avons créé Nice Côte d’Azur by UTMB car c’est un endroit interactif, avec une communauté de coureurs très riche, un terrain naturel montagneux, une structure d’accueil et d’accessibilité satisfaisante pour les personnes qui viennent de l’international, et des locaux qui adhèraient au projet.
Pouvez-vous nous décrire le modèle économique de UTMB Group ?
Les recettes viennent de plusieurs sources, principalement des inscriptions et des partenariats (privés ou institutionnels).
Avant de créer l’UTMB World Series les deux apports étaient à 50%-50%. Depuis 2022, les inscriptions représentent 70% des recettes et les partenariats 30%. L’objectif est de revenir à une équité.
Le secteur sport s’engage peu à peu dans des discussions ayant pour objet la limitation de l’impact sur l’environnement. En tant qu’organisateur d’événements en milieu naturel, êtes-vous partie prenante à de telles consultations ?
Bien sûr, et cela depuis le début. Aujourd’hui, pas un seul organisateur de trail n’est pas sensible aux enjeux environnementaux. C’est notre terrain de jeu, si nous n’en prenons pas soin, cela ne fonctionne pas.
Cela va même plus loin que l’environnement, il faut prendre en compte le lien entre les vivants et leur environnement. Aux Etats-Unis, il n’y a pas de grands événements de pleine nature, ils sont contingentés sur leurs routes. Notre montagne française est habitée, il y a une vie pastorale, des villages partout etc.
Notre intérêt est d’avoir une conscience écologique qui tienne compte des habitants locaux, des professions, de l’économie locale, de l’environnement lui-même et du soutien des associations locales.
A ce titre, notre première « commission environnement » date de 2008. Ensuite, nous avons signé de nombreuses Chartes : la Charte de l’espace Mont-Blanc, la Charte régionale fédérale, le Plan climat avec Chamonix, la Charte des « 15 engagements écoresponsables des organisateurs d’événements sportifs » du Ministère des Sports et WWF France, avec qui nous avons d’ailleurs fait notre bilan carbone. De plus, nous venons de renouveler nos vœux d’adhérer à l’actualisation de cette dernière Charte à horizon 2024.
Selon vous, le renforcement de la protection des zones accueillant des ultra-trails peut-il être un frein à l’organisation d’un tel événement ?
Non, car certes nous passons dans des réserves naturelles mais nous travaillons avec elles pour savoir où faire passer les chemins.
Nous n’empruntons que des chemins publics et balisés « grandes randonnées ». Nous participons au tracé des chemins, nous aidons à protéger les zones humides, à créer des passerelles…
La force d’un événement est d’encadrer les gens, d’avoir un règlement et des personnes sur place qui fassent respecter les règles. Le côté éducatif est important car cela met le focus sur une sensibilisation nécessaire pour des personnes qui cherchent à se reconnecter à la nature. Nous devons leur expliquer les bons codes.
Crédit photo : Jean-Louis Carli