Olympique lyonnais : quelles obligations pour le joueur-actionnaire ? 

par | 17, Août, 2021

Comme nous l’avons vu dans un article précédent, la baisse des salaires des effectifs de Ligue 1 fut la priorité de beaucoup de dirigeants au cours des derniers mois, du fait notamment de la crise sanitaire. Mais une telle mesure n’est toutefois pas toujours  simple à mettre en place, les joueurs n’étant en aucun cas dans l’obligation d’accepter cette diminution. 

À l’instar de ses concurrents directs, le club de la capitale des Gaules estime à environ 150 millions d’euros ses pertes totales sur la saison 2020-2021. Pour faire face au Covid-19 et à ses conséquences économiques dévastatrices, l’irréductible Président français, Jean-Michel Aulas, a fait preuve d’ingéniosité pour proposer à ses joueurs une solution intermédiaire. En effet, afin de convaincre ses joueurs de percevoir une moindre rémunération, il a proposé à ses salariés en contrepartie de leur geste, d’acquérir des actions du club. 

Dans plusieurs communiqués, l’Olympique Lyonnais précisait sa démarche : « une conversion en actions d’OL Groupe d’une partie de leur rémunération, représentant entre 5 et 25 % du salaire, et ce à partir du mois de février et pouvant aller jusqu’au mois de juin 2021 », concernant les « gros salaires », c’est-à-dire supérieurs à 50 000 euros par mois. 

Une proposition qui rencontra un certain succès puisque  363 483 actions ont été émises, d’une valeur unitaire de 1,52 euros. Par un communiqué de presse du lundi 19 juillet 2021, OL Groupe annonce le gain de 827.085,57 euros grâce à l’achat d’actions par ses joueurs et “remercie vivement les acteurs sportifs qui ont participé à ces opérations, témoignant leur engagement dans l’avenir sportif et économique de l’Olympique Lyonnais”.

Mais à quoi correspond réellement cet engagement ? Et surtout, alors que nous sommes en plein cœur du mercato estival, quelles peuvent être les conséquences de cette opération sur les joueurs en partance de l’Olympique Lyonnais ?

Un joueur actionnaire quittant le club peut-il conserver ses actions chez OL Groupe ? 

À titre préliminaire, il convient de rappeler que les actions de l’OL étant cotées en bourse, les joueurs pourront les vendre sur le marché de Paris comme tout autre actionnaire. De plus, des conventions des joueurs peuvent expressément organiser à l’avance leur départ.

À défaut de céder ses actions, le joueur peut-il demeurer actionnaire de l’Olympique lyonnais tout en évoluant dans un autre club ?

Aucune disposition ne légifère explicitement sur la question. La détention de titres de clubs tiers par des joueurs semble possible, mais pose des questions d’un point de vue éthique.

Nonobstant, l’article L. 131-15-1 du Code du sport dispose que : « Les Fédérations délégataires, le cas échéant en coordination avec les Ligues professionnelles qu’elles ont créées, établissent une charte d’éthique et de déontologie conforme aux principes définis par la charte prévue à l’article L. 141-3 ».

Elles instituent en leur sein un comité doté d’un pouvoir d’appréciation indépendant, habilité à saisir les organes disciplinaires compétents et chargé de veiller à l’application de cette charte et au respect des règles d’éthique, de déontologie, de prévention et de traitement des conflits d’intérêts.

La Charte d’Éthique et de Déontologie du Football, annexe 8 aux Règlements Généraux de la FFF, prônant l’indépendance et l’intégrité des acteurs comme principes fondamentaux, affirme dans son 8ème point que « toute situation pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts doit être évitée. Il y a conflit d’intérêt lorsque les personnes ont des intérêts directs ou indirects susceptibles de les empêcher d’accomplir leurs obligations avec intégrité, indépendance et détermination. De tels actes sont interdits, qu’ils soient effectués directement ou indirectement par le biais ou avec le concours d’intermédiaires ou de tiers, et chaque acteur doit s’abstenir de tout comportement pouvant laisser supposer leur existence »

La définition donnée par la Charte a le mérite d’être explicite. Difficile dès lors d’imaginer un éventuel transfert d’Houssem Aouar vers le PSG tout en gardant des parts dans OL Groupe… 

En sus, l’article 124 des Règlements Généraux de la FFF, relatif aux paris sportifs et à la manipulation sportive interdit aux acteurs des compétitions organisées par la F.F.F ou la L.F.P. de « communiquer à des tiers des informations privilégiées obtenues à l’occasion de sa profession ou de ses fonctions, et qui sont inconnues du public ».

Un joueur, qui plus est actionnaire, aura forcément accès à des informations confidentielles sur les performances du club pour lequel il joue, ou a joué. On remarque donc à travers cet article 124, une potentielle clause de confidentialité. Dans la pratique, des pactes d’actionnaires viendront préciser les contours du secret des affaires, en ajoutant couramment des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation. 

Le paragraphe 3 dispose que : « est interdit tout comportement portant ou susceptible de porter atteinte à l’intégrité des matchs et des compétitions en lien ou non avec des paris sportifs. Il est interdit à toute personne d’agir de façon à influencer le déroulement et/ou le résultat normal et équitable d’un match ou d’une compétition en vue d’obtenir un avantage pour lui-même ou pour un tiers ».

Enfin, « toute violation des dispositions du présent article par des assujettis constitue une infraction disciplinaire qui pourra entraîner des sanctions dans les conditions prévues par l’Annexe 2 aux présents règlements. Les personnes coupables de faits de corruption sportive sont également passibles de sanctions pénales ».

Dès lors, et en l’absence de jugements sur la question, on peut être amené à considérer que : 

  • Le simple fait de détenir des actions d’un club concurrent peut constituer en lui-même un « comportement portant ou susceptible de porter atteinte à l’intégrité des matchs et des compétitions », donc une interdiction absolue d’acquérir des parts.
  •  La possession de parts est un élément qui peut caractériser un comportement prohibé s’il est prouvé que le joueur a adapté son niveau et son implication dans son équipe actuelle par le seul fait de sa situation d’actionnaire d’un autre club.

Il serait alors judicieux d’apprécier la situation in concreto. Deux cas se distinguent : 

  • Si le joueur est transféré ou part libre, dans un club de “non-concurrent”. Dans le cas où le joueur en question part jouer dans le championnat brésilien ou chinois, n’ayant aucune compétition en commun avec l’Olympique Lyonnais, sa participation ne poserait pas de problème, il pourrait demeurer actionnaire et joueur « exilé ».
  • Si le joueur s’engage dans un club concurrent,par exemple à Auxerre, à Lille, ou à Naples, la réponse serait bien différente. En effet, Lyon serait susceptible d’affronter l’AJA, pensionnaire de Ligue 2 en Coupe de France, les Dogues en Ligue 1 et jouer au stade Diego Armando Maradona en Ligue Europa. Dès lors, le contrat d’acquisition des actions devrait prévoir une clause, à l’instar de ce qui peut exister en cas de prêt, pour interdire l’actionnaire de jouer le ou les matchs litigieux, c’est-à-dire avec un intérêt direct ou indirect. À défaut d’une telle clause, une interdiction d’actionnariat semble être une restriction indispensable pour un football transparent.

En tout état de cause, cette situation de joueur-actionnaire peut poser un problème de conflit d’intérêts. Si cette pratique économique devenait monnaie courante, l’utilisation de contrat type ou la promesse de cession d’action pourrait être la parade à une situation antagonique ; en obligeant le club à racheter les actions de ses futurs ex-joueurs par exemple.

Même si l’OL ne joue pas la Ligue des Champions la saison prochaine, il serait intéressant de connaître la position que Memphis Depay, parti au FC Barcelone durant ce mercato d’été 2021 a adopté ou s’est vu contraint de suivre : vendre ses parts ou participer au résultat d’OL Groupe. 

Article rédigé par Tarik Dezissert, étudiant en droit du sport

1. Possibilité offerte à l’Olympique lyonnais depuis le 9 juillet 2017 est l’introduction à la bourse de Paris d’OL Groupe. L’OL est actuellement le seul club français coté en bourse.

2. Les sportifs devront seulement respecter les périodes d’acquisition et de conservation si les actions ont été attribuées gratuitement ; ce qui ne semble pas être le cas pour les Gones, celles-ci représentant la contrepartie directe d’une baisse de salaire.

3. Un pacte d’actionnaires peut accorder aux joueurs une promesse d’achat de leurs actions (put option) en cas de départ ou de volonté du joueur de revendre ses actions.

4.  Le Comité national olympique et sportif français veille au respect de la déontologie du sport définie dans une charte établie par lui.

5.  Dans les conditions des articles 445-1-1 et 445-2-1 du Code Pénal.

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