L’épidémie de Covid-19 que nous avons traversé à partir de mars 2020, et qui malheureusement se poursuit encore actuellement, a outre ses conséquences sanitaires calamiteuses sur le pays, également eu des effets collatéraux catastrophiques sur le monde du sport, professionnel comme amateur, et tout particulièrement sur les championnats nationaux de football de Ligue 1 et de Ligue 2, qui ont été tous arrêtés et ce, alors même que l’ensemble des journées de championnat restantes n’avaient pas été jouées.
Après l’arrêt de la Ligue 1, restait encore à déterminer comment le classement final allait être établi. La Ligue professionnelle de football (LFP) opta pour un indice de performance, calculé sur la base d’un quotient lui-même issu du rapport entre le nombre de points marqués et le nombre de matchs disputés. Ces deux décisions ne faisaient toutefois pas les affaires de tous les clubs notamment ceux luttant contre une relégation en Ligue 2 mais également ceux désirant une place pour les compétitions européennes (Ligue des champions et Ligue Europa), parmi lesquels figurait l’Olympique Lyonnais.
En l’occurrence, selon ce calcul mathématique, très éloigné de toute logique sportive, le club demeurait classé seulement 7ème de Ligue 1, ce qui lui fermait toute porte à une qualification à la moindre compétition européenne, une première depuis 1997.
Le président du club rhodanien, Jean-Michel Aulas, ne pouvait évidemment pas se résoudre à un tel classement compte tenu du préjudice économique que son club allait subir, avec la perte à la fois des droits audiovisuels, de sponsors et de billetterie qui allaient résulter du fait de l’absence de participation à une compétition européenne, d’autant plus dans un climat économique global plus qu’incertain en raison de la crise sanitaire.
Vent debout contre cette solution, ce dernier a fait le choix de saisir immédiatement les juridictions administratives, seules compétentes pour traiter de ce type de litige. C’est alors joué un match aller-retour qui a débuté en juin 2020 et qui s’est achevé le 8 juillet dernier, opposant d’un côté, l’Olympique Lyonnais, à la LFP (et l’Etat), et ayant pour arbitre le juge administratif.
A situation sanitaire exceptionnelle, mesure exceptionnelle
Revenons tout d’abord très rapidement sur le contexte qui a conduit aux actions en justice de l’Olympique Lyonnais. Dans le sillon des mesures générales de lutte contre l’épidémie par le Premier Ministre et la déclaration de l’état d’urgence sanitaire par le Parlement, la LFP a décidé, le 13 mars 2020, de suspendre l’ensemble des compétitions qu’elle organise. Par anticipation d’une éventuelle reprise, le conseil d’administration de la LFP a alors immédiatement planché sur un scénario de reprise du championnat de Ligue 1, entre le mois de juin et d’août 2020, l’euro 2020 ayant été reporté pour ne pas empiéter sur le calendrier de la saison 2020/2021.
Le sort des championnats nationaux de football fût finalement tranché par le Premier ministre lui-même, lors de son discours exposant sa stratégie de déconfinement, prononcé le 28 avril, dans lequel il indiqua de manière non-équivoque que « la saison 2019/2020 de sport professionnel, notamment celle de football, ne pourra pas reprendre ». Lié par le choix politique pris par le Gouvernement, le conseil d’administration de la LFP n’avait dès lors que d’autres possibilités que de prononcer l’arrêt des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 pour la saison 2019/2020, en établissant un classement final et définitif selon le quotient rappelé ci-avant.
Un match aller sèchement perdu
Résolu à ne pas laisser cette solution devenir définitive, l’Olympique Lyonnais dans la foulée de cette décision d’arrêt du championnat de Ligue 1 saisit le Conseil d’Etat en déposant un référé afin d’obtenir la suspension, des décisions de la LFP mettant fin à la saison 2019/2020 et arrêtant le classement sur la base d’un quotient. L’objet de ce recours était donc d’obtenir du juge qu’il contraigne la Ligue à ne pas exécuter ces décisions pour préserver les droits du club lyonnais et également de lui ordonner de prononcer la reprise du championnat, ou en cas d’impossibilité, de prononcer une saison blanche, toujours dans l’optique de conserver une chance de participer aux compétitions européennes pour limiter ses pertes financières.
Malgré les nombreux arguments soulevés par le club, le Conseil d’Etat n’a pas fait droit à ses demandes (Conseil d’État, 9 juin 2020, Ligue 1 de football, n° 440809, 440813, 440824) en considérant qu’aucun de ces arguments n’étaient de nature à caractériser un doute sérieux quant à la légalité des décisions de la LFP. La première mi-temps de ce premier match avait donc bien mal débuté pour le club de M. Aulas, mais tous les espoirs n’étaient pas encore douchés, puisqu’il ne s’agissait que d’une ordonnance de référé, qui n’avaient pas conduit à un examen approfondi par le juge de la légalité de ces décisions. Le Conseil d’Etat devait encore se prononcer au fond, en procédant à un entier contrôle de la légalité des décisions contestées.
Néanmoins, la seconde mi-temps fut aussi désastreuse que la première pour le club lyonnais. En effet, la plus haute juridiction de l’ordre administratif a, dans le cadre de l’examen de ce recours au fond, de nouveau rejeté l’ensemble des moyens juridiques développés par ce premier, par un arrêt en date du 23 octobre 2020 (Conseil d’Etat, 23 octobre 2020, n° 440810) Dans les grandes lignes, le Conseil d’Etat estimait que ces décisions relevaient bien de la compétence du conseil d’administration de la LFP, que la circonstance que des dirigeants de clubs aient participé au processus d’adoption des décisions querellées ne méconnaissent pas le principe d’impartialité et que la grande incertitude quant à l’évolution de la situation sanitaire, justifiait en tout état de cause que le championnat soit arrêté. De même, la légalité de la méthode de détermination du classement final est considérée comme légale, et répondait aux objectifs d’équité et d’intégrité des compétitions dès lors que 73 % des rencontres du championnat de Ligue 1 avaient déjà été disputées. Malgré de nombreuses tentatives devant les buts, la défense de la Ligue professionnelle de football n’avait donc pas cédé, infligeant une cinglante défaite aux lyonnais.
Un match retour tout aussi décevant
Après ce premier échec contentieux, le club rhodanien a voulu prendre sa revanche lors du match retour, cette fois devant le tribunal administratif de Paris. A la différence des premières actions contentieuses intentées, cette dernière ne visait pas à obtenir l’annulation des décisions arrêtant la Ligue 1 et établissant les modalités de classement, mais de demander au juge administratif de condamner la LFP et l’Etat, à verser à l’Olympique Lyonnais, une indemnisation résultant du préjudice que ce dernier avait subi du fait de ces mêmes décisions. Le club avait chiffré à près de 126 millions d’euros son préjudice, qui inclut les pertes de droits TV, une réduction des partenariats avec différents sponsors et l’absence de billetterie européenne.
Avant d’en venir à l’analyse du jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 8 juillet dernier (tribunal administratif de Paris, 8 juillet 2021, n° 2010265-2021739), il convient de rappeler qu’une action indemnitaire fondée sur une responsabilité pour faute, ne peut être valablement intentée que si le requérant démontre qu’une personne publique a commis une faute, résultant, par exemple, d’une décision administrative illégale, qu’il a subi un préjudice et qu’il existe un lien de causalité entre cette faute et le préjudice réclamé. En outre, parallèlement à cette première possibilité, un requérant peut échapper à la démonstration d’une faute de l’administration, en engageant la responsabilité sans faute de cette dernière, à la condition toutefois de démontrer que l’agissement ou la décision de l’administration lui a causé un préjudice « anormal et spécial », c’est-à-dire qui le concerne tout spécifiquement et dont aucune autre société ne peut se prévaloir.
En l’occurrence, l’Olympique Lyonnais avait soulevé ces deux fondements de responsabilité, en engageant celle de la LFP comme celle de l’Etat. Le club considérait que les décisions de la LFP étaient irrégulières en soulevant des arguments peu ou prou identiques à ceux qu’il avait déjà soulevé dans son recours au fond devant le Conseil d’Etat. Ayant déjà été jugé par une juridiction qui lui est hiérarchiquement et juridiquement supérieure, les juges parisiens se sont donc contentés de reprendre la solution qui avait été retenue par le Conseil d’Etat le 23 octobre 2020. Aucune faute de la LFP ou de l’Etat n’ayant été caractérisée, l’action en responsabilité pour faute ne pouvait donc prospérer.
Le terrain de la responsabilité sans faute n’a pas été plus favorable au club lyonnais. Le tribunal administratif considère en effet, d’un passement de jambes, que le préjudice prétendument subi par l’Olympique Lyonnais ne lui est pas spécial et particulier dès lors que les décisions attaquées concernaient l’ensemble des clubs de la Ligue 1. Au surplus, la circonstance que le club s’est toujours qualifié depuis 1997, n’est pas non plus une justification suffisante en raison de l’aléa inhérent à toute compétition sportive. Le droit peut donc parfois être aussi cruel qu’une séance de penalties.
Ainsi et sans véritable surprise, le tribunal administratif de Paris n’a pas fait droit aux demandes indemnitaires de l’Olympique Lyonnais, qui dispose toutefois de la faculté de faire appel de cette décision devant le Conseil d’Etat. Affaire à suivre donc.
Anthony Bron – avocat au sein du cabinet Jeantet