Ces derniers temps, les NFT, non fungible token ou jetons numériques non fongibles sont tout simplement partout. Le marché de l’Art est évidemment en pointe. Pour autant, le monde du sport n’est pas en reste, à l’image de la plateforme Top Shot permettant d’acheter des moments forts de la NBA, du tournoi de Roland-Garros ayant lancé ses propres NFT sous forme de sièges virtuels ou encore des clubs sportifs tels que le PSG ou Manchester City. Cette course effrénée aux NFT semble donc ne devoir épargner personne, de peur de ne pas profiter de ce qui semble être perçu comme le nouvel Eldorado.
Alors que certains y voient un simple placement financier éphémère, d’autres y projettent de réelles opportunités de développement sur le long terme et notamment dans des espaces virtuels de métavers. L’engouement autour du phénomène est palpable, le NFT portant sur l’œuvre d’art The Merge ayant presque atteint la côte de 92 millions de dollars. Néanmoins, ces actifs restent fortement soumis aux aléas de la fluctuation des cryptomonnaies et de potentiels hackages.
Au vu des montants en jeu et de la volatilité de ces jetons, le juriste en vient tout naturellement à s’interroger sur la question de la propriété : quels sont les droits véritablement acquis lors d’un investissement dans les NFT ? La nature immatérielle de cet objet du droit non identifié rend-elle sa propriété virtuelle ?
1erround : techniquement, de quoi parle-t-on ?
La philosophie même des NFT est de (re)créer de la rareté sur des contenus qui, en principe, pourraient être reproduits à l’infini eu égard à leur nature dématérialisée.
Schématiquement, un NFT est une suite de caractères alphanumériques renvoyant vers un fichier numérique pouvant être une image, une vidéo, du texte, etc. Il est généré numériquement à l’aide d’un programme informatique dénommé smart contract (contrat intelligent) qui repose sur la technologie de la blockchain.
La blockchain (ou chaîne de blocs) est elle-même une technologie décentralisée d’horodatage, de stockage et de transmission d’informations hautement sécurisée grâce à la cryptographie. Elle fonctionne sur la base de protocoles de validation par les utilisateurs connectés à un réseau. Elle permet ainsi de garantir l’authenticité des données inscrites, leur traçabilité en cas de revente et leur immuabilité. C’est donc cette technologie qui permet aux NFT d’être uniques et infalsifiables. On appelle minting le processus par lequel une personne associe un fichier numérique à un smart contract, appose sa signature numérique puis l’enregistre dans la blockchain.
Concrètement, un NFT contient les métadonnées suivantes : le nom du jeton, l’identité numérique de son émetteur et le fichier sous-jacent protégé avec un lien permettant d’y accéder. Plusieurs NFT peuvent être créés sur une même image : ainsi, dans le cadre des collections de vignettes de sportifs sur Sorare, 1.000 NFT différents peuvent être créés sur la même illustration. En revanche, chaque NFT renverra à un fichier précis unique, avec sa propre adresse url et dont une seule personne sera la propriétaire. De fait, le NFT ne saurait être confondu avec le fichier numérique auquel il renvoie et dont il est distinct.
Il est possible d’acheter et échanger ces NFT sur des plateformes dédiées, via des portefeuilles numériques (wallet) contenant des cryptomonnaies (le plus souvent de l’ether). Si la plus utilisée est OpenSea, la plateforme française Sorare fait figure d’exemple de lancement et de réussite en matière de sport. Une seule personne et une seule phrase secrète de récupération sont associées à ce wallet.
2ème round : quelle propriété matérielle pour les acquéreurs de NFT ?
Le droit court généralement derrière la technologie et, plus généralement, les évolutions de la société : le droit du numérique, péniblement mis en place dans les années 2000, en est un bel exemple.
A ce jour, il n’existe pas encore de définition légale des NFT, ni de cadre réglementaire dédié. Certains auteurs considèrent que l’article L.552-2 du code monétaire et financier relatif aux actifs numériques pourrait s’appliquer puisqu’il définit le jeton comme un « bien incorporel […] pouvant être émis, inscrit, conservé ou transféré au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ». Il est vrai que les NFT semblent cocher toutes les cases, même si un débat semble agiter la doctrine.
Dans le flou de la Loi, il peut être intéressant de se tourner vers les enseignements de la jurisprudence. Bien que les juridictions françaises ne se soient pas encore prononcées sur la question de savoir si les NFT représentent un titre de propriété au sens juridique, les juridictions anglaises et singapouriennes ont récemment rendu des décisions en ce sens (Haute cour de Singapour, 13 mai 2022 ; Haute Cour de justice de l’Angleterre et du Pays de Galles, Lavinia Deborah Osbourne v (1) Persons Unknown (2) Ozone Networks Inc trading as Opensea, 10 mars et 31 mars 2022).
Ainsi donc, les NFT seraient a priori des certificats numériques d’unicité. Ils permettent en effet à leur propriétaire de garantir le caractère authentique – partant unique – d’un fichier numérique. Ce dernier n’est pas contenu en tant que tel dans le NFT, mais il y est associé et décrit dans les métadonnées. En pratique, il est généralement considéré que l’acquisition du NFT confère la propriété du fichier numérique associé ; une telle automaticité nous apparaît toutefois loin d’être évidente.
A titre d’exemple, la joueuse de tennis Oleksandra Oliynykova a pu vendre son bras sous forme de NFT sans pour autant que la personne l’ayant acquis n’en devienne le véritable propriétaire, physiquement parlant. En revanche, l’acquéreur est alors devenu propriétaire du fichier numérique représentant ce bras : libre à lui d’en faire ce qu’il souhaite (le publier sur les réseaux sociaux, le modifier, le revendre, etc.) sous réserve de respecter le droit à l’image de la joueuse !
Pour autant, est-ce à dire que les NFT seraient par nature déconnectés du monde « réel » ? Les usages des NFT sont certes majoritairement à destination de mondes virtuels pixelisés, connus sous le nom de métavers, à l’image de The Sandbox ou Decentraland, et pour des jeux vidéo comme Fortnite ou Roblox. Néanmoins, la limite avec la propriété physique est ténue puisque de plus en plus de NFT ont tendance à conférer, en sus, une propriété physique dans le monde réel ou des expériences exclusives. C’est le cas de la plateforme française Golden Goals qui offre à l’acheteur d’un NFT de maillot son équivalent en réel, ou encore des NFT lancés par Roland-Garros qui permettent en plus de leurs avantages virtuels de gagner des balles de match physiques. On le constate, l’existence d’un produit physique associé continue de rassurer les investisseurs.
3ème round : quelle place pour les droits de propriété intellectuelle ?
En définitive, le NFT n’est ni l’œuvre en elle-même, ni même son support car le fichier numérique est stocké de façon séparée. Il n’y a donc apparemment aucun droit d’auteur en tant que tel sur le NFT qui ne fait que renvoyer vers la localisation d’un fichier numérique. En revanche et le cas échéant, des droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur et droit des marques principalement) peuvent exister sur le fichier numérique en question.
De même, la propriété du fichier numérique lié à un NFT n’emporte pas automatiquement la titularité des droits de propriété intellectuelle y afférents. En effet, un principe fondamental du droit d’auteur est que la propriété incorporelle de la création est indépendante de la propriété matérielle de son support : posséder l’un ne permet pas de revendiquer des droits sur l’autre. Le propriétaire d’un fichier numérique ne pourra donc pas librement le modifier, le diffuser ou l’exploiter s’il ne s’en est pas préalablement fait céder les droits d’auteur ; il pourrait même être poursuivi au titre de la contrefaçon par l’auteur de l’œuvre ou ses ayants droit.
Pour mémoire, un fichier n’est protégeable au titre du droit d’auteur que s’il remplit le critère de l’originalité. Sous réserve de l’appréciation souveraine des juges du fond, ce sera par exemple le cas de photographies travaillées ou de créations d’avatars tels que les singes Bored Ape Yacht Club vendus à des millions d’euros. En revanche, de simples représentations de produits de merchandising ou des vignettes de sportifs ne devraient pas en principe relever du droit d’auteur (davantage du droit à l’image pour ces dernières, ainsi que l’illustre l’affaire des vignettes Panini).
Une protection au titre du droit des marques peut en revanche exister sur certains produits commerciaux. C’est d’ailleurs sur ce fondement que Nike a attaqué en contrefaçon le revendeur StockX devant la Cour fédérale de New York pour la vente non autorisée de NFT liés à des images de chaussures reproduisant sa marque ; la procédure est en cours.
D’ores et déjà, l’avènement des NFT emporte des conséquences pratiques dans la politique de gestion de portefeuille des marques, ainsi que dans celle des auteurs. En effet, dans la perspective de potentielles actions en contrefaçon et afin d’anticiper la défense de leurs droits dans des mondes virtuels, de plus en plus de sociétés investissent dans des dépôts de marques en lien avec la création de NFT et le métavers. C’est également dans cette optique que Nike a acquis la start-up RTFKT créant des baskets virtuelles, ou que la Premier League anglaise et le PSG ont déposé leurs logos visant expressément des produits et des services liés au métavers en classes 9 (dont logiciels), 35 (dont vente en ligne) et 41 (divertissements). De même, les agents d’artistes incluent désormais des clauses de NFT dans les contrats d’exploitation.
En cas de contrefaçon, se pose également la question de la responsabilité de la plateforme chargée de la vente des NFT. Une décision chinoise récente l’a retenue dans le cadre d’une action en contrefaçon de droits d’auteur sur un NFT (Cour Internet de Hangzhou, 22 avril 2022). Le potentiel juridique des NFT est donc a priori illimité.