NFT, métavers et blockchain : quelle place dans l’écosystème du sport ?

par | 2, Mai, 2022

L’actualité ne cesse de parler de l’émergence d’un nouvel écosystème lié à la blockchain (1) qui impacte notamment le marché de l’art et celui du sport. Sont évoquées en particulier les problématiques de la vente de NFT (2) à des prix record ou l’association de NFT à des métavers (3), dont le marché est, il convient de le souligner, estimé entre 800 milliards de dollars et 8 000 milliards de dollars (4)

Ces nouvelles technologies commencent à avoir un effet disruptif sur l’économie du sport et, en particulier, sur celle des grands évènements sportifs puisqu’elles créent les conditions propres à l’émergence de nouveaux acteurs économiques aptes à trouver des financements par le biais d’importantes levées de fonds, et bouleverser la chaîne de valeurs. 

Les acteurs traditionnels de l’économie du sport, en particulier les fédérations délégataires et organisateurs de manifestations sportives, pourront-ils bénéficier, à titre principal, des effets d’aubaine qui en découleront ? 

D’un point de vue juridique, les fédérations délégataires et les organisateurs de manifestations sportives jouissent en France d’un droit de propriété sur les compétitions (5) et manifestations sportives qu’ils organisent en vertu du premier alinéa de l’article L.333-1 du Code du sport (6).

Dans ce nouvel environnement « métaversé » (7) et décentralisé, ce droit de propriété aura t-il vocation à s’appliquer de façon pérenne au profit des fédérations délégataires et des organisateurs sportifs ?

Le droit de propriété des organisateurs de compétitions et manifestations sportives (8) est fixé depuis la Loi du 13 juillet 1992 (modifiée), introduite dans la loi du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, dont les dispositions ont été codifiées dans le Code du sport en 2006. 

L’octroi d’un tel droit s’est justifié par les investissements substantiels engagés pour l’organisation des compétitions et manifestations sportives et qui en créent la valeur économique. Cette valeur est constituée par tout un ensemble de caractéristiques, telles que : ses dates, son calendrier, son originalité, son parcours, ses caractéristiques historiques et physiques, sa notoriété, les titres décernés, la renommée des participants, qui ont été forgées et consolidées au fil des ans, au prix d’efforts financiers, et qui constituent les éléments d’un fonds de commerce appartenant à l’organisateur.

S’il n’existe pas encore de jurisprudence en l’espèce, on peut néanmoins se projeter pour dire que l’organisation d’une compétition sportive « métaversée » qui reproduirait les signes distinctifs d’une compétition existant dans l’univers physique ne pourrait se faire qu’avec l’accord de l’organisateur matériel de ladite compétition, sous la forme d’une licence rémunérée (9)

En effet, une reproduction virtuelle, à des fins d’exploitation commerciale, d’une compétition ou manifestation sportive clairement identifiée et reconnaissable équivaudrait à bénéficier, sans bourse délier, du fonds de commerce développé pendant des décennies par son organisateur. 

Cela rentrerait, sans nul doute, dans la règle énoncée par la Cour d’appel de Paris qui avait estimé (10) « que toute forme d’activité, ayant pour finalité de générer un profit, et qui n’aurait d’existence si la manifestation sportive dont elle est le prétexte ou le support nécessaire n’existait pas, doit être regardée comme une exploitation au sens de ce texte (11) » La même analyse semble devoir s’appliquer s’agissant de la commercialisation d’un NFT utilitaire associé à l’image d’une compétition ou manifestation sportive.

Tel ne serait probablement pas le cas si l’événement sportif « métaversé » était créé de toute pièce, sans lien ou référence aux signes distinctifs d’une compétition ou manifestation sportive existant sur le plan physique. Dans ce cas, l’argument utilisé au profit des organisateurs sportifs pour instaurer le droit de propriété sui generis pourrait être mobilisable au profit des cyber-organisateurs. En effet, la valeur économique de ces méta-évènements sportifs serait le fruit de pratiques industrielles relevant d’acteurs économiques tels que notamment les GAFAM ou les sociétés liées aux principales blockchains (Ethereum, Bitcoins…), à l’exclusion des fédérations délégataires et organisateurs de manifestations sportives traditionnelles. 

Ces acteurs économiques seraient des vrais créateurs de valeur en lien avec le développement et l’exploitation desdits méta-évènements sportifs et auraient un contrôle cryptographique, numérique, informatique (12) et nodal (13) sur la création et le développement de ces mondes sportifs parallèles. Compte tenu de ce contrôle – l’environnement méta sportif demeurant inviolable et insusceptible d’être confronté à des sujets du type ambush marketing– l’instauration d’un droit d’exploitation spécifique pour protéger la valeur créée au bénéfice de ces acteurs économiques -inspiré de l’article L.333-1 du code du sport- ne serait d’aucune utilité juridique ou pratique. 

Dans ce contexte des mondes sportifs parallèles, au-delà de la question économique évoquée ci-avant, se pose avec autant d’acuité, celle du droit public du sport. En effet, la promotion et le développement des activités physiques et sportives sont d’intérêt général en France depuis l’ordonnance du 28 août 1945. Depuis, le rôle de l’Etat dans l’organisation du sport est prépondérant. Il exerce notamment la tutelle des fédérations sportives. Ces dernières réalisent une mission de service public et disposent de prérogatives de puissance publique en ce qu’elles reçoivent une délégation pour gérer leurs disciplines sportives. Ce nouveau monde parallèle est-il compatible avec le droit public du sport qui structure et organise le sport français autour de l’Etat ? 

Permettons-nous d’en douter. Le paradigme libéral et décentralisé de la blockchain apparaît peu soluble dans l’organisation centralisée et pyramidale du sport français, telle qu’elle existe toujours aujourd’hui.

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La société VARET PRÈS KILLY organisera un petit-déjeuner conférence sur le thème « NFT, Droit & Marché », le 5 mai 2022. Xavier Près parlera des enjeux économiques et juridiques des NFT Art, Vincent Varet évoquera la réglementation et les droits d’auteur applicables aux NFT Art et Rhadamès Killy abordera le sujet sous l’angle du sport et reviendra notamment sur les éléments de réflexions développés dans le présent article.

  1.  Registre décentralisé, distribué à l’identique sur une multitude d’ordinateurs, sans hiérarchie entre eux, de manière en principe immuable et inviolable.
  2.  Jeton Non Fongible qui représente un bien numérique (également appelé actif numérique) certifié par une Blockchain. Il bénéficie ainsi des propriétés de la Blockchain. 
  3.  Monde virtuel immersif au sein duquel l’utilisateur peut librement interagir sous la forme d’un avatar.
  4.  Sources : Morgan Stanley et Bloomberg Intelligence.
  5.  Une compétition sportive donne lieu à la délivrance d’un titre départemental, régional, national ou international. Ce n’est pas le cas d’une manifestation sportive.
  6. « Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l’article L. 331-5, sont propriétaires du droit d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’ils organisent. »
  7.  Voir, LORET A., Du Métavers au Métasport, Publication QWi, Rouen, France, Avril 2022.
  8.  Dont il est fait également référence sous les vocables « droit de propriété sui generis » (car il ne s’agit d’un droit de propriété intellectuel) ou « droit d’exploitation ».
  9.  Ce au même titre qu’une licence d’exploitation de jeux vidéos reproduisant les caractéristiques d’une compétition sportive.
  10.  Cour d’appel de Paris, 14 octobre 2009, FFT c/ Unibet.
  11.  Article L.333-1 code du sport.
  12.  Ce terme fait référence au smart contract qui génère un certificat d’authenticité sur la blockchain, soit l’ensemble des règles contenues dans un programme informatique qui s’exécute automatiquement
  13.  Fait référence à chaque nœud d’une blockchain qui permet, selon la technologie utilisée, la vérification et la sécurisation de bout en bout de la blockchain.

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