Après avoir vécu comme joueur de basketball de haut-niveau durant une dizaine d’années, Cyrille s’est reconverti en tant que gestionnaire de patrimoine chez Swiss Life. Pour Jurisportiva, il revient sur son parcours sportif ainsi que sur sa reconversion. Portrait.
Bonjour Cyrille. Pourriez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ?
Bonjour, je m’appelle Cyrille Dacourt, j’ai 35 ans et 2 enfants.
Bien que je sois issu d’une famille de sportifs avec Olivier Dacourt et Laura Flessel, mes parents m’ont toujours poussé à privilégier les études. Pour autant, le sport a toujours eu une place prépondérante dans ma vie, mais je le pratiquais seulement pour m’éclater. Au départ, je pratiquais de nombreux sports avec une préférence pour le football. Avec l’enchaînement de blessures, j’ai décidé de changer et j’ai commencé le basketball à l’âge de 17 ans en parallèle de mes cours à Lyon et Paris. Lors d’un tournoi universitaire, j’ai été repéré par un agent. J’ai néanmoins choisi de finir ma Licence de management du sport avant de me lancer pleinement dans cette nouvelle aventure. Je me suis ensuite fait ma place dans le basket, en évoluant jusqu’en National 1. J’ai vécu dix ans de ce sport jusqu’à envisager l’ultime question de la reconversion à mes 31 ans. Je me suis dirigé vers le métier de gestionnaire de patrimoine chez SwissLife.
Comment vit-on de sa passion lorsqu’on évolue au niveau national dans le basketball ?
Selon moi, il existe deux catégories de sports : le football et les autres sports.
Le football est le seul sport où l’athlète qui évolue à un bon niveau s’assure un salaire important. Dans les autres sports, les clubs s’adaptent : une partie de l’argent promis est parfois versée en dessous de table, on privilégie les défraiements, le sportif peut aussi bénéficier d’un logement, et d’autres avantages de ce genre… Pour ma part et à une exception près, je n’ai eu que des contrats déclarés. J’ai eu cette chance d’avoir cotisé tout au long de ma carrière car à la fin, c’est ce qui change vraiment les choses. En ajoutant à cela le fait que j’avais de bons salaires et une place dans l’équipe type partout où je jouais, de manière générale, je pense avoir eu des conditions optimales.
La contrepartie, ou plutôt le sacrifice, c’est que tous les 10 mois je changeais de club et repartais à 0 en passant par la case Pôle Emploi. Même si je gagnais très convenablement ma vie, je trouvais cette situation trop précaire, d’autant que j’ai connu des liquidations judiciaires de clubs. Ce sont des moments pas évidents à vivre.
Au-delà du pouvoir de négociation que l’on a, cela dépend aussi des clubs dans lesquels on joue.
Par exemple, lorsque j’évoluais à Tours, Angers, Lorient, Metz, Liévin ou Brest, c’étaient de beaux clubs avec des projets intéressants et de gros budgets. J’avais “juste à poser mes valises et jouer tout en bénéficiant de belles conditions financières”. Dans les autres clubs, ce fût plus compliqué, malheureusement la conjoncture a évolué et il y a désormais moins d’argent dans le sport (hors football).
De manière générale, quelle est la situation socio-économique des basketteurs en National 1 et National 2 ?
Si en Jeep Elite et Pro B il y a une certaine harmonie dans les salaires, il existe en revanche de grosses disparités au sein des niveaux plus bas tels que le National. C’est assez paradoxal mais un joueur évoluant en National 1 ou 2 peut être rémunéré autant que celui qui évolue en Jeep Elite et Pro B.
Pour ma part, et comme je n’avais pas l’ambition première d’être sportif de haut-niveau, j’ai pris mon pied en National et me suis éclaté. Cela n’empêche pas le fait que je me suis longtemps posé la question de savoir si je souhaitais tenter ma chance à un échelon plus haut. Mais tout cela implique également plus de contraintes et de sacrifices. En National, je savais que j’avais plus de liberté mais aussi l’assurance de jouer. Ce n’est pas négligeable.
Finalement, j’ai préféré rester en National et faire partie des joueurs référencés. C’est-à-dire que je bénéficiais d’un salaire et les trois quarts du temps, on me payait l’hôtel ou un logement, je n’avais qu’à régler le gaz et l’électricité. En clair, je négociais un packaging comprenant salaire, logement, taxes, billets de trains et déménagement. Après ce n’est pas donné à tout le monde, il faut avoir le statut de professionnel. Et même dans ce cas, ton salaire peut varier entre 1.200 et 8.000 €.
Quel est le rôle d’un agent sportif dans la carrière d’un basketteur évoluant à ce niveau ?
Pour ma part, j’ai longtemps travaillé avec l’agent qui m’a repéré au tournoi universitaire, il travaillait très bien et on se comprenait mutuellement. Malheureusement, il a eu un problème familial et s’est rapidement retiré du circuit. À partir de là, ce fût compliqué pour moi, j’ai dû faire le tour des agents et j’ai vite compris que j’étais dans un milieu de requins. J’ai vu le sport différemment, sous un autre angle. Et ce d’autant plus que je suis quelqu’un qui travaille avec l’affect. Ma relation avec un agent, je veux qu’elle soit basée sur la confiance. Certes, il y a les contrats pour s’assurer de ne pas être floué mais il y a aussi la personne à qui tu sers la main et que tu regardes droit dans les yeux. J’ai eu du mal à retrouver un agent qui me correspondait. J’ai d’abord signé avec une grosse agence dans laquelle je n’étais pas le plus gros poisson. De fait, on ne s’occupait pas forcément de moi. Il faut dire que contrairement au foot, les sommes en jeu sont moins importantes et donc inévitablement les agents sont obligés de faire dans la masse et non pas dans la qualité. Puis par la suite, j’ai trouvé un agent qui n’était pas le meilleur et avec qui les relations n’étaient pas optimales mais l’avantage c’est que je savais qu’il bossait à fond. Nous sommes restés ensemble jusqu’à la fin.
Pour revenir à la question, l’agent à un rôle primordial car notre carrière d’athlète dépend en grande partie de lui. D’autant plus pour un joueur comme moi qui changeait beaucoup de clubs, j’avais besoin de quelqu’un qui me dise mes quatre vérités et qui se donnait à 100 % dans son travail.
À partir de quel moment avez-vous commencé à réfléchir à vôtre reconversion ?
Dès le départ, j’avais dans un coin de ma tête cette reconversion car je n’étais pas initialement prédestiné à devenir professionnel. Je me suis consacré pleinement à ma carrière à 23 ans en ayant déjà en poche une Licence et commencé un Master (qu’il me fut par la suite impossible de terminer, faute de pouvoir concilier mes cours avec les déplacements dans toute la France). J’ai saisi la chance qui m’était offerte dans le sport mais tout de suite, je savais qu’un jour tout cela aurait une fin. Je savais que le jour où ça commencerait à tirer vers le bas, ce moment où je devrais me sur-vendre pour entamer des contrats, c’est là que j’entamerai ma reconversion. Finalement, l’arrivée de mon premier enfant a bousculé les choses, dès sa naissance j’ai souhaité reprendre mes études.
Avec le recul, je dis souvent que je suis arrivé par hasard et reparti quand personne ne s’y attendait. J’ai fait ce que j’avais à faire, j’ai vécu l’expérience mais on sait que la carrière est courte et que quoiqu’il arrive on aura une deuxième vie à débuter. Et celle-ci est encore plus longue.
Pouvez-vous nous décrire ce moment crucial entre la fin de votre carrière professionnelle et le début concret de votre reconversion ?
En toute franchise, ce fût un moment très compliqué. Il y a deux points à prendre en compte.
Tout d’abord, il y a la barrière psychologique car nous quittons un milieu où pour la majorité, notre « travail » était aussi notre passion. Ce n’est pas évident de se dire « j’arrête de faire quelque chose que j’aime ». On se pose la question de savoir si on a fait le bon choix, si l’on aurait pas dû continuer.
À ce moment-là, je n’étais pas en phase de dépression mais je me suis beaucoup interrogé, j’ai pris du recul sur ma situation. Puis il faut aussi souligner qu’au cours de notre carrière, on nous fait croire constamment que l’on ne pourra pas gagner notre vie après. Alors que c’est complètement faux!
Ensuite, il n’existe aucun accompagnement. J’ai fait énormément de démarches par moi-même, j’ai frappé à de nombreuses portes dans toute la France sans retour. Heureusement pour moi, je me suis reconverti lorsque j’avais encore de la « hype » sportivement parlant. Cela m’a permis d’utiliser mon réseau et d’avoir une plus value dans les négociations. J’ai ainsi pu convaincre un dirigeant de m’ouvrir ses portes en échange de quoi je pourrais être amené à jouer en amateur pour lui et son club. Puis, intervient le moment où tu dois choisir ton Master et le financer aussi.
Il manque cette structure pour nous aiguiller, nous accompagner, nous expliquer les aides et les avantages dont on peut bénéficier en tant que sportifs de haut-niveau.
Vous êtes aujourd’hui gestionnaire de patrimoine et ton portefeuille comprend une majorité de sportifs. Pourriez-vous nous décrire plus en détails votre métier ?
Mon rôle est tout d’abord d’accompagner les sportifs. Pour le moment, j’accompagne plus de footballeurs que de basketteurs. Quand on a des salaires tels, on ne pense pas forcément à l’après carrière. Mon rôle est de préparer à cette deuxième vie. Ainsi, mes clients bénéficient notamment d’un réseau d’apporteurs d’affaires, de conseils et d’une disponibilité de tout instant. En fonction des projets, des besoins du sportif, nous mettons des choses en place. C’est vraiment au cas par cas.
Ensuite, l’objectif est aussi d’encadrer et d’entourer au mieux le sportif, la sportive, pour éviter les situations cauchemardesques. Je suis le premier à connaître la situation du sportif qui aime « cramer » son argent. C’est une réalité, certains gagnent de beaux salaires voire de très beaux sauf que cinq ans après avoir mis un terme à leur carrière, 50 % se retrouvent ruinés.
Pourquoi ? Car ils n’ont pas ou mal été accompagnés. C’est là que nous intervenons.
En quoi l’activité de gestionnaire de patrimoine de sportifs diffère-t-elle d’une gestion banale ?
Nous ne gérons pas de la même façon un chef d’entreprise et un sportif.
Pour la gestion d’un sportif, nous savons que l’on part sur une carrière longue d’une dizaine d’années alors que pour un chef d’entreprise on envisage une stratégie sur le très long terme.
Au-delà de la durée, les paramètres sont totalement différents puisque les sportifs ont un statut un petit peu « bâtard » notamment en terme de fiscalité. En fonction de l’actualité et des lois, il faut savoir s’adapter rapidement. Leur situation peut également varier soudainement en raison d’une grosse blessure ou d’un transfert par exemple. Enfin, l’athlète a tendance à vivre à l’instant T, match après match. Mon rôle d’information et de prévention est dans ce cas d’autant plus important.
Pour résumer, je dirais que la gestion de sportifs est encore plus personnalisée, il faut porter à chaque profil une attention particulière.
Pourquoi conseillez-vous aux sportifs d’être accompagnés par un gestionnaire de patrimoine ?
Tout d’abord parce que se faire conseiller par un membre de sa famille ou toute autre personne qui n’a pas les compétences, ne connaît pas l’actualité ou n’est pas suffisamment entouré, est très souvent source de problèmes. Un bon gestionnaire de patrimoine est capable de prévenir les risques, d’apporter les bonnes réponses et surtout, il intègre la fiscalité dans ses conseils et évite ainsi à son client de se ruiner. Il est donc important de la considérer et de la prendre en compte dans l’accompagnement.
Je dirais donc que le gestionnaire de patrimoine est le professionnel par excellence pour préparer l’après carrière de l’athlète. Pour cela, il ne faut pas laisser l’argent dormir à la banque mais aussi bien savoir comment l’investir. Pour moi qui était auparavant de l’autre côté de la table, je comprends tout à fait cette situation. Cela m’apporte une certaine légitimité et me permet d’avoir une vision 360 degrés. C’est ce qui rassure généralement certains clients.
À l’image des agents sportifs, la profession de gestionnaire de patrimoine subit-elle une certaine défiance ?
Je dirais que, comme partout, il y a des bons et des mauvais. C’est vrai qu’à l’instar des agents sportifs, nous faisons un métier où il peut y avoir cet appât du gain. En conséquence, il peut donc y avoir une certaine défiance vis-à-vis de confrères. Moi, personnellement, je ne l’ai pas car je fonctionne par recommandation. La passation est ainsi moins délicate et le lien de confiance est plus facile à construire.
Travaillez-vous avec des agents ?
En tant que gestionnaire de patrimoine, nous ne maîtrisons pas tout, il est primordial de travailler avec l’agent et/ou l’avocat du joueur. Après, il faut voir dans quelles mesures l’agent souhaite intervenir dans l’activité du gestionnaire de patrimoine. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes au service du sportif et nous avons tous intérêt à travailler main dans la main afin d’aider au maximum le joueur. Ce serait se mettre une épine dans le pied que de ne pas collaborer.
En tout état de cause, le joueur doit-être informé de tout ce qui est mené.
Quels produits me proposeriez-vous si j’étais sportif professionnel ?
Il est difficile de proposer quelque chose sans connaître le profil de la personne. Je m’adapte en fonction des projets. De manière générale, les produits qui reviennent souvent sont ceux relatifs à la défiscalisation et notamment du défiscalisant financier afin de diminuer l’impact fiscal. Ensuite, je propose régulièrement des placements sécurisés, que j’adapte en fonction des différents horizons souhaités, de l’appétence de l’athlète ainsi que de ses projets parallèles.
La Charte du football professionnel prévoit un système de prévoyance sous la forme de pécule, que pensez-vous de ce régime ?
Bien évidemment que je trouve ce dispositif intéressant. Il s’agit d’un petit pécule mais c’est déjà une très bonne chose qu’il existe. C’est un dispositif légitime, on le sait, la carrière d’un sportif est courte. Le fait de cotiser un petit peu plus au moment où l’on gagne beaucoup et récupérer cet argent à un moment où nous en avons moins est de bonne augure. Attention cependant, le pécule dont bénéficie le sportif, c’est-à-dire suivant le nombre d’années de carrière (avec un minimum de 4 années de pratique pour bénéficier du régime) multiplié par environ 9.000 € bruts, est imposé et soumis à cotisations. De fait, un joueur qui a eu une carrière d’une dizaine d’années dispose d’un matelas intéressant. Cependant, ce dernier est imposable et si l’on se met au TMI (Taux Marginal d’Imposition), l’Etat peut rapidement reprendre la moitié de cette somme. C’est à prendre en compte. De plus, c’est un système qui n’est pas automatique, c’est au joueur d’en faire la demande.
Enfin, je serais plutôt favorable à un système semblable aux danseurs de l’Opéra de Paris qui bénéficient de leur retraite à taux plein dès 40 ans alors que pour les footballeurs, l’âge légal de la retraite est de 62 ans. Et ce, à condition d’avoir validé l’ensemble de ses trimestres.
Que pouvons-nous vous souhaiter à moyen terme ?
Je m’éclate dans ce que je fais ! Je souhaite donc continuer à aider tous les sportifs qui en ont besoin. J’ai une réelle volonté d’aider et accompagner les sportifs à créer un patrimoine et une assise financière. C’est ça qui me plaît, accompagner sur le long terme, car assister un sportif une ou deux années n’a que très peu d’intérêt. Finalement, cette profession me permet de garder un pied dans le monde du sport et de continuer à vivre à travers eux. Cela facilite la transition d’après carrière. Par la suite, j’ai beaucoup de projets en tête, j’aimerai bien monter une structure avec tout un accompagnement juridique, technique et patrimonial. Une sorte de réseau de confiance !