L’Équipe de France Féminine de rugby 7 est à ce jour deuxième nation mondiale derrière l’Australie. Élue “meilleure joueuse du monde” en 2021, Anne-Cécile CIOFANI est le fer de lance de ce collectif. Jurisportiva est allé à la rencontre d’une joueuse solaire, déterminée à faire briller son sport. Entretien.
Bonjour, tout d’abord, pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour, je m’appelle Anne-Cécile CIOFANI, j’ai 28 ans. J’ai commencé le rugby il y a dix ans et je suis en équipe de France depuis 5 ans. Avant cela, j’ai pratiqué l’athlétisme, que j’ai commencé toute jeune jusqu’à atteindre l’équipe de France Jeune. J’ai ensuite basculé au rugby et avec l’équipe de France, nous sommes devenues vice-championnes du monde en 2018 et vice-championnes olympiques l’été dernier à Tokyo.
Vous avez arrêté l’athlétisme pour le rugby à l’âge de 18 ans. Pourquoi et comment passe-t-on de l’athlétisme de très bon niveau au rugby ?
Honnêtement, encore aujourd’hui je me pose la question.
Je pense que c’était la recherche du haut-niveau qui m’intéressait. En athlétisme, j’avais des blessures dont je n’arrivais pas à me débarrasser. Au rugby, j’ai des blessures qui ne me gênent pas particulièrement donc cet aspect m’a aidé à prendre la décision de me pencher vers ce sport. L’accès au haut niveau ne me semblait peut-être pas le plus simple, mais en tout cas plus sympa à atteindre en équipe qu’ en individuel.
Il n’est pas rare d’observer des athlètes se lancer dans le domaine du ballon ovale. Comment expliquez-vous la corrélation qui semble exister entre ces deux sports ?
En effet, nous sommes nombreuses à venir de l’athlétisme, à l’image de Shannon IZAR, Camille GRASSINEAU et Lénaïg CORSON.
Sportivement, ce sont deux sports très différents, l’un est collectif, l’autre individuel, l’un est un sport de contact et l’autre un sport constitué de plusieurs disciplines.
Par contre, l’athlétisme est un sport très formateur en raison notamment de son exigence, c’est un dépassement de soi quotidien. On retrouve cette exigence au rugby à 7.
Je pense que la grosse différence, c’est l’esprit d’équipe lors des compétitions.
En athlétisme, lorsque l’on est dans les starting-blocks, que l’on court dans son couloir ou que l’on s’apprête à lancer, nous sommes seules. C’est peut-être une raison qui nous a fait accrocher avec le rugby, l’esprit d’équipe. En tout cas, c’est le cas pour moi.
Vous qui avez découvert le rugby grâce au milieu scolaire, comment avez-vous accueilli les propos très décriés du ministre Jean-Michel BLANQUER affirmant que la réussite des équipes de France aux derniers Jeux olympiques était en partie due aux cours d’EPS?
Je ne suis pas spécialement d’accord avec les propos du Ministre mais pas non plus totalement en désaccord. Il est évident que le milieu scolaire suscite des vocations.
En revanche, à mon sens, ce n’est pas avec si peu de pratique du sport par semaine et si peu de moyens mis en place pour le sport à l’école que l’on formera les champions de demain. Cela passe à mon sens par une vraie conscientisation de l’intérêt social, sociétal, économique du sport.
Le sport de très haut-niveau a bercé votre jeunesse puisque vos parents ont participé aux Jeux olympiques d’Athlétisme de Los Angeles en 1984 et Séoul en 1988. Cet environnement de performance a-t-il été une source de motivation pour vous, ou au contraire, une source de pression ?
Un peu des deux, je dirais. Quand je faisais de l’athlétisme, c’était une certaine pression mais je ne le vivais pas mal. Sur le stade, j’étais “la fille de Walter” ou “la fille de Jeanne” donc forcément c’est une pression car je ne voulais pas que mes parents aient honte. “Imagine, tes parents ont été olympiens, et toi tu ne sais pas lancer, pas courir..”!
Quand j’ai basculé au rugby, ça a clairement été une motivation supplémentaire car je voulais trouver ma propre identité et me faire mon propre nom.
En 2018, vous êtes appelée pour participer à votre première Coupe du Monde. En demi-finale, vous marquez un essai en fin de match qui permet à la France de s’imposer face à l’Australie. Vous êtes également élue “meilleure nouvelle joueuse” du tournoi. Quels sont alors les sentiments qui vous traversent après tous ces accomplissements alors que vous venez tout juste de passer professionnelle ?
C’était juste exceptionnel. La récompense de meilleure nouvelle joueuse, c’est délicat quand on fait un sport d’équipe car les individualités brillent grâce au collectif. Mais j’étais très heureuse, pour ma première année en tant que professionnelle. C’était une belle récompense au vu du travail fourni. Cette récompense existe grâce aux filles et au staff.
C’est un sentiment de fierté et en même temps de pression car lorsque l’on sort d’une Coupe du Monde comme celle-ci, on est deux fois plus attendues pour la suite. On ne peut plus se permettre de faire moins bien, on cherchera toujours à faire plus.
Après cette belle saison 2017/2018, l’année 2020 a été particulière du fait de la situation sanitaire contraignante. Comment avez-vous personnellement et collectivement vécu cette période de confinement ?
Pendant cette période, nous n’avons pas été livrées à nous-mêmes, mais nous nous sommes responsabilisées. On était toutes et tous dans le même bateau, tant les joueuses que les préparateurs physiques. Nous nous donnions des nouvelles, certaines étaient à la campagne, personnellement j’étais en ville donc c’était plus compliqué. Nous avons repris assez vite car une fois le confinement levé, nous avons tout de suite repris les entraînements physiques en groupe. On a réussi à bien rebondir mais pendant le confinement, c’était compliqué, on subissait comme tous, les restrictions imposées.
Aujourd’hui, vivez-vous de votre sport ?
Oui, on a de la chance, toute l’équipe de France vit du rugby. Les premiers contrats avec la Fédération Français de Rugby (FFR) sont arrivés en 2014 et depuis, cela a beaucoup évolué. En 2017, dix nouveaux contrats de joueuses ont été signés, dont le mien. On est arrivées comme un raz-de-marré, fraîchement déterminées !
Depuis, nous nous “battons” un peu avec la FFR pour faire évoluer certaines choses. C’est beaucoup de discussions mais cela avance petit à petit. Chaque joueuse prend part au combat, même si nous avons la chance d’avoir une fédération qui nous soutient. Ce sont des négociations, ce n’est pas toujours évident. Il faut que l’on arrive à s’imposer de part nos résultats et c’est ce que l’on fait, donc nous sommes de plus en plus écoutées.
L’égalité est notre objectif à long terme même si on sait que le chemin est encore long. Aujourd’hui nous vivons de notre sport donc nous ne sommes pas à plaindre. Mais il y a encore des choses à faire avancer, c’est certain.
Vous avez affirmé que votre mère a notamment arrêté le sport de haut niveau pour avoir des enfants. Selon vous, quels seraient les axes sur lesquels travailler pour permettre à une sportive de haut niveau de ne plus appréhender la maternité pendant sa carrière?
Un point clé est d’avoir un bon échange avec sa fédération et son club.
En ce qui nous concerne, on discute directement avec la fédération. Nous avons la chance d’avoir un staff qui nous soutient beaucoup à ce propos et avec qui nous abordons ces questions, staff qui est d’ailleurs uniquement composé d’hommes. Nous en parlons aussi entre amies et coéquipières car nous arrivons forcément à un âge où nous commençons à avoir envie d’enfants pour certaines.
Nous avons tendance en tant que sportives à se dire qu’il faut performer pour être légitimes à demander ce que l’on voudrait. Mais ça ne devrait pas se passer comme ça.
Pour l’instant, nos résultats sont le seul aspect qui nous donnerait du poids dans les négociations sur ce genre de sujet. C’est là-dessus qu’il faut travailler.
L’aspect financier est aussi très important. Aujourd’hui, une femme sportive ne peut pas partir en congé maternité au bout de six mois, en tout cas pas au rugby. Donc c’est un point non négligeable à discuter pendant les négociations.
Je pense à Allyson Félix ou à Mélina Robert-Michon qui ont eu des conflits avec leurs sponsors du fait de leur maternité.
Résultat des courses, Allyson Félix a pris sa revanche en créant sa propre marque d’équipement, et est revenue pour les Jeux olympiques.
De même, Mélina est revenue au plus haut niveau.
C’est aussi grâce à ces femmes que les mentalités changent. Elles montrent aux générations futures qu’il est possible de s’engager dans un projet sportif sans avoir peur de faire un enfant, sans avoir peur de perdre sa place.
Récemment, Amel Majri (joueuse du PSG) a annoncé sa grossesse et est soutenue par son club. C’est génial car cela n’aurait sans doute pas été le cas il y a quelques années.
Après la médaille d’argent aux JO de Tokyo, vous avez été désignée meilleure joueuse du monde de rugby à VII, c’était la première fois qu’une tricolore remporte ce prix. Par ailleurs, World Rugby a élu “l’équipe de l’année 2021” parmi lesquelles figurent six Françaises. Selon vous, la considération des instances sportives françaises, des médias et du public pour le rugby féminin est-elle à la hauteur des résultats de l’équipe de France?
J’aurais tendance à dire que non, mais je suis aussi pleinement consciente des efforts qui sont faits par la FFR, par World Rugby et par les supporters. On note qu’il y a de plus en plus d’hommes qui nous soutiennent, et même des jeunes garçons qui nous envoient des messages. Cela fait très plaisir.
Disons que c’est en plein essor et c’est aussi à nous d’être actrices de tout ça. Nous sommes présentes sur les réseaux sociaux, nous essayons de partager un maximum de choses avec le grand public même si ça reste à notre petite échelle. Il faut être patiente, il y a eu une nette évolution ces dernières années, notamment avec le XV féminin qui est devenu professionnel.
En réalité, nous nous activons sur tout ce qui peut faire avancer les choses et les gens nous le rendent bien. Quand je vois les filles du XV qui remplissent un stade entier à Castres (12 000 personnes), même si ce n’est pas un Stade de France comme les hommes, c’est déjà top, c’est toujours ça de pris. Step by step, on avance.
Que diriez-vous à une femme qui souhaite pratiquer le rugby mais qui ne parvient pas à se lancer ?
Je lui dirais de tenter, d’en parler autour de soi, peut-être de proposer à une amie car se lancer à deux c’est toujours plus rassurant. C’est facile à dire car je suis en plein dedans, mais moi on m’y a poussé, j’ai été projetée dans ce monde du rugby.
Il faut tenter, cela ne coûte rien d’essayer. C’est une aventure exceptionnelle et même si finalement on n’accroche pas avec le sport en lui-même, on accroche avec l’état d’esprit et ça sera que du bonus pour sa vie en générale.
Le rugby, c’est comme tout, tomber ça peut faire peur mais quand tu apprends à tomber, ça ne fait plus mal et tu en viens même à vouloir faire tomber les autres ! Donc il ne faut pas avoir peur, c’est un apprentissage qui est long, très méthodique, mais qui vaut le coup.
Quelles sont vos prochaines échéances avec votre club et l’équipe de France ?
J’espère pouvoir participer à un match à XV avec mon club, et en ce qui concerne le rugby à VII, la prochaine grosse échéance est la Coupe du Monde en septembre en Afrique du Sud… et on aura une belle revanche à prendre ! Puis progressivement, cap sur Paris 2024 !
Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne le rugby à 7, sans clubs ?
En effet, il n’y a pas de clubs de rugby à 7. Une fille qui veut jouer au rugby à 7 est obligée de passer par du rugby à XV en club. Elle effectue alors toute la saison de rugby à XV et à l’issue de cette saison, il y a deux mois de championnat à 7 (juin et juillet). C’est une petite saison sportive très sympa avec des tournois partout en France et à l’étranger. C’est principalement grâce à ces tournois que le sélectionneur de l’équipe de France à VII repère les talents, ou bien alors via le circuit universitaire.
Pour finir, ça fait quoi, de recevoir l’ordre du mérite à l’Elysée ?
C’est génial ! C’était une super soirée, la première fois que je mettais les pieds à l’Elysée. C’est le genre d’évènement qui n’arrive qu’une fois dans une vie, et ce n’est pas donné à tous. C’était un truc de fou parce qu’il y avait tous les athlètes médaillés de tous les sports. On s’observait tous, nous avons eu pas mal d’échanges avec les athlètes des autres disciplines. Je dois dire que c’était gratifiant, nous étions très heureuses.