En décembre dernier, la FIFA publiait sur son site officiel le rapport annuel sur les intermédiaires dans les transferts internationaux – « FIFA Intermediaries in International Transfers 2022 » – (1), aux termes duquel les clubs ont payé la somme de 622, 8 millions de dollars pour les services d’intermédiaires, soit une hausse de 24% par rapport à 2021.
Depuis la fin des années 1990 et plus particulièrement depuis le début des années 2000, force est de constater que la marchandisation des joueurs – par l’augmentation croissante des prix de transferts – et plus encore du football – notamment par l’accroissement significatif des droits télévisuels – s’est largement accélérée et les intermédiaires s’analysent comme des rouages essentiels de cette économie à part entière.
S’agissant de la récente réforme des agents sportifs de la FIFA (2) et sur la question centrale de la rémunération des agents sportifs (3), il sera procédé par renvoi aux récents articles publiés sur le site Jurisportiva (voir bibliographie).
Les seuls contrats d’agents sportifs, au regard notamment de leur qualification et de leur rupture, feront l’objet d’une étude synthétique au sein de cet article.
I. La qualification juridique du contrat d’agent sportif
L’agent sportif peut, dans le cadre de son activité, par une analyse réductrice et quelque peu caricaturale, être regardé comme possédant principalement une double casquette : la première, de mise en relation de parties intéressées à la conclusion d’un contrat et par voie de conséquence la recherche de partenaires ; la seconde davantage consacrée à la représentation dans le cadre de négociations contractuelles.
L’article L. 222-7 du Code du sport se limite à définir l’activité d’agent sportif comme « l’activité consistant à mettre en rapport contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d’un contrat soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, soit qui prévoit la conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement » (4).
L’intérêt principal de la qualification d’une telle activité réside notamment dans le régime juridique de la cessation des contrats d’agents sportifs, question que nous aborderons dans une seconde partie.
Il semble pertinent d’admettre sans ambages que ces actions d’entremise doivent être placées tant sous la bannière du courtage que sous celle du mandat, bien qu’une notion d’origine prétorienne soit venue bousculer cette affirmation.
Courtage.
À en croire la lecture de l’article L. 222-7 susvisé, la définition de l’activité d’agent sportif semble correspondre au contrat de courtage.
En effet, l’activité de courtage consiste en la mise en relation des différentes parties intéressées à la conclusion d’un contrat ; l’agent s’oblige alors à rechercher un partenaire contractuel pour son donneur d’ordre qui peut selon les cas, être un club, un organisateur d’événements sportifs ou plus fréquemment un joueur. L’agent agit donc ici en qualité de pur intermédiaire et n’a pas la faculté d’engager son client, qui bénéficie d’une liberté totale lui permettant de contracter ou non.
La mission de l’agent réside dès lors uniquement dans cette activité d’entremise. Il n’intervient pas, à ce titre, dans la conclusion du contrat stricto sensu.
Mandat.
Pour autant, l’activité d’agent sportif tient parfois davantage du mandat que du contrat de courtage.
Le mandat est défini par l’article 1984 du Code civil. Il ressort de cette disposition que « le mandat (…) est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom » (5).
Le client donne ici le pouvoir à l’agent, agissant ainsi en qualité de mandataire, d’accomplir un acte juridique en son nom et pour son compte. Il est davantage question ici de représentation, plus que d’entremise.
Le mandat d’intérêt commun.
Dans le cas particulier où un agent sportif lié par un contrat de mandat a concomitamment un intérêt personnel à la réalisation d’un acte entrant dans l’accomplissement de son activité, son mandat peut être qualifié d’intérêt commun.
Le mandat n’est effectivement pas nécessairement conclu dans le seul intérêt du client ; lorsque le mandat peut concerné les intérêts d’un tiers ou du mandataire, il est dit d’intérêt commun.
En matière sportive, il est par exemple considéré qu’un « intermédiaire lié à un athlète (…) depuis un certain temps et de façon exclusive, rémunéré proportionnellement peut être qualifié de mandataire d’intérêt commun (6).
À titre d’exemple, cette situation peut concerner la mission confiée par un club à un agent de placer un joueur dans un club tiers et de mener le transfert à son terme moyennant une rémunération calculée sur l’ensemble de cette mission ou lorsque les parties – joueur et agent, – ont par leur collaboration entendu développer la carrière professionnelle et la notoriété du joueur au regard des incidences économiques pour l’agent sportif (7).
L’intervention du juge.
La qualification juridique du contrat d’agent sportif dépend donc principalement du champ d’action qui lui est confié ; pour autant, le juge n’est pas tenu par la qualification donnée par les parties.
En effet, en vertu de l’article 12 du Code de procédure civile, les juges peuvent requalifier le contrat au régime juridique qui correspond à la réalité juridique de l’accord. L’article 1188 du Code civil rappelle quant à lui que « Le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes ».
Il est donc fondamental pour les agents sportifs de faire preuve de la plus grande clarté s’agissant de l’étendue et la nature de leur mission pour éviter que les contrats conclus soient requalifiés dans un régime moins favorable.
La rédaction hasardeuse d’un contrat d’agent sportif peut en effet avoir de sérieuses conséquences pour l’agent sportif ayant fait preuve d’une relative prudence.
Si la décision de la Cour d’appel de Paris d’octobre 2021 se veut la démonstration de l’opposition farouche qui (dès)unit agents sportifs et avocats, il est pourtant conseillé pour un agent sportif d’exercer son activité conjointement avec un avocat spécialisé en la matière. En effet, par son expertise juridique, ce dernier est à même de fournir à l’intermédiaire des conseils précieux en matière contractuelle et de lui éviter des déconvenues parfaitement évitables.
II. La cessation du contrat d’agent sportif
La question de la cessation du contrat d’agent sportif représente sans aucun doute l’enjeu le plus important, tant les implications financières qui en découlent peuvent être d’importance. Il n’est en effet pas rare pour les agents sportifs de se heurter en pratique à la révocation unilatérale du contrat conclu, émanant le plus souvent du joueur sensible aux promesses d’un autre agent.
Courtage.
La cessation du contrat de courtage se veut plus délicate que la révocation du contrat de mandat. Il est en effet nécessaire qu’il soit fait la démonstration par le donneur d’ordre d’un comportement grave de l’agent, sinon quoi le premier cité s’expose à une action en responsabilité intentée par l’agent agissant en qualité de courtier.
Mandat simple.
De manière générale, et à défaut de clause contractuelle contraire, la révocation anticipée avant l’arrivée du terme est toujours possible en vertu de l’article 2004 du Code civil, au visa duquel « le mandant peut révoquer sa procuration quand bon lui semble » (8).
Toutefois, cette révocation ne saurait être mise en œuvre de façon abusive, sinon quoi le mandant pourrait être sanctionné par l’attribution de dommages-intérêts. L’agent devrait alors démontrer la preuve d’un comportement entaché d’une intention malveillante.
Mandat irrévocable ?
L’existence d’une clause d’irrévocabilité dans le contrat d’agent sportif fait obstacle à la révocation libre du mandat telle qu’elle est prévue par l’article 2004 du Code civil.
Dans l’hypothèse de l’existence d’une telle clause, la Cour d’appel de Pau a notamment eu l’occasion de juger, par un arrêt du 12 février 1997, que « la révocation unilatérale dont est victime l’agent sportif lui confère un droit à indemnité dans la mesure où le donneur d’ordres n’invoque pas de motif légitime justifiant cette révocation ». Dès lors, par un raisonnement a contrario, il convient de considérer qu’en présence d’un motif légitime, la révocation du mandat serait possible, quand bien même une clause d’irrévocabilité existe. Ce motif légitime est apprécié souverainement par les juges du fond.
Mandat d’intérêt commun.
Dans l’hypothèse où le joueur et l’agent auraient un intérêt commun à la réussite sportive du premier cité, la révocation du mandat se veut là aussi plus délicate qu’en matière de mandat simple.
Les juridictions reconnaissent régulièrement cette qualification de mandat d’intérêt commun afin de lutter contre les changements de décision abrupts des mandants, situation pourtant classique dans le monde du sport professionnel, et par voie de conséquence, de sécuriser la relation contractuelle.
Toutefois, ce mandat demeure naturellement révocable par accord amiable des parties, par l’existence d’une clause contractuelle ou par la reconnaissance d’une juste cause en justice. Il sera, dans cette dernière hypothèse, question de démontrer l’existence d’un comportement fautif grave de l’agent. La charge de la preuve pèse, là encore, sur celui qui est à l’origine de la rupture.
Au rang des justes causes, il a notamment été jugé par la Cour d’appel d’Angers le 15 octobre 2019 (n° 17/00252) que « compte tenu de l’importance de la mission de l’agent sportif, au regard du caractère éphémère de la carrière d’un joueur professionnel et de la nécessité de se faire assister le plus rapidement possible d’un agent plus réactif, le manque de diligence caractérisé de M. E… constitue une faute suffisamment grave pour justifier sa décision de rompre le contrat » (9).
Dès lors, le manque de diligence d’un agent suffit à caractériser une faute suffisamment grave pour la révocation du mandat, sans que l’agent ne puisse solliciter de dommages-intérêts à ce titre.
Dès lors, il est ici conseillé à l’agent de faire preuve de la plus grande rigueur quant à l’exercice des missions prévues contractuellement et de conserver tout élément utile à la démonstration de l’existence de diligences en ce sens.
Bibliographie
(1) Rapport « FIFA Intermediaries in International Transfers 2022 »
https://digitalhub.fifa.com/m/47f91ee983ed2199/original/FIFA-Intermediaries-Report-2022-2023.pdf
(2) La nouvelle réglementation d’agents de joueurs (FIFA) -https://www.jurisportiva.fr/articles/la-nouvelle-reglementation-dagent-de-joueurs-fifa/
(3) La rémunération de l’agent sportif – https://www.jurisportiva.fr/articles/la-remuneration-de-lagent-sportif/
(4) Article L.222-7 du code du sport
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000022326514/
(5) Article 1984 du code civil
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006445236
(6) CA Aix-en-Provence, 11ème chambre, 17 avril 2002, n°393
(7) CA Lyon, 9ème chambre, 15 novembre 2018, n° 14/08332
(8) Article 2004 du code civil –
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006445302
(9) Cour d’appel d’Angers, 15 octobre 2019 (n° 17/00252)
https://www.doctrine.fr/d/CA/Angers/2019/C2BB645D2D00F838E5290