Le droit à l’information du public dans le cadre de manifestations sportives

par | 15, Mar, 2022

La saga Mediapro de 2020, véritable séisme dans le sport business mettant en avant l’incapacité des distributeurs, des ligues et des clubs à s’entendre sur une commercialisation des droits télévisés du football, soulève a posteriori de plus vastes questions quant au phénomène même d’attribution d’exclusivité médiatique.

Couplée à une « hyper-financiarisation » (Bastien Drut, 2020) du football français, voire à une hyper-commercialisation du monde sportif dans son ensemble, elle reflète un phénomène se développant depuis les années 1990 : la transformation d’une partie du monde sportif en secteur économique, et plus précisément, en secteur profondément lucratif.

Cette nouvelle place centrale de la lucrativité au sein du sport, et donc des manifestations sportives, a progressivement interféré dans la capacité du public à accéder à ces événements, a fortiori de manière gratuite, mais également à tous les éléments qui le composent et qui l’entourent : les informations sportives.

Qu’elles portent sur des données obtenues en amont (soit l’attribution, les modalités et conditions d’organisation..) ou en aval de  la manifestation (soit le déroulement des manifestations, leur contenu et leur cadre), ces informations sont pour le public, le seul moyen de pouvoir suivre le sport sans être physiquement présent lors des manifestations.

Or, bien que ces informations sportives aient un rôle crucial à jouer dans le monde du sport, car elles assurent un lien entre les manifestations et le public, ou ‘consommateurs de sport’, leur accessibilité dépend de plus en plus de la qualification retenue pour désigner cet ensemble d’individus. C’est au regard de ce choix de définition qu’il est ainsi opportun de questionner l’existence réelle, et actuelle, d’un droit à l’information sportive par le public.

Un droit à double interprétation

Si le droit à l’information, droit reconnu par le Conseil Constitutionnel, désigne plutôt le principe de libre accès aux documents administratifs, ou encore aux données collectées, il n’en reste pas moins, pouvant être désigné comme ‘droit d’informer et d’être informé’ (Bednaoui, 2018), un prolongement de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. Dans le cadre du sport, ces deux aspects sont intéressants, notamment lorsque l’on connaît la place des personnes publiques dans le mouvement sportif, l’organisation ou encore dans la régulation du secteur sportif.

En amont, il englobe ainsi le droit du public à disposer des données relatives à l’organisation des compétitions, notamment nationales et internationales, mais également à plus petite échelle. Il est aisé de comprendre que ce droit est en réalité le corollaire de la place qu’occupent les personnes publiques, et par extension les fonds publics, dans ces organisations. Le monde du sport, notamment amateur, reste aujourd’hui largement dépendant des subventions, mises à disposition et autres aides publiques. L’attribution et la répartition de ces aides doivent ainsi être publiques, et les informations (qui y sont relatives) accessibles par toute personne intéressée.

Au delà d’une obligation justifiée par l’attribution des fonds publics, la question peut également se poser d’un point de vue moral: dans un monde où les grandes compétitions sont parfois -souvent- décriées (comme la Coupe du Monde au Qatar prenant place à la fin de l’année), le public ne dispose-t-il pas d’un droit à la connaissance des conditions d’organisation des compétitions sportives ? La question peut légitimement se poser même s’il est difficile d’imaginer la matérialisation d’un tel droit, surtout à l’échelle internationale.

Mais le droit à l’information sportive désigne en premier lieu et dans la plupart de ses utilisations le droit pour le public à disposer, pendant et après les manifestations sportives, des informations relatives à la manifestation en elle-même. Ce droit est donc intrinsèquement, et indéniablement, lié à la liberté de la presse et à un ‘droit d’informer’.

L’information lors de manifestations sportives comprend alors non seulement la retransmission médiatique de l’événement, mais également l’ensemble du travail journalistique (certains parlent de «véritable journalisme d’investigation ») qui s’y déroule. Or il est clair que l’exclusivité aujourd’hui obtenue par certaines chaînes, en très grande majorité payantes, s’oppose brutalement à l’effectivité de ce droit. 

Ce danger de l’attribution totale à la sphère privée de la diffusion des manifestations sportives a pourtant été adressé par les pouvoirs publics tôt, avant même l’évolution du secteur sportif en secteur aussi lucratif qu’il ne l’est aujourd’hui.

Par une loi de 1992 , dite loi BREDIN, venant compléter la loi de 1986 relative à la liberté de communication, il a été assuré une « retransmission publique et gratuite, par le biais du service public audiovisuel » de certaines manifestations, jugées devant nécessairement être ‘protégées’ d’une captation par un service payant. Une liste, établie par le décret d’application n°2004-1392 du 22 décembre 2004, recense ces « manifestations d’importance majeure » (Jeux Olympiques et Paralympiques, Finale de compétitions mondiales et continentales de certains sports collectifs lorsque la France est qualifiée, le Grand Prix de F1..).

Elle garantit ainsi l’accès à tous aux informations relatives à ces événements, et permet cependant, en désignant ces manifestations comme ‘d’importance majeure’ de contourner le risque d’une atteinte à la liberté d’entreprendre, au droit d’exploitation ou encore à la liberté du commerce et de l’industrie: ces manifestations sont des exceptions justifiées et surtout, elles sont exceptionnelles.

L’information sportive : droit ou bien économique ?

L’existence même d’un « droit à l’information sportive » est pourtant bien remise en question par l’évolution et l’hyper-commercialisation du secteur sportif depuis 20 ans. Comment justifier qu’un bien qui puisse être commercialisé, donc par essence borné à une distribution effectuée sous l’apport d’une contrepartie, puisse également être un droit, par définition accessible sans contrepartie et sans distinction entre les individus ?

Si la loi de 1992, en définissant comme évoqué des ‘manifestations d’importance majeure’, permet en partie de comprendre cette articulation, l’existence même de cette liste fait-elle de l’information sportive comme ‘droit’ une exception et de l’information sportive comme ‘bien économique’ le principe ? Ce débat avait semblé être tranché par le CSA dès 1991 dans une décision dans laquelle le sport est désigné comme n’étant pas un ‘produit au plus offrant’ mais bien de ‘l’information’: force est de constater que les évolutions du secteur n’ont pas permis à cette décision de former un principe indéniable.

L’effectivité de ce droit à l’information du public peut, de facto, être limitée au sein des manifestations pourtant garanties d’un libre accès pour le public, notamment par l’impossibilité pour la presse de disposer d’un accès total aux sources de l’information, soit les sportifs et les enceintes. Cette limitation s’exprime notamment par le phénomène des accréditations.

Bien que sous la garantie d’un recours (a posteriori) au contrôle de légalité par le juge administratif, l’accréditation reste une mesure discrétionnaire pour les organisateurs d’événements, dont certains ayant une ampleur sportive et politique. C’est notamment le principe clé des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP).

Certains auteurs condamnent alors l’automatisme de ce mécanisme, décrivant une «spatialisation des pratiques professionnelles et uniformisation des points de vue» en raison des critères d’accréditation parfois douteux au regard de la liberté de la presse. A titre d’exemple, lors des JOP, est établie une certaine « hiérarchie des médias » conditionnant l’étendue de leur accréditation, menant à un regroupement de ces médias selon leur influence, leur taille, et limitant in fine leur accès à l’information, et par extension, le droit du public à disposer de ces informations.

En France, la loi comme assurance de la possibilité pour les journalistes d’accéder à l’information et de la diffuser

En France, la loi de 1992 (plus précisément l’article L333-7 du Code du Sport) assure le libre accès des journalistes aux enceintes sportives, et le contrôle de l’effectivité de ce droit (bien qu’il soit borné à des conditions, notamment du juste but de cet accès par les journalistes) doit être assuré par les fédérations sportives délégataires de service public.

Ce libre accès, en opposition avec la ‘commercialisation’ de l’information sportive, semble être l’un des derniers remparts protégeant le droit du public à l’information sportive sur certaines manifestations (hors liste). Cette opposition n’est pourtant pas récente, la Cour de Cassation statuait déjà sur l’existence de ces deux phénomènes contraires en 1996: affirmant que l’accès des journalistes aux enceintes sportives lors des manifestations ne portait pas atteinte au droit d’exclusivité.

Par la suite, une loi de 1998 est venue encadrer les possibilités d’interdiction à des motifs de sécurité ou de capacité d’accueil des journalistes. Hors contexte de crise (sanitaire), qui pourtant est propice à la limitation des libertés, il semblerait qu’en tout état de cause, les hautes juridictions et les pouvoirs publics soient peu enclins à la limitation de ce droit d’accès pour les journalistes, du moins dans le cadre de la collecte d’informations sur lesquelles ne portent aucun droit d’exclusivité.

Au-delà de ce principe posé par la loi de 1992, cette dernière vient également formuler une exception au droit de la propriété intellectuelle, au regard de ce droit à l’information: le « droit aux brefs extraits ». Ce droit marque alors un second tournant pour la possibilité pour les journalistes d’informer, notamment par l’audiovisuel, le public sur les manifestations déroulées avant la diffusion de ces extraits. La jurisprudence viendra alors préciser de nombreux éléments à partir de ce texte: la taille, la place, le créneau de diffusion de ces derniers par les chaînes non-détentrices des droits…

Les évolutions législatives de 1992 puis 1998 témoignent d’une volonté de garantir un accès à l’information sportive par ceux qui ont la charge de la relayer, la diffuser et la certifier auprès du public, les journalistes, du moins sur le territoire ou le droit français est effectif.

La question reste en suspens, et prend une nouvelle dimension, pour les manifestations internationales, à l’aube d’une Coupe du Monde de football qui tend à être l’une des plus décriées sur ses conditions d’organisations, connues du public grâce aux travaux journalistiques réalisés.

Si cette dernière ne porte pas directement sur la transmission d’informations sportives « pures » (comme elles ont été présentées), elle reflète l’importance d’un accès libre et gratuit à l’information par le public, d’un droit à l’information sportive donc, qu’elle porte sur l’amont d’une manifestation ou bien son déroulement. L’effectivité même de ce droit, et plus encore son existence, au regard de l’évolution du sport et de ses variations économiques, représente alors, et cela pour l’ensemble des institutions du secteur, un véritable pari qu’il faudra relever.

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