Chaque international, lorsqu’il est appelé pour la première fois en Equipe de France de Football, est « invité » à signer une convention avec la Fédération Française de Football (FFF), aux termes de laquelle il prend un certain nombre d’engagements, parmi lesquels de participer aux opérations marketings avec les sponsors fédéraux. Kylian Mbappé n’a pas fait exception lorsqu’il a été convoqué pour la première fois par le sélectionneur Didier Deschamps le 16 mars 2017. A l’instar de ses coéquipiers, il n’avait d’ailleurs pas le choix, sa sélection étant conditionnée à ce préalable contractuel. A la clé, la perception d’une prime au titre du droit à l’image, pour un montant estimé à 25.000 euros pour chaque rencontre.
Son refus de prendre finalement part à une opération marketing avec les Bleus en mars 2022 et la menace brandie (mais non mise en œuvre) en septembre 2022 contreviennent donc directement aux engagements auxquels il a souscrit en 2017… et qui le lieront jusqu’à 5 ans après la fin de sa carrière professionnelle. Afin de s’y soustraire, le buteur vedette invoque l’absence de renégociation collective régulière de la convention qui le lie à la FFF mais également son souhait de ne pas être associé à des marques dont il ne partage pas les valeurs.
C’est ainsi l’occasion de revenir sur les tenants et aboutissant juridiques de la polémique qui secoue le football français et de rappeler les grands principes qui régissent le droit à l’image des sportifs.
Le droit à l’image, ou la patrimonialisation des attributs de la personnalité
Toute personne a sur son image et sur l’utilisation qui en est faite un droit exclusif. Le droit à l’image s’étend non seulement à l’image à proprement parler mais plus largement aux différents attributs de la personnalité : le nom, la voix, la silhouette etc., dès lors que ces éléments peuvent être attribués à la personne.
Le droit à l’image est une création prétorienne établie sur le fondement de l’article 9 du Code civil, lequel dispose en son 1er alinéa que « chacun a droit au respect de sa vie privée« . La jurisprudence précise que ce droit « revêt les caractéristiques essentielles des attributs d’ordre patrimonial, il peut donner lieu à l’établissement de contrats, soumis au régime général des obligations, entre le cédant, lequel dispose de la maîtrise juridique sur son image, et le cessionnaire, lequel devient titulaire des prérogatives attachées à ce droit » (Cour d’appel Versailles, 22 septembre 2005, RG 03/06185).
Par voie de conséquence, un sportif peut valablement s’opposer à la fixation, d’une part, et à la diffusion, d’autre part, de son image, c’est-à-dire à son exploitation à des fins commerciales (jurisprudence Cantona : TGI Nanterre, 6 mars 1995, Cantona c/ Soc. Foot Edition, JurisData 1995-603484). Son autorisation doit alors être personnelle, effective et non équivoque, c’est-à-dire expresse.
La jurisprudence et la doctrine considèrent néanmoins que l’autorisation des sportifs est présumée, voire tacite, s’agissant de l’utilisation de leur image dans le cadre des manifestations publiques auxquelles ils participent et qui relèvent alors de l’actualité / du droit à l’information du public. Au demeurant, rappelons que les droits sur l’événement sportif sont légalement attribués à l’organisateur conformément à l’article L.333-1 du Code du sport et que son exploitation implique alors nécessairement celle de l’image du sportif.
Consensus sur l’existence du droit individuel du sportif professionnel sur son image
L’article 7.1.1 de la Convention Collective du Rugby Professionnel propose une définition intéressante de la notion d’image individuelle des sportifs : « au sens du présent texte, l’image du joueur ou de l’entraîneur ou du préparateur physique est notamment constituée par l’utilisation, l’imitation ou la reproduction de celle-ci sur quelque support et sous quelque forme que ce soit mais également par tout autre élément de la personnalité du joueur ou de l’entraîneur ou du préparateur physique (nom, voix, silhouette etc.) lorsque ces éléments peuvent lui être attribués. L’image individuelle du joueur ou de l’entraîneur ou du préparateur physique, ainsi définie, lui appartient (…) ».
Le sportif professionnel peut donc librement décider d’associer, ou non, son image à des marques ou des produits (sauf limitations liées au tabac ou à l’alcool ; l’article L.3323-2 du Code du sport in fine dispose que « toute opération de parrainage est interdite lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques« ) dans le cadre d’une relation directe ou indirecte avec le partenaire publicitaire qu’il se sera choisi. Le contrat de parrainage individuel / sponsoring ainsi conclu doit alors délimiter les contours du droit à l’image concédé : types d’usages autorisés, supports de diffusion, durée et zone géographique de concession etc. L’image étant un attribut de la personnalité, elle ne saurait faire l’objet d’un acte de disposition, excluant dès lors toute cession globale et illimitée du droit à l’image.
Dans le cadre du sport professionnel, les sportifs sont par ailleurs liés à leur Club par un contrat de travail et à leur Fédération du fait de la licence à laquelle ils souscrivent pour la pratique de leur discipline. Leur recherche de partenariats s’en trouve nécessaire contrainte, afin d’éviter de potentiels conflits de sponsors.
La plupart du temps, les règles sportives consacrent ainsi le droit individuel du sportif « de faire réaliser à son profit des actions publicitaires sur son image et/ou son nom, sans les équipements et marques du club, mais avec la possibilité de la mention du nom de son club » (Charte du Football Professionnel, art. 280 c), sous réserve toutefois de ne pas entrer alors « directement ou indirectement » en concurrence avec les inscriptions publicitaires figurant sur les équipements officiels du championnat, des Coupes d’Europe. De même, la règle IV, alinéa 2 de la Charte du Sport de Haut Niveau (instituée par la loi n°84-610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives) dispose que « le droit à l’exploitation de son image est garanti au sportif de haut niveau, sous réserve des dispositions des règles IX et X ci-après [droits du Club et de la Fédération]. Ce droit individuel comprend la liberté de s’opposer à tout enregistrement privé et celle de commercialiser l’utilisation de l’image personnelle ».
En résumé, si l’existence du droit à l’image individuelle des sportifs est expressément consacrée par l’ensemble des textes réglementaires en vigueur, ces derniers en réglementent dans le même temps l’usage afin de préserver les droits des Fédérations et des Clubs.
Ce droit ne peut donc s’exercer que dans la triple limite (i) des droits de la Fédération ou du Club employeur sur ses propres signes distinctifs et sur son image (image associée) ; (ii) des droits d’exploitation de l’image collective de l’équipe détenus par la Fédération ou le Club employeur ; (iii) des intérêts légitimes de la Fédération ou du Club employeur.
- 1ère limite : les droits du Club/ de la Fédération sur ses propres signes distinctifs (image associée)
Le Club/ la Fédération jouit de droits privatifs sur ses signes distinctifs qui peuvent être constitués par sa dénomination, par ses emblèmes et plus généralement par son image. L’article 7.1.2 de la Convention Collective du Rugby Professionnel précise que « l’image du Club est notamment constituée par l’utilisation, l’imitation ou la reproduction de ses noms, emblèmes et/ou signes distinctifs qui peuvent faire l’objet d’un dépôt à l’INPI, mais également par tout autre élément renvoyant à l’image collective de ses équipes, passées et présentes« .
Lorsque qu’est reproduit sur tout support et/ou par tout moyen l’image, le nom, la voix du sportif en association avec l’image, le nom, les emblèmes et/ou autres signes distinctifs de l’employeur, l’on parle d’image associée (article 12.11.1 de la Convention Collective Nationale du Sport).
Un joueur n’est jamais autorisé à faire une exploitation de son droit individuel, de caractère commercial, publicitaire ou promotionnel, qui fasse référence à l’image du Club / de la Fédération sans l’accord de ces derniers.
- 2ème limite : les droits du Club / de la Fédération sur l’image collective
L’image associée est dite « individuelle » lorsque le nombre minimum de sportifs et/ou d’entraîneurs dont l’image est reproduite sur un même support, d’une manière identique ou similaire, est inférieur à un seuil préalablement fixé :
- 50% de l’effectif présent sur le terrain aux termes de l’article 12.11.1 de la Convention Collective Nationale du Sport ;
- 5 joueurs au moins de l’effectif, dont l’image est exploitée « d’une manière rigoureusement identique » aux termes de l’article 280 b) de la Charte du football professionnel ;
- 3 joueurs et/ou entraîneurs et/ou préparateur(s) physique(s) au moins de l’effectif, dont l’image est captée « dans l’exercice normal de leurs activités professionnelles » aux termes de l’article 7.1.3 de la Convention collective du rugby professionnel.
En deçà de ces seuils, le Club ou la Fédération devra avoir obtenu un accord spécifique du joueur pour chaque opération commerciale. A noter que, d’après l’article L.222-2-10-1 du Code du sport, la redevance versée au sportif ou à l’entraîneur professionnel par l’association ou la société sportive en contrepartie de l’exploitation de son image ne constitue alors ni un salaire, ni une rémunération (cf. article D.222-50 du Code du sport).
La Convention Collective du Rugby Professionnel prévoit toutefois que le Club est autorisé à utiliser à son profit l’image associée individuelle dans le but d’assurer sa promotion ou celle des compétitions auxquelles il participe ou la commercialisation sous forme de « produits dérivés » d’un certain nombre d’équipements sportifs (dont maillots) à l’occasion d’un match (article 7.2.2.1)
Au-delà de ces seuils, on parle d’image « collective » : l’employeur décide alors seul de l’exploitation sur tout support ou par tout moyen, à son profit ou à celui de ces partenaires. Le cas échéant, il lui appartient d’informer les sportifs des conditions d’utilisation de l’image associée collective (article 12.11.1 de la Convention Collective Nationale du Sport ; article 7.2.1 de la Convention Collective du Rugby Professionnel).
- 3ème limite : la protection des intérêts légitimes du Club
Comme tout salarié, le joueur doit être considéré comme astreint à une obligation de loyauté à l’égard de son Club employeur.
On notera que l’article 12.11.2 de la Convention Collective Nationale du Sport et l’article 7.1.1 de la Convention collective du rugby professionnel prévoient expressément que la liberté du sportif d’exploiter individuellement son image (non associée aux signes et emblèmes de son employeur) peut être subordonnée au respect des intérêts légitimes de l’employeur : « à cet effet, le contrat de travail peut interdire que les actions d’exploitation de l’image individuelle du salarié bénéficient à une entreprise concurrente de partenaires commerciaux significatifs de l’employeur ; dans ce cas, la liste des gammes de produits ou de services réservées à ces derniers devra être précisée dans le contrat de travail, ainsi que les conditions dans lesquelles elle pourra être modifiée en cours d’exécution de ce contrat. »
Les sportifs se doivent donc de respecter les partenariats conclus par leurs Clubs et Fédérations. Leurs sponsors personnels doivent donc se contenter de l’espace médiatique qui leur est laissé, ce qui réduit potentiellement d’autant l’attractivité de ce type de partenariats pour les Marques. A titre d’exemple, Raphaël Varane s’était trouvé dans la délicate situation d’avoir à assurer une opération promotionnelle en faveur de Volkswagen pour le compte de la FFF alors que le sponsor de son club madrilène était Audi et qu’il assurait lui-même le rôle d’ambassadeur de la marque Jaguar.
L’affaire Mbappé : droit de regard ou droit de veto ?
La convention qui a été conclue par Kylian Mbappé avec la FFF n’apparaît pas inattaquable sur un plan juridique, eu égard notamment au caractère insuffisamment défini des droits cédés, à l’absence d’accord exprès pour chacune des exploitations réalisées mais également à sa nature de contrat d’adhésion dont les dispositions ne sont pas négociables, outre sa durée étonnamment longue (5 ans après le terme de la carrière professionnelle du sportif).
L’on peut par ailleurs concevoir que certains joueurs n’apprécient que moyennement d’être systématiquement mis en avant dans le cadre de l’exploitation de l’image collective des Bleus. La mise en place d’un roulement régulier entre joueurs dans le cadre des opérations de communication ne serait alors pas sans intérêt.
Pour autant, les griefs invoqués par le buteur des Bleus pour ne pas honorer ses engagements contractuels apparaissent quelque peu nébuleux. Il est d’ailleurs permis de douter de la pertinence voire de l’efficacité des solutions proposées.
Une « clause de conscience » existe certes pour des professions réglementées comme les avocats, les notaires ou les médecins (mais également les journalistes), leur permettant de refuser d’avoir à pratiquer des actes ou à défendre des intérêts en contrariété avec leurs convictions profondes, pour des raisons éthiques ou morales. Néanmoins, elle reste alors très encadrée, notamment par des dispositions législatives ou réglementaires ad hoc qui en consacrent tant le principe que les limites (article L.7112-5 du Code du travail pour les journalistes ; dispositions du Code de la santé publique pour les médecins ; le Règlement Intérieur National des avocats impose quant à lui l’insertion d’une clause de conscience dans les contrats de collaboration).
Il n’existe évidemment rien de tel pour les footballeurs, que leur activité professionnelle n’amène pas à accomplir des actes fondamentalement non conformes à leurs convictions éthiques.
De même, l’option de la clause de « droit de regard » n’est pas sans susciter quelques réserves. A l’instar des auteurs sur leur œuvres, les sportifs sont certes légitimes à revendiquer la possibilité de contrôler l’usage qui est fait de leur image par les sponsors de la Fédération, dès lors qu’elle pourrait s’en trouver– directement ou indirectement – impactée (par exemple, Cour d’appel Paris, 28 janvier 2015, RG 13/12397). Pour autant, ce droit de regard ne nous semble pas devoir être confondu avec un droit de veto : si les sportifs doivent pouvoir vérifier les conditions de l’exploitation de leur image (c’est-à-dire les contours de la campagne publicitaire envisagée), il serait en revanche excessif d’octroyer discrétionnairement à chacun des membres de l’Equipe de France la possibilité d’écarter les sponsors choisis par la FFF.
En pratique, peut-on sérieusement attendre d’un sponsor qu’il accepte de débourser des sommes conséquentes pour associer son image à l’équipe de France alors même que la plupart de ses membres pourrait finalement refuser de participer à ses campagnes publicitaires ? Où serait la nécessaire sécurité juridique si l’étendue des droits cédés par la Fédération restait inconnue au jour des négociations et, pire, était amenée à évoluer en cours d’exécution contractuelle, au gré des blessures et de la méforme éventuelle des membres de l’Equipe nationale ?
Un autre écueil guette le « droit de regard ». En effet, quand bien même une telle clause serait finalement insérée au sein de la convention de la FFF, elle ne pourrait alors être mise en œuvre que « de bonne foi » conformément aux dispositions d’ordre public de l’article 1104 du Code civil. Sous couvert d’éthique, son usage ne saurait avoir pour objet – détourné – de remettre en cause l’économie générale de la convention, au profit des sponsors personnels du sportif. Ainsi, en dehors des domaines tels que la vente d’armes, l’alcool, le tabac ou rentrant en conflit avec des convictions politiques ou religieuses fortes, il est permis de s’interroger sur les secteurs d’activité qui seraient radicalement incompatibles avec les valeurs d’un sportif. Stigmatiser un sponsor plutôt qu’un autre apparait même dangereux, à l’heure où les équipementiers sportifs sont régulièrement éclaboussés par des scandales liés au travail des enfants, où les industries automobile et aérienne doivent faire face aux critiques des écologistes et où les banques ont vu leur image écornée par la crise des subprimes…
En définitive, s’il ne semble pas sérieusement contestable que la convention signée par la FFF avec les joueurs doit faire l’objet de certains aménagements, ceux-ci ne sauraient avoir pour objet ou pour effet de faire primer les intérêts particuliers d’un sportif sur les intérêts collectifs de l’Equipe de France. Il revient donc à chaque athlète de décider, en conscience, s’il entend privilégier son sponsor personnel ou sa participation à l’aventure des Bleus.
Quid du droit à l’image… de marque des sponsors fédéraux ?
Pour refuser de s’associer à certains des sponsors des Bleus, Kylian Mbapppé met régulièrement les valeurs qu’il entend promouvoir. Dans cette guerre du droit à l’image, les premières victimes sont donc les marques qui se trouvent, bien malgré elles, au cœur d’une polémique dont elles se seraient certainement passées. Le principe du parrainage sportif n’est-il pas en effet de pouvoir jouir du privilège d’associer son image en exclusivité à celle de l’équipe nationale (en contrepartie du règlement de plusieurs centaines de milliers d’euros) ?
Point de tel retour sur image, en l’espèce. La bonne aubaine s’est en effet muée en fiasco médiatique, les marques se trouvant finalement stigmatisées par ceux-là même qui devaient les promouvoir ! Le bilan est d’autant plus cruel pour ces sponsors qu’ils n’auraient pas eu à souffrir de ce bad buzz dévastateur s’ils n’avaient pas conclu de partenariat avec la Fédération et versé les sommes conséquentes qui en sont le corolaire.
Soucieux de préserver son image, Kylian Mbappé a donc finalement sacrifié l’image de marque des sponsors de l’Equipe de France. Il fait peu de doute que ces derniers auront peu apprécié la manœuvre et que les prochaines négociations avec la FFF seront plus apres que jamais…
Thibault LACHACINSKI
Cabinet NAFALAW (www.nfalaw.com)
Avocat à la Cour