Le 29 mai 2018 aurait dû être une date historique pour le football français : Mediapro, groupe audiovisuel de Jaume Roures, remporte plusieurs lots des droits de diffusion des compétitions organisées par la Ligue de Football Professionnel (L.F.P.) pour la période 2020-2024, pour un montant avoisinant les 780 millions d’euros annuels, lesquels permettent d’atteindre le cap du milliard pour l’ensemble des droits de diffusion. À peine plus de deux ans et demi après, le 11 décembre 2020 l’aventure Mediapro s’arrête à la suite d’un fiasco sans précédent.
De ce dernier la volonté de création d’une société commerciale pour la Ligue de Football Professionnel est née.
La genèse du projet
En proie à de nombreuses difficultés, notamment à la suite de la crise Covid – 19 ainsi que de l’échec Mediapro, la solution de la création d’une société commerciale pour gérer la vente des droits télévisuels est devenue, selon les dirigeants de la Ligue, quasi-vitale pour la survie de la L.F.P. et plus globalement du football professionnel français. Vincent Labrune affirme même, début décembre 2021 devant le Sénat, que « si, à court terme, on n’est pas capable de rentrer un peu d’argent frais dans les caisses pour nous sauver et rebondir, le championnat de France devient le championnat de Slovénie ».
Le 19 mars 2021 marque le premier pas du projet. Ce jour-là, les députés ont adopté la possibilité pour les Ligues professionnelles de créer une société commerciale avec pour objet la commercialisation et la gestion des droits TV. Intégré au cœur d’un amendement, la possibilité de cette création prévoit, notamment que la Ligue qui créera cette société ne pourra détenir moins de 80% du capital de celle-ci.
Le mercredi 19 janvier 2022 constitue, quant à lui, le top départ du projet. En effet, le Sénat vient de voter la proposition de loi faite par La République en marche, laquelle prévoit notamment la constitution d’une société commerciale.
C’est à partir de cette date que le projet peut continuer. Après avoir reçu quatre offres de plusieurs fonds (Oaktree, CVC, Hellman and Friedman, et Silver Lake), la LFP entre en négociations exclusives le 18 mars 2022 avec CVC Capital Partners. L’opération a pour objectif de céder 13% de la future société commerciale contre 1.5 milliards d’euros, soit une valorisation de la société commerciale à 11.5 milliards d’euros. Les négociations aboutissent par un accord, qualifié de « moment historique » par Vincent Labrune, le 1er avril 2022.
Le fonctionnement de la société commerciale
Une fois le projet validé par le collège de Ligue 1, puis le collège de Ligue 2, il reste à savoir comment se répartira le pactole. Sur l’ensemble de la participation de CVC à la société, un accord de répartition de la manne financière s’est dessiné de la manière suivante :100 millions d’euros seront utilisés pour un fonds de réserve ;
- 100 millions d’euros permettront le fonctionnement de la société et la prise en compte de ses frais ;170 millions d’euros rembourseront le prêt garanti par l’Etat (PGE) contracté par la Ligue à la suite de la crise Covid – 19 ;
- 1,130 milliard d’euros sera réparti entre les clubs selon trois groupes :
- Groupe 1 : Paris Saint-Germain à hauteur de 200 millions d’euros ;
- Groupe 2 : Marseille & Lyon à hauteur de 90 millions d’euros chacun, ainsi que Nice, Lille, Rennes & Monaco à hauteur de 80 millions d’euros ;
- Groupe 3 : le reste des clubs de Ligue 1 à hauteur de 33 millions d’euros chacun (versés en deux temps).
Il est à noter que ceux qui descendront en Ligue 2 devront, évidemment, faire moitié – moitié avec les promus. Pour tous les autres clubs de Ligue 2 non concernés par une ascension au plus haut-niveau français, ils toucheront 3 millions d’euros (versés en deux fois), avec le même mécanisme entre les promus et les relégués en National.
Ce versement se réalisera en trois temps : juillet 2022, juin 2023 et juin 2024. Cette dernière date correspond au début de la période 2024 – 2028, laquelle fera l’objet du prochain appel d’offres pour la diffusion de la Ligue 1 à l’automne 2023. Cet apport financier tombe à pic, notamment dans la perspective de la réforme de la Ligue des Champions, laquelle débutera, elle aussi, au début de la saison 2024/2025.
Comme toute société « classique », la volonté de la LFP et de CVC est de faire croître la valeur globale de la société. Cela passe par un développement des trois grands types de revenus : les droits domestiques de diffusion, les droits internationaux (pour lesquels la LFP a un accord avec beIn Sports jusqu’à 2024) et les droits numériques. C’est d’ailleurs sur ces deux derniers revenus que les attentes sont fortes de la part de la LFP. Il faut, pour CVC, réussir à vendre le football français à l’international ainsi que sa consommation digitale, sur l’ensemble des plateformes dédiées.
CVC n’en n’est pas à son coup d’essai en termes de société commerciale. En effet, malgré une opposition des deux mastodontes du football espagnol que sont le FC Barcelone et le Real Madrid, l’assemblée générale de la Liga a adopté, le 10 décembre 2021, le plan de financement conclu avec CVC pour la création de « La Liga Impulso”, société commerciale de la Ligue espagnole. Cet accord prévoit un versement de 2 milliards d’euros du fonds d’investissement, soit 8.2% du capital de la société. Cependant, et contrairement au cas français, les clubs s’engagent à céder 11% de leurs droits audiovisuels au fonds pour les cinquante prochaines années.