L’accord de non-sollicitation : Entre protection juridique et frein à la compétitivité du football français

par | 10, Jan, 2022

Dénicher les futurs talents avant les autres, voilà l’une des priorités de la majorité des clubs français sur le marché des transferts. Ils disposent à ce titre, d’un mécanisme leur permettant de verrouiller la concurrence : l’accord de non-sollicitation.

Comment définir cet accord ? Quels subterfuges pour trouver un équilibre entre protection juridique des acteurs du football et maintien de la compétitivité du football français? Eléments de réponse avec Badou Sambague, Avocat au Barreau de Paris.

Qu’est-ce que l’accord de non-sollicitation ?

L’accord de non-sollicitation, aussi appelé « ANS », est défini par les règlements de la Ligue de Football Professionnel en vigueur : «Tout groupement sportif, disposant d’un centre de formation conformément à l’article 101 de la CCNMF, pourra faire signer à n’importe quel moment, à un joueur âgé de 13 ans au moins au 31 décembre de la saison de signature, qualifié dans un club français n’ayant pas de centre de formation agréé ou étranger n’ayant pas le statut professionnel, un accord dit de non-sollicitation lequel fera l’objet d’un enregistrement par la Commission juridique de la LFP».

S’agit-il d’une véritable promesse synallagmatique de contrat de travail ou d’un accord de principe ?

Selon l’article 227 du règlement administratif de la LFP « En signant un accord de non-sollicitation, les parties s’engagent à conclure un contrat de travail. Elles ont la faculté de préciser dans l’ANS les conditions notamment financières dudit contrat ».

Il arrive assez souvent de s’interroger sur la véritable nature de ce contrat. 

Qualifier ce contrat de promesse synallagmatique serait contraire au droit du travail, dans la mesure où un mineur de 13 ans ne peut signer un contrat de travail quand bien même ce contrat prendra effet à ses 15 ans.

Il semble unanimement admis en droit français qu’il s’agit d’un accord de principe assorti de plusieurs clauses : une clause d’exclusivité, une clause de non-sollicitation, et une clause de rendez-vous.

Un club et un joueur s’engagent donc réciproquement, pour le premier à proposer un contrat au joueur et pour le second à l’accepter. Le non-respect de cette obligation principale entraînera des sanctions à l’égard de l’une ou l’autre des parties. Le club devra s’acquitter de la totalité du salaire qu’il aurait dû verser au joueur et le joueur risque quant à lui une interdiction de s’engager dans un autre club professionnel français pendant une période de 3 saisons.

Dans un processus classique et à l’issue de l’accord de non sollicitation, le mineur âgé au minimum de 15 ans révolus et qui aura préalablement accompli la scolarité obligatoire du premier cycle de l’enseignement secondaire devra s’engager dans un cursus d’aspirant footballeur pour une durée de 3 ans.

A quoi sert-il ?

L’ANS est un mécanisme franco-français qui, paradoxalement, ne protège pas les clubs français.

Ses objectifs principaux sont de :

  • Sécuriser une relation contractuelle entre un joueur (et ses représentants légaux) et un club : les parties s’engagent mutuellement à régulariser un contrat aspirant de 3 saisons lorsque le sportif aura atteint l’âge de 15 ans révolus et qu’il aura préalablement accompli sa scolarité obligatoire du premier cycle de l’enseignement secondaire.
  • Permettre la mise en place d’un pacte de non-agression entre les différents clubs professionnels français dans la mesure où chacun des clubs professionnels sera informé de la signature d’un ANS par joueur avec un desdits clubs français et se verra par la même occasion informé de l’impossibilité de contracter avec ce même joueur pour une durée de 3 saisons.

Quels sont les clubs qui peuvent utiliser l’ANS ? 

Conformément à l’article 227 de la Charte du Football Professionnel, tout club professionnel, disposant d’un centre de formation, pourra faire signer à n’importe quel moment, à un joueur âgé de 13 ans au moins au 31 décembre de la saison de signature, un accord dit de non-sollicitation lequel fera l’objet d’un enregistrement par le service juridique de la LFP. 

A titre dérogatoire et pour les seuls groupements sportifs professionnels disposant d’une section sportive labellisée « Elite » par la Fédération Française de Football, il est permis auxdits groupements sportifs de signer, entre le 1er janvier et le 30 juin.

L’article 110 de la charte limite le nombre d’accords de sollicitation en fonction de la catégorie du centre de formation : 

∙ 8 A.N.S. en 1ère catégorie ; 

∙ 6 A.N.S. en 2ème catégorie. 

Quels sont les avantages de l’ANS ? 

Les avantages sont de différentes natures selon que l’on se place du côté du Sportif ou du Club.

Pour le Joueur : Il aura la certitude de voir le Club respecter un engagement de formation de 5 saisons (2 ANS + 3 Aspirant). Il aura donc garantie de percevoir un salaire et intégration d’un centre de formation (double projet sportif : aspirant footballeur professionnel et éducatif : Bac). De plus, cela conduit à une stabilité du jeune sportif entre ses 13 et 18 ans.

Pour le Club : Cela permet de sécuriser la relation contractuelle avec les meilleurs joueurs à haut potentiel, sans être inquiété par des démarches d’un autre club professionnel français.

Quels sont les inconvénients de l’ANS ?

Les inconvénients sont également de différents ordres selon que l’on se place du côté du Joueur ou du Club.

Pour le Joueur : Une décision prise par le joueur et sa famille à l’âge de 13 ans pour une projection sur 5 ans c’est-à-dire jusqu’à 18 ans entraîne une certaine rigidité qui ne permet pas de se réorienter en cas de difficulté (changement de la politique sportive du club, modification de l’organigramme : il arrive souvent que les recruteurs et les directeurs qui ont contribué au recrutement du jeune sportif à l’âge de 13 ans ou 14 ans au moment de la signature de l’ANS ne soit plus au club au moment où les parties régularisent le contrat aspirant).

Le jeune sportif peut donc se retrouver lié à un club alors que le projet présenté, validé et entériné, a sensiblement évolué.

Pour le Club : L’inconvénient de l’ANS du point de vue du Club, c’est que l’on place le joueur dans une situation de confort qui peut limiter sa détermination et la recherche de la performance. Il aura parfois tendance à se relâcher en se montrant moins compétitif puisqu’il dispose de la garantie, quel que soit ses performances et son évolution, de signer un contrat aspirant de 3 saisons.

De plus, le Club peut être amené à signer des joueurs pour une durée de 5 ans sans savoir l’évolution sportive qu’ils auront sur le long terme. C’est une prise de risque, d’autant plus quand l’on sait qu’entre 13 et 15 ans, l’évolution physique et mentale du joueur est importante.

Un joueur a-t-il la possibilité de rompre cet accord et signer en faveur d’un autre club ?

Le joueur qui signe un ANS avec un club s’engage à signer un contrat aspirant de 3 saisons avec ce même club. Dès lors, la seule possibilité de rupture reste une rupture d’un commun accord ou une rupture pour faute.

Les clubs ne se mettent généralement jamais à la faute. En effet, les salaires appliqués au contrat aspirant constituent une charge financière très faible dans leur budget, de sorte que les engagements seront quasi-systématiquement respectés. Dans le même sens, il n’existe aucun intérêt pour le club de mettre fin, d’un commun accord à cette obligation de signer un contrat aspirant avec les meilleurs jeunes joueurs validés par leur cellule de recrutement.

Il reste alors une option pour le sportif : refuser la signature du contrat aspirant une fois l’âge de 15 ans atteint. Dans ce cas, il encourt une lourde sanction : l’interdiction de s’engager pendant 3 saisons avec un club professionnel français.

En pratique, lorsqu’une telle situation se présente, le jeune sportif s’engage pour une saison avec un club amateur français afin d’atteindre la « majorité européenne » en matière de transfert internationaux et rapidement s’engager avec un club professionnel situé au sein de l’Union Européenne.

L’absence d’effets de l’ANS à l’étranger contribue donc à créer une discrimination à rebours au détriment des club français.

Transfert de mineurs, signature de contrats de plus en plus jeune, quel cadre légal faudrait-il mettre en place pour préserver les jeunes joueurs du « football business » et ses méfaits ?

Les avocats permettent un rééquilibrage des relations entre les parties. Généralement, les footballeurs et leur famille découvrent le monde du football, ses rouages et ses règlements au fur et à mesure de l’évolution de la carrière du joueur.

Face à des clubs structurés, expérimentés et dotés de services juridiques spécialisés, il apparaît absolument nécessaire d’être représenté et assisté dès les prémices.

Le rôle du club est de former des sportifs et des hommes/femmes, tandis que le l’avocat permettra au joueur de comprendre et appréhender la teneur de ses engagements ainsi que la stratégie et le plan de carrière.

Nous avons par exemple été parmi les premiers à expliquer à de jeunes joueurs et leur famille qu’un accord de non sollicitation signé par un sportif à l’âge de 13 ans peut l’engager pour 10 ans avec cette même entité.

En effet, en signant un ANS à 13 ans, le sportif s’engage à régulariser un contrat aspirant pour 3 saisons (soit jusqu’à 18 ans), il octroi par la même occasion le droit pour le club de lui proposer (voir imposer) un contrat stagiaire pour 2 saisons (soit jusqu’à 20 ans) et enfin le droit pour ce même club de lui proposer (voir imposer) un premier contrat professionnel de 3 saisons (soit jusqu’à 23 ans) à l’issue de ce contrat stagiaire.

Ce n’est qu’en s’acquittant des indemnités de formation pour la période passée dans son club que le joueur pourra se libérer de ses obligations contractuelles.

Le dernier élément concerne la stabilité contractuelle. La stabilité contractuelle est un élément clef d’une stabilité émotive et compétitive. Je considère depuis toujours qu’un footballeur professionnel doit par priorité signer son premier contrat professionnel et jouer pour son club formateur. Ce n’est qu’en cas de point de non-retour et désaccord manifeste qu’un départ vers nouveau projet doit être envisagé.

Notre rôle est alors de conseiller le joueur qui restera maître en tout état de cause de la décision finale.

Quelles solutions afin de trouver un équilibre entre garanties contractuelles, formation des aspirants joueurs, et maintien de la compétitivité du football français ?

L’ANS en l’état actuel, s’il permet une certaine stabilité des relations contractuelles entre les parties, sa trop grande rigidité ne permet pas de pallier aux difficultés liées aux offensives européennes sur les jeunes joueurs français qui ont atteint l’âge de 16 ans. 

Il suffit en effet pour des clubs européens d’analyser les performances des jeunes talents français (ce qui n’est pas très difficile eu égard aux staffs déployées par ces clubs sur le territoire français) et de leur conseiller – une fois la période liée à l’accord de principe terminée – de s’engager pour une saison avec un club amateur avant de les rejoindre quelques mois plus tard plutôt que de suivre l’ANS.

Afin de maintenir la compétitivité du football français et notamment de ses centres de formation, il est souhaitable d’introduire plus de flexibilité en ce qui concerne les accords de non sollicitation.

Une option devrait être ouverte au profit de la partie faible (à savoir le joueur) afin de pouvoir s’engager avec une autre structure professionnelle française si les conditions qui ont préalablement conduit à l’accord de principe ne sont plus réunies. 

Les contours d’une telle flexibilité qui protégerait davantage les clubs professionnels français semblent difficiles à appréhender, de sorte qu’il convient de s’interroger sur l’opportunité du maintien même de l’accord de non sollicitation dans le corpus légal du football.

Un projet sportif validé par un jeune footballeur et sa famille à l’âge de 13 ans n’est plus forcément celui qui est attendu 2 ou 3 saisons plus tard.

Maître Badou Sambague – Avocat Mandataire Sportif – BS LAW

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