La rupture du CDD de l’entraîneur pour insuffisance de résultats

par | 12, Sep, 2022

Claude PUEL à l’Association Sportive de Saint-Etienne, Patrice COLLAZO au Racing Club de Toulon, ou encore plus récemment Mauricio POCHETTINO au Paris-Saint-Germain, bons nombres de clubs sportifs professionnels décident de congédier leurs entraineurs suite aux mauvais résultats sportifs de leurs clubs. 

Nous le savons, la spécificité du domaine sportif a contraint le droit du travail à créer de nouveaux mécanismes qui permettent de s’adapter aux besoins des clubs et fédérations. 

A ainsi été créé le contrat à durée déterminée spécifique du sportif, véritable contrat sui generis qui ouvre un cas de recours à l’embauche des joueurs ou des entraineurs, qui par nature n’ont pas vocation à occuper un poste permanent de l’association ou de la société sportive (article L. 222-2-3 du Code du sport).

Cependant, si le droit du travail s’est mis à la disposition des contraintes du milieu sportif professionnel afin d’ouvrir le cas de recours à l’embauche des sportifs et entraineurs salariés en contrat à durée déterminée, ce dernier a conservé ses dispositions protectrices concernant la rupture anticipée du contrat. 

L’adaptabilité du droit du travail aux besoins des clubs sportifs connait donc aujourd’hui certaines limites, notamment lorsque ces derniers souhaitent se séparer d’un de leurs entraineurs car ceux-ci n’ont pas atteints l’objectif pour lequel ils ont été embauchés, ou lorsque le club fait face à de trop mauvais résultats sportifs. 

Se pose donc la question de savoir si l’insuffisance de résultats de l’entraineur peut permettre au club sportif professionnel de se délier du contrat à durée déterminée spécifique signé avec son salarié, et à défaut, à quel prix les clubs sont-ils prêts à se livrer à de telle rupture aux fins de se séparer de leurs entraineurs. 

1 – Un régime qui suit le régime légal du droit du travail

Au même titre que les autres motifs de recours du contrat à durée déterminée, le contrat à durée déterminée spécifique du sportif, pourtant codifié au sein du Code du sport, ne déroge pas aux règles relatives à la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée. 

En effet, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation est claire sur ce point, et a déjà eu l’occasion d’insister sur le caractère d’ordre public des dispositions de l’article L. 1243-1 du Code du travail, « auxquelles ni la charte du football professionnel, qui a valeur de convention collective sectorielle, ni le contrat de travail ne peuvent déroger dans un sens défavorable au salarié »1.  

Par conséquent, et conformément à l’article L. 1243-1 du Code du travail, les cas de rupture anticipée du contrat de travail de l’entraineur salarié sont exclusivement limités à :

– La faute grave ;

– La rupture d’un commun accord ;

– La force majeure ;

– L’inaptitude

A la lecture de cet article, l’insuffisance de résultats de l’entraineur ne peut donc, à elle seule, justifier la rupture anticipée de son contrat de travail. 

Ainsi, si l’insuffisance de résultats peut, si elle procède d’une insuffisance professionnelle, constituer une cause réelle et sérieuse du licenciement, ce motif ne semble pas être admis pour justifier de la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée. 

En revanche, et dans le cadre de la signature d’un contrat à durée déterminée, se pose la question de savoir si l’employeur peut rompre de manière anticipée le contrat de son entraineur pour défaut d’atteinte des résultats préalablement fixés au sein du contrat. 

Ainsi, l’insuffisance de résultats du club ouvre t’elle la possibilité pour les associations et sociétés sportives de se séparer de leurs entraineurs en brandissant le motif de la faute grave ? 

2 – L’absence de résultats sportifs n’est pas constitutive d’une faute grave 

La faute grave est définie par la jurisprudence comme étant le fait ou l’ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation délibérée des obligations résultant du contrat de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et nécessite la cessation immédiate du contrat de travail2.

Rompre de manière anticipée le contrat de travail pour insuffisance de résultats reviendrait à ériger l’atteinte des résultats en une obligation professionnelle à la charge du salarié, d’une importance telle que sa violation rendrait impossible le maintien de l’entraineur au sein du club.

Cela revient donc à se poser la question de savoir si l’atteinte des résultats fixés par le club sportif constitue ou non une obligation de résultat à la charge du salarié qui permettrait de rompre le contrat suite au constat de la simple défaillance du débiteur à remplir cette obligation.

Précisons par ailleurs qu’une obligation ne peut être qualifiée de résultat que dans la mesure où sa réalisation apparait suffisamment certaine et qu’elle ne résulte pas de l’aléa3.   

Or, l’atteinte des résultats fixés par le club sportif ne peut constituer une obligation de résultat dès lors qu’ils ne dépendent de la seule prestation de travail de l’entraineur.

Cette obligation ne peut être constitutive d’une obligation de résultat, dès lors que d’autres facteurs entrent en jeu dans l’atteinte des résultats du club tels que la performance sportive des joueurs, ou les moyens mis en œuvre par le club etc4.  

En effet, il existe ici un aléa dans la réalisation des résultats sportifs.

Partant de ce postulat, la jurisprudence de la Cour de cassation est claire sur ce point : les mauvais résultats sportifs ne peuvent en rien justifier une rupture anticipée du contrat pour faute grave de l’entraineur ou bien même des joueurs5-6

Plus précisément, la Cour de cassation a ici considéré que l’absence de concertation et de dialogue avec les joueurs, ainsi que le désintérêt de l’entraineur pour le centre de formation révélaient seulement l’inaptitude de l’intéressé à l’emploi pour lequel il avait été recruté, ce qui n’était pas de nature à constituer une faute grave.

Dès lors, l’insuffisance de résultats, qui peut permettre de motiver un licenciement pour insuffisance professionnelle, ne peut en revanche constituer une faute grave justifiant la rupture anticipée du contrat à durée déterminée.  

3 – Une possibilité de rompre le contrat de travail pour faute grave en cas de preuve d’une mauvaise volonté délibérée de l’entraineur

Si l’insuffisance de résultats ne permet pas à elle seule de justifier la rupture anticipée du contrat de travail de l’entraineur, il en est autrement lorsque les mauvais résultats du clubs sportifs résultent d’une mauvaise volonté délibérée de l’entraineur. 

En effet, si l’on se rattache à la définition de la faute grave donnée par la jurisprudence, à savoir une violation délibérée des obligations résultant du contrat de travail ; alors l’inexécution volontaire de l’entraineur de ses obligations professionnelles, menant à l’insuffisance des résultats du club, présente un caractère fautif permettant ici de justifier la rupture anticipée de son contrat de travail.

C’est ce qu’ont ainsi retenu les juges de la Cour d’appel de Poitiers au sein d’un arrêt du 16 juin 2022 n°20/01325, afin de confirmer le jugement rendu en 1ère instance qui estimait que la rupture du contrat de l’entraineur était abusive7

En l’espèce, le club avait rompu pour faute grave le contrat de l’entraineur, en raison d’une insuffisance de résultats. Il lui était notamment reproché un manque d’implication qui a entrainé une série de contre-performances sportives, ainsi qu’une absence de considération à l’égard du staff technique et des joueurs.

La Cour, après avoir rappelé que l’absence de résultat sportif n’était pas constitutive d’une faute grave sauf lorsque les contre-performances résultaient de la mauvaise volonté délibérée de l’entraineur de remplir de bonne foi ses obligations, a estimé que les éléments produits par l’employeur n’étaient pas suffisants à établir le caractère volontaire de l’insuffisance professionnelle, et a donc confirmé le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes.

On en revient ici à la distinction entre obligation de résultat et obligation de moyens dont est tenu l’entraineur à l’égard du club sportif quant à l’atteinte des résultats sportifs. 

En effet, l’obligation de moyens se trouve violée seulement s’il est démontré que le débiteur de l’exécution de l’obligation ne s’est pas conduit en personne raisonnable, c’est-à-dire n’a pas observé toutes les précautions que peut normalement lui dicter sa raison (prudence, diligence et honnêteté)8

Ainsi, s’il est démontré que l’entraineur ne s’est pas conduit en personne raisonnable en se soustrayant volontairement à l’exécution de ses obligations contractuelles, entrainant de ce fait de mauvais résultats sportifs au niveau du club, la faute grave est ici constituée. 

La Cour de cassation9 a eu l’occasion de confirmer l’analyse de la Cour d’appel de Lyon10 au sujet de la faute grave imputée à Claude Puel à l’époque où il était entraineur de Lyon. 

Les magistrats avaient ainsi considéré que les griefs reprochés par le club lyonnais à son ancien entraîneur, relatifs notamment au bilan négatif de son parcours professionnel depuis son engagement, à son orgueil démesuré l’ayant conduit à s’enfermer dans une attitude autocratique et autoritaire, à son insubordination volontaire et répétée pendant la période de crise qu’a connu le club en mai 2011 ainsi qu’à son manque de communication avec le Président du club, étaient bien constitutifs d’une faute.

En tout état de cause, le club sportif peut envisager de mettre fin de manière anticipée au contrat de travail de son entraineur pour faute grave en raison de l’insuffisance de résultats du club, à la condition que celui-ci parvienne à démontrer que cette insuffisance est due à une volonté délibérée de son salarié ne de pas remplir ses obligations contractuelles.

A défaut, le club sportif pourrait être condamné à verser à son ancien entraineur des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, outre les sommes correspondantes à l’indemnité de fin de contrat. 

En pratique, et face à une pression qui peut venir de son l’environnement et notamment de ses supporters, la société ou l’association sportive qui souhaite se séparer de son entraineur en raison des mauvais résultats sportifs du club est prêt à négocier très généreusement les modalités de sa sortie. 

Maître Chloé Sanfilippo – Barthélémy Avocats

  1.  Cass. Soc. 10 février 2016, pourvoi n°14-30.095
  2.  Cass. Soc. 26 février 1991, pourvoi nº 88-44.908
  3.  Dalloz action Droit de la responsabilité et des contrats – Chapitre 3123 – Preuve de l’inexécution d’une obligation contractuelle – Matthieu Poumarède ; Philippe le Tourneau – 2021-2022
  4.  CA de Rennes, 14 décembre 2016, n°15/04563
  5.  Cass. Soc. 8 juillet 1992, pourvoi n° 88-42.647
  6. « Mauvais résultats sportifs et rupture anticipée du CDD ne font pas bon ménage » Xavier Aumeran – https://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1578
  7.  CA de Poitiers, 16 juin 2022, n°20/01325
  8.  ELNET Construction et urbanisme – Responsabilité contractuelle
  9.  Cass. soc., 22-06-2016, n° 15-16.443, F-D
  10.  Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale A, 10 février 2015

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