Dans un article en date du 21 septembre 2021, l’Equipe relatait de l’éventualité d’une rupture du contrat de travail du joueur Joris GNAGNON avec son club du FC Séville. Raison invoquée : « manque de professionnalisme » en lien avec son comportement, sa condition physique et notamment son poids. Zoom sur le régime de rupture du CDD sport avec Gautier Kertudo, Avocat en droit du sport.
Après quelques journées de championnat et au retour d’une importante trêve internationale, la question de la forme ou de la méforme physique des joueurs est un sujet qui revient fréquemment dans les médias sportifs. Au-delà du cas particulier de Joris Gagnon, un club français pourrait-il envisager de rompre le contrat d’un de ses joueurs en raison de sa forme physique défaillante ?
Pour rappel, les motifs de rupture du contrat à durée déterminée « spécifique » sont au nombre de 5 : l’accord des parties, la faute grave, la force majeure, l’inaptitude et l’embauche en CDI. L’absence de professionnalisme, s’il devait être retenu, correspondrait davantage à une faute grave mais encore faut-il caractériser un manquement ne permettant plus à l’employeur de conserver le joueur dans ses effectifs.
Ce manquement doit correspondre à un non-respect des dispositions du contrat de travail ou aux principes de ce dernier. Ainsi, il pourrait être envisagé ici un manquement à l’obligation de loyauté du joueur envers son club. Le joueur ferait preuve de déloyauté dès lors qu’il ne mettrait pas tout en œuvre pour être en condition de jouer une rencontre et de participer aux entrainements.
Cette piste nécessite d’être analysée. En effet, la Cour de cassation dans un arrêt en date du 20 février 2019 a considéré qu’un joueur de basket professionnel qui ne respectait pas les préconisations du médecin du club pendant son arrêt maladie pouvait voir son contrat être rompu pour faute grave en raison du non-respect du principe de loyauté inhérent à son contrat de travail. La faute serait ici caractérisée car le joueur ne se mettrait pas en condition de pouvoir exécuter son contrat de travail.
Le parallèle avec « le manque de professionnalisme » parait donc pertinent. Toutefois, il faut modérer l’analyse. Dans le cas de la jurisprudence précitée, le manquement se caractérise par un « acte positif » : le joueur a refusé de suivre les préconisations du médecin du club. Dans le cadre d’une situation de surpoids, il faudrait que le club soit en capacité de démontrer que des objectifs de poids avaient été fixés au sein du contrat. A défaut, la construction de la faute semble complexe. Comment définir la notion de surpoids ? A partir de combien de kilos en trop un joueur serait-il en surpoids et manquerait donc de professionnalisme ? C’est justement le caractère purement subjectif de l’analyse des faits prétendument fautifs qui pose problème ici.
Ainsi, un tel motif de rupture nécessiterait qu’une autorité indépendante statue sur la capacité ou non pour le joueur de pouvoir effectuer ses missions. La médecine du travail pourrait par exemple intervenir pour dire si un joueur de 100kg peut ou non jouer au football. La tâche parait complexe car le joueur serait alors amené à être déclaré potentiellement apte ou inapte. Mais alors le joueur serait apte à 100kg mais inapte à 101kg ? La Cour d’appel de Rennes dans un arrêt en date du 23 mars 2012, a d’ailleurs sanctionné le club en requalifiant le licenciement pour faute en licenciement abusif après avoir constaté que le Club n’apportait pas la preuve que « le gabarit » du joueur était différent de celui de certains joueurs de son équipe. Le terrain de la faute grave parait alors dangereux pour le club.
La seule échappatoire pourrait résider au sein de la notion « d’hygiène de vie ». Le club devrait alors démontrer, preuves matérielles à l’appui, que le joueur n’a pas respecté l’hygiène qui doit être propre à un sportif de haut niveau. Là encore, la part de subjectivité reste importante et le sujet serait à la frontière du champ d’application de la prime d’éthique.
Il faudrait que les dispositions contractuelles soient très précises sur les modalités propres aux dispositions mises en place par le club pour garantir au joueur une hygiène de vie lui permettant d’exercer son activité.
La mise à l’écart du joueur pour les mêmes raisons parait également tout aussi complexe. L’article 507 de la Chartre du football professionnel indique ainsi « (…) sauf raison médicale, le club ne saurait maintenir aucun joueur sous contrat professionnel, sous réserve des dispositions prévues au 2. ci-dessous, à l’écart du dispositif mis en place au sein du club pour la préparation et l’entraînement collectif des joueurs professionnels ou élites (concernant les 3 dernières années de leur contrat pour ces derniers) ». Le surpoids pourrait-il alors rentrer dans la catégorie des « raisons médicales ». Assurément non en l’absence d’avis d’un médecin, le placement du joueur dans ce que l’on appelle aujourd’hui un loft sur ce fondement exposerait le club à des sanctions pécuniaires.
Mais plus encore, le licenciement en raison d’une situation de surpoids et même la prime qui serait versée dans le cadre d’une clause contractuelle dès lors que le joueur atteindrait un certain poids pourrait se heurter à des considérations qui viendraient toucher aux principes fondamentaux de l’être humain et à sa dignité. Or, la dignité est aujourd’hui un droit d’essence constitutionnelle et supranationale (à partir de la Convention EDH et de la Charte des droits fondamentaux de l’UE).
Dans le cadre de l’arrêt du 20 février 2019, il pouvait être critiqué le fait que l’on impose au joueur de suivre les préconisations d’un médecin, en l’occurrence le médecin du club, et non son propre médecin traitant. Sur le fondement de la liberté de choisir son médecin, il pouvait être relevé que le joueur n’était pas dans l’obligation de suivre les préconisations du club et pouvait prendre ses propres dispositions. Mais la Cour en a décidé autrement en considérant que le joueur en se comportant ainsi, manquait au principe de loyauté inhérent à son contrat de travail.
L’utilisation de la notion de « méforme physique », à défaut d’être encadrée, précisée et contrôlée par un médecin peut créer des difficultés sur le plan de l’application du droit du travail. Plus encore, elle a tendance à assimiler le joueur de football à une marchandise et le contrat de travail à un contrat de prestation de service ouvrant la porte à de nombreuses dérives possibles.
Maître Gautier Kertudo – Avocat au Barreau de Paris
- https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Joris-gnagnon-se-dirige-vers-une-rupture-de-contrat-au-seville-fc/1286908
- Article L.1243-1 du code du travai
- Cass. Civ. 20 février 2019, n°17-18.912
- « Les spécificités du contrat de travail du footballeur », Antoine Semeria, lecoindusalarie.fr
- « Football & droit pénal, lofteur & harceleurs », Baptist Agostini-Croce, 30 septembre 2019, la transversale.fr