Interview de Mathieu Thomas (international français de parabadminton)

par | 29, Sep, 2021

À 37 ans, Mathieu Thomas entend bien participer aux Jeux paralympiques de 2024. Son terrain ? Le para-badminton , discipline dans laquelle il excelle. Cet as du volant n’aurait jamais pu imaginer tel projet sans une maladie à l’âge de 17 ans qui le laissera handicapé. De l’art de transformer une épreuve en force : Jurisportiva vous propose aujourd’hui une rencontre hors pair avec un champion en or. Un immense merci à lui pour cette belle leçon de vie.

Bonjour Monsieur, pouvez-vous vous présenter brièvement dans un premier temps ?

Bonjour. Je m’appelle Mathieu Thomas, je suis sportif de haut niveau en parabadminton. Je prépare actuellement les Jeux Paralympiques de Paris 2024.

A quel âge, êtes-vous devenu handicapé ? Et quelle est l’origine de ce handicap?

A l’âge de 17 ans, on m’a diagnostiqué une tumeur cancéreuse, au niveau du bas ventre. La tumeur s’est construite autour du nerf rural, le nerf qui alimente la cuisse. Afin de retirer la tumeur, on a été obligé de me sectionner le nerf de la cuisse. Cela m’a laissé une paralysie à la cuisse, je n’ai plus de motricité sur ce muscle là. A l’époque, il est très difficile pour moi à 18 ans de vivre avec ce handicap, cette atrophie, de subir le regard des autres. J’ai étonnamment bien vécu mon cancer, je me suis battu pour cela. Le handicap, c’était autre chose.

J’imagine qu’il vous a fallu un certain temps pour accepter. A quel moment vous êtes-vous rendu compte que vous pourriez transformer cette épreuve en force ?

J’ai caché mon handicap durant très longtemps, jusqu’à mes 30 ans. J’ai énormément compensé en sortie d’opération. Mon médecin me disait que je marcherai à vie en boitant et que je ne pourrais plus jamais courir. Cela a résonné en moi comme une sorte de limitation, et j’ai eu cet esprit de revanchard de lui montrer que rien n’était impossible. Si ces mots à l’époque m’ont fait mal, ils m’ont aussi permis de me dépasser par la suite. J’ai tout fait, en centre de rééducation avec un kiné, pour réapprendre à marcher normalement et à courir. Je n’avais pas envie que l’on me mette dans une case, je n’acceptais pas le handicap.  De mes 17 à mes 30 ans, je me suis énormément concentré dans mes études, j’ai fait une école d’ingénieur. J’essayais de ne pas rester sans rien faire, je travaillais, je tentais des aventures en créant des start-ups. Mais à 30 ans, je trouvais que les défis professionnels que je me lançais manquaient de « corps ». Je n’étais pas satisfait, je sentais que je pouvais faire quelque chose de plus grand. Du jour au lendemain, je me suis lancé un défi un peu fou, celui de jouer les Jeux Paralympiques. Depuis ce jour, j’ai tout mis tout en œuvre pour cela. Cela n’a pas fonctionné de peu pour ceux de Tokyo mais je reviendrai plus fort avec Paris 2024. 

Ce n’est donc qu’à mes 30 ans plus ou moins, que j’ai cessé de cacher mon handicap et assumé ce dernier, en le transformant comme une réelle force. J’ai fait cette introspection au fond de moi, celle qui m’a permis d’arriver au constat qu’il était dommage d’abandonner. La vie m’a donné une chance en quelque sorte, elle m’a donné des épreuves, un handicap mais que je n’exploite pas. Il fallait tirer ma différence, ma singularité en quelque chose de grand, qui me rendrait unique. Aujourd’hui, ce handicap est une chance pour moi « Mon handicap est la plus belle chose qui me soit arrivée. Cela m’a permis de découvrir que j’avais cette force en moi de pouvoir, dans n’importe quelle situation difficile, aller chercher le côté positif pour en faire quelque chose de grand ». Le sport m’a permis d’accepter tout cela. C’est dommage car je n’ai pas eu de modèles à cette époque là, de sportifs paralympiques suffisamment médiatisés. Le fait d’avoir des modèles pour les jeunes c’est important, cela permet aussi de montrer qu’on peut rebondir dans la vie malgré les obstacles qu’on traverse. 

Pour l’anecdote, ma jambe que je cachais sans cesse auparavant, au moment où j’ai assumé mon handicap, j’ai décidé de me tatouer toute la jambe. L’histoire du tatouage, c’est que celui-ci représente une prothèse, je voulais sublimer ma jambe. J’ai toujours pensé que tout le monde la regardait, peut-être parfois à tort. Quoi qu’il en soit, j’ai décidé de me marquer à vie.

Justement, comment avez-vous découvert le parabadminton?

Je l’ai découvert par hasard. A 30 ans, je me suis lancé le défi de faire les Jeux Paralympiques mais je ne savais pas encore avec quel sport, je ne les connaissais pas tous d’ailleurs. Je pratiquais le badminton depuis 2 ans, cela me faisait un bien fou. J’ai alors commencé à m’intéresser aux pratiques de para badminton autour de moi. Puis, les championnats de France de parabadminton arrivent, et je décide à l’issue de ce tournoi, de contacter le sélectionneur national : Sandrine Bernard. Elle m’a rapidement invité à un stage avec les membres de l’équipe de France, je découvre alors tous les grands du para badminton. Cela m’a tout de suite plu. Il y avait un tournoi en mars, je me suis rapidement classé à l’international. Lors de cette première compétition, dès mon premier match, j’ai rencontré l’ex numéro 1 mondial. Il faisait une tête de moins que moi, il était hémiplégique, quand je le voyais, je me disais que cela allait être facile de le battre. J’étais assez confiant. Il a dominé tout le match, 21-10 puis à nouveau 21-10. Et cette défaite m’a conféré une vraie force mentale. Je me suis dit « si lui avec son handicap, il peut être aussi bon », tout est possible en travaillant. En 5 ans je n’ai toujours pas réussi à le battre (rires) car lui aussi travaille comme un acharné.

Quel regard portez-vous sur le handisport en France ?

Pour moi, il y a plusieurs choses avec le handisport. D’une part, il y a la sensibilisation qui est importante. Le handisport est nécessaire et utile, voire primordial pour toutes les personnes en situation de handicap. Qu’on en fasse un loisir, ou quelque chose de plus professionnel. Le sport permet de se dépasser et d’apprendre à s’adapter. Il faut ainsi être capable d’accueillir ces personnes avec des infrastructures, des équipes… Je suis avant tout pour l’inclusion, davantage que pour le handisport qui catégorise d’une certaine manière. Il y a un rôle dans la sensibilisation, peu de personnes sont réellement au courant de toutes ces possibilités de sport pour les personnes en situation de handicap. Il y a encore beaucoup d’efforts à faire à ce niveau et notamment en termes de médiatisation. Le handisport en France est à l’image du sport féminin, moins médiatisé, moins suivi, et avec moins de moyens.

Si vous deviez sélectionner une victoire sportive pour l’heure, laquelle serait-ce ?

Tout s’est passé en 2017. Un très bon cru, cette année. En novembre, je suis parti aux championnats du monde en Corée du Sud, j’ai fini avec une médaille de bronze en double hommes. Je n’étais pas forcément attendu sur cette médaille, je n’étais pas encore en équipe de France. J’y suis allé avec mes propres moyens, j’ai tout mis en œuvre pour y arriver et le travail a payé. Pourquoi cette médaille est-elle si particulière ? Mes enfants devaient naître en février 2018, et le premier jour où je suis arrivé en Corée, ma femme m’a appelé pour me dire qu’elle allait accoucher à l’hôpital incessamment sous peu et elle m’a demandé de rentrer. Alors que je m’apprêtais à rentrer, ma femme m’a rappelé pour me dire qu’ils l’a gardait en observation, que tout était sous contrôle et que l’accouchement n’aurait pas lieu avant 24 heures. Étant à l’autre bout du monde, il me fallait ces 24 heures là pour rentrer, alors je lui ai demandé de me tenir au courant. Durant la compétition, j’étais un petit peu entre deux, dans l’attente de nouvelles informations. Finalement, cela m’a tellement libéré. Je n’avais qu’une envie c’était de rentrer pour voir l’arrivée de mes enfants, je me suis donc donné à 200%. Au final, ils sont nés 1 mois et demi plus tard et tant mieux car ce sont déjà des grands prématurés. 2 grands moments pour moi cette année 2017.

J’imagine que votre absence aux Jeux Olympiques de Tokyo a été une grande déception, comment voyez-vous l’avenir?

Oui une grande déception. Pas facile de digérer, cela fait quelques mois maintenant que j’ai eu la nouvelle. J’accuse le coup car cela fait 5 ans que je prépare ce moment, je suis passé à très peu de me qualifier. Je suis arrivé 7ème et ils n’ont sélectionné que 6 joueurs. L’objectif c’est de rebondir, notamment avec Paris 2024. Je travaille d’ores et déjà sur ce nouveau challenge. Je me dois de m’accrocher et de repartir de plus belle. Cela va arriver très vite, seulement 3 ans, les qualifications vont arriver très vite et il faudra enchaîner.

Comment voyez-vous votre reconversion?

J’ai un déjà un peu commencé à travailler sur ma reconversion. J’ai mon diplôme et mon ancien travail de consultant dans le digital. Je pourrais me retrouver dans ce domaine là mais je ne sais pas encore où aller. En étant sportif de haut niveau, je suis aussi chef d’entreprise car je gère ma propre carrière. Je propose aujourd’hui à des prestataires et entreprises des conférences sur le handicap. J’ai envie d’aider les entreprises à mieux parler du handicap, transmettre aux plus jeunes les valeurs du handicap et de la différence. Tout tourne autour de cela, mon après carrière se dirige probablement vers cela. Même si j’ai aussi envie d’accompagner, de manager d’autres sportifs ou bien encore transmettre et inspirer certains, notamment des personnes en situation de handicap. Les aider à accepter, se surpasser. Rencontrer ces gens là, cela me booste. Le temps me dira de quoi est fait l’avenir, mais je ne me ferme aucune porte. 

Êtes vous accompagné par des sponsors, mais également au niveau juridique ?

J’ai longtemps géré tout seul mais cela restait difficile, un agent m’a aidé à trouver des partenaires, des sponsors. Aujourd’hui il m’appuie dans ma recherche de conférences. J’ai constitué au fur et à mesure une petite équipe, je suis accompagné sur la communication, sur l’image, le marketing et la stratégie. Cela se construit au fur et à mesure. 

Un petit mot pour les personnes en situation de handicap qui hésitent à se lancer dans le sport?

La seule chose que je veux dire, c’est que le sport nous aide à nous dépasser, à nous évader, à nous adapter. C’est aussi un vrai vecteur de lien social. Le sport nous aide à avoir une meilleure estime de nous même. Faites du sport !

Crédit photo : Sporty Média

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