La réglementation des paris sportifs en France

par | 24, Fév, 2022

La constitution du « groupe de Copenhague » en 2016, réseau de plateformes nationales oeuvrant contre la manipulation des compétitions sportives, témoigne d’une réelle prise de conscience quant à la nécessité d’assurer un meilleur encadrement de ces dernières. Les paris, ou plus précisément, les paris sportifs, en sont ainsi l’un des meilleurs exemples. Entre objectifs de santé publique, lutte contre la criminalité et protection des libertés individuelles, les gardiens de cette régulation doivent en effet, en permanence, veiller à la juste adéquation de leurs propositions à leurs objectifs, complexifiée par la notion ‘d’aléa sportif’.

L’autorité Nationale des Jeux, unique protagoniste d’une régulation du domaine des paris sportifs

Instituée en 2010, cette autorité administrative indépendante qui répondait au nom d’ARJEL est dotée de nombreuses missions qui font d’elle la seule protagoniste de la réglementation française des paris, dont les paris sportifs et hippiques. 

L’ANJ occupe ainsi à la fois un rôle créatif – par les propositions de textes de lois qu’elle soumet aux ministres compétents (selon les objectifs poursuivis), mais également un rôle régulateur – étant l’autorité compétente pour autoriser les paris sur des manifestations sportives et l’entrée en activité des opérateurs de jeux en lignes, et ce depuis 2010. Ces deux dimensions de ses actions, mises en avant par la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, sont témoins de son importance cruciale pour la réglementation des paris sportifs.

Sa composition est tout aussi intéressante au regard de la particularité des paris et de la place conférée au sport sur l’ensemble des sujets sur lesquels se portent ses études, recommandations, autorisations et plus largement sa règlementation. En effet, sur l’ensemble des membres d’un comité restreint (9 personnes), deux sont professeurs de droit spécialisés dans le droit du sport. C’est-à- dire de la nécessité d’avoir en son sein des experts qui comprennent la particularité des paris sportifs vis -à -vis de l’ensemble des jeux de hasard.

Les manifestations sportives, objet de paris 

L’ANJ mène en premier lieu, dans le domaine du sport, une « lutte contre les manipulations sportives ». Si cela fait partie des objectifs directement liés à la nature « sportive » de ces paris, elle s’assure pourtant, dans tous types de jeux, de leur caractère aléatoire, nécessaire à la légalité de ces derniers. Par nature, le pari est matérialisé par un contrat aléatoire au moyen duquel les parties conviennent que celui qui devinera l’issue d’une compétition bénéficiera d’une prestation déterminée, résultant majoritairement dans une contrepartie financière. Il est facile de s’assurer du caractère ‘aléatoire’ d’un jeu à gratter. C’est pourtant par ce prisme que le sport nécessite, sans commune mesure, un encadrement plus strict. En effet, les paris sportifs portent sur des résultats relevant, certes d’un aléa, mais d’un aléa dépendant de comportements humains et sportifs plus ou moins prévisibles, aléa qui peut facilement disparaître s’il n’est pas encadré. Les affaires des matchs « truqués » largement relatés par la presse populaire en sont la meilleure illustration. 

C’est au regard de cette nécessité d’empêcher la ‘manipulation sportive’ et d’ainsi préserver la nature du sport ou encore le caractère naturellement aléatoire des paris sportifs, que l’ANJ est dotée de larges prérogatives quant à l’encadrement des paris, comme des structures accueillant et organisant ces paris. A titre d’exemple, elle a pu prononcer (le 27 août 2020) une interdiction de paris sur un match de football de l’UEFA Champions League pour des « suspicions de manipulations », interdiction qu’elle a dû justifier, selon la procédure, « d’indices grave et concordants de manipulation ». Cette interdiction peut dans d’autres cas être prononcée suite à de nombreux indices : un montant anormal des mises, une chute importante de côte, la concentration géographique des mises, des alertes reçues, d’une demande de la fédération sportive organisatrice.. L’ANJ est ainsi dotée d’un pouvoir ‘répressif’ au regard des paris sportifs, nécessité lorsqu’est fait le constat de la possibilité de fraude, de corruption, de blanchiment d’argent… existant dans la réalisation de ces paris. C’est notamment au regard de ces risques que sont naturellement interdits les paris portant sur des gestes dits ‘négatifs’ (les fautes, les cartons, les exclusions de jeu…). Car s’il est difficile de corrompre une équipe entière, il est facilement concevable de voir de quelle manière un joueur peut être amené à réaliser un certain nombre de fautes lors d’un seul match. Le caractère d’aléa n’existerait alors plus, privant de sa substance le contrat aléatoire qu’est le pari sportif.

Si cet encadrement spécifique et cette interdiction relèvent de sa compétence à empêcher  la mise en place de paris dit ’illégaux’, par leur but ou leur objet, elle est également la seule protagoniste de l’encadrement et de la réglementation des paris ‘légaux’.

Une réglementation évolutive suivant l’élargissement des compétences des institutions la formulant

A cet égard, la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 confère à l’ANJ une marge de manœuvre et une capacité d’action encore plus grande, toujours par l’intermédiaire de son statut d’autorité administrative indépendante. Complémentairement à ses actions ponctuelles d’autorisation ou d’interdiction des paris sur certaines manifestations sportives, elle dote l’ANJ de la compétence d’établir une liste de paris sportifs autorisés, et lui confie la responsabilité et la possibilité de désigner les opérateurs agréés pour les recevoir, et les organiser. Ces listes sont fréquemment actualisées à la suite des commissions mensuelles, commissions au sein desquelles elle est également amenée, depuis cette même loi, à donner son avis sur les contrats de droit au paris entre les entités organisatrices de compétitions et les opérateurs de paris sportifs. Cet avis, dont la procédure est encadrée par le décret d’application du 7 juin 2010, doit respecter deux principes: la non discrimination et la non exclusion. Tous les opérateurs précédemment agréés doivent ainsi pouvoir consulter l’ANJ avant l’exécution du contrat, et tous les opérateurs répondant aux conditions de réception de l’agrément doivent pouvoir le recevoir sans autre condition.

L’Europe comme large influence sur la nouvelle réglementation des paris sportifs en France

La loi de 2010 ne résulte pas d’une réflexion et d’un sursaut endogène, mais témoigne plutôt d’une juste réception de l’appel de la Commission Européenne à ouvrir ce domaine à la concurrence. Historiquement, si l’Etat attribuait à un nombre restreint d’opérateurs (PMU, FDJ…) Un monopole légal d’organisation des jeux, ce monopole était illustré par une interdiction de l’organisation de tous autres paris sportifs, notamment en ligne. C’est en 2007 que la Commission européenne, appuyée par la Cour de Justice de l’Union Européenne, a obtenu de l’État français qu’il change sa réglementation en la matière, au motif du juste respect des principes de libre échange et d’égale concurrence au cœur du projet de l’Union Européenne.

Les enjeux d’une réglementation trop stricte ou trop légère des paris sportifs: un juste équilibre ?

Au-delà de la lutte contre la fraude, imagée par la vérification du caractère aléatoire du pari sportif, au-delà de la répression des paris illégaux, les paris légalement organisés ne sont cependant pas à l’abri d’autres remises en questions et régulations plus importantes dans les années à venir. Pour cause, la nature même du pari – qu’il soit sportif ou pas, est un enjeu de santé publique, et plus précisément d’addiction. Et lorsqu’il porte sur un sujet aussi populairement admis que le sport, cet enjeu est d’autant plus important. La présence de professionnels de l’addictologie au sein même du comité de l’ANJ témoigne de cette préoccupation. Défendant la mise en place d’un volet ‘jeux d’argent’ au sein de la loi Évin – loi de 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, militant pour la mise en place d’une réglementation plus forte de la publicité liée aux paris sportifs, ils communiquent ainsi régulièrement sur les phénomènes observés dans ce domaine, notamment lors de grands évènements sportifs. 

Dans un communiqué du 21 juillet 2021, l’ANJ constatait ainsi qu’une « ligne jaune avait été franchie en termes de pression publicitaire pendant l’Euro», susceptible de « remettre en cause le modèle réglementaire mis en place pour les 10 prochaines années ». L’ANJ a ajouté que les communications marketing qui ciblent les jeunes adultes et « alimentent l’illusion de l’argent facile » sont particulièrement « problématiques ». Portée par ce constat, l’autorité nationale a alors lancé une consultation publique sur la question. Cette dernière, aboutissant en la publication d’un rapport présenté sur le site de l’ANJ depuis le mercredi 23 février, garde en ligne de mire la volonté d’un encadrement plus prononcé de la publicité relative aux jeux d’argents, et ce dès le 1er septembre 2022. La nécessaire question de l’encadrement des pratiques des influenceurs, dont le public est très largement mineur, s’ajoute ainsi à des recommandations plus ‘classiques’ relatives aux espaces publicitaires à la télévision et sur internet. Les directives formulées, venant faciliter l’interprétation du décret du 4 novembre 2020 notamment en tant qu’il prévoit la « prohibition du jeu comme facteur de réussite sociale », sont assez clairement destinées aux contenus présents sur les réseaux sociaux. Précisant ainsi ce qui est entendu comme ‘réussite sociale’: il n’est par exemple plus possible d’associer ouvertement la promotion d’un opérateur de jeux en ligne avec l’acquisition d’une voiture de luxe. Gage aux différents acteurs de cette promotion de trouver de nouvelles manières de vendre leurs activités, et ce, avant le mois de septembre. C’est à l’institution qu’il reviendra de mettre en place un dialogue constructif avec les acteurs économiques concernés afin de définir des modèles répondant à ces enjeux de santé publique, et ainsi de protéger les parieurs.

Ce dialogue est d’autant plus nécessaire qu’une réglementation trop stricte de ces paris viendrait mettre en difficulté les clubs, économiquement gagnants de l’organisation de paris au sein de leurs compétitions, pour lesquels les ligues professionnelles concèdent des droits d’exploitations. Ils devront ainsi voir leurs intérêts représentés, dans le cas où ce dialogue serait mis en place, afin de s’assurer de la considération de l’enjeu économique  de la tenue des paris sportifs pour les clubs.

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