Générant des sommes d’argent colossales – 2,75 milliards d’euros misés sur les seules rencontres de football en 2019 ; 1,15 milliard sur les matchs de tennis – les paris sportifs réunissent aujourd’hui plus de 3 millions de parieurs par an. Interdits en France jusqu’en juin 2010, époque à laquelle leur encadrement fut finalement confié à l’ARJEL (l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne), c’est aujourd’hui l’ANJ (l’Autorité Nationale des Jeux) qui les régule. Si la majorité des parieurs ne rentre pas dans leurs frais, une minorité d’entre eux parvient à tirer son épingle du jeu. Certains chanceux décrochent même parfois des sommes à 5 ou 6 chiffres, comme le témoigne le record du plus gros gain jamais gagné aux paris sportifs – un peu plus de 900 000 € – remporté par un joueur bordelais en février dernier.
Face à de telles sommes, la question de la fiscalité apparaît inévitablement : comment appréhender de tels gains ? Doivent-ils apparaître sur votre déclaration d’impôt ? Que risquez-vous si vous en taisez la perception ?
Très peu de parieurs se sont déjà interrogés sur ce point en réalité, mais leur première intuition tient souvent au fait que, selon eux, tant qu’ils ne gagnent pas de sommes importantes ou qu’ils ne gagnent pas de manière récurrente, ils n’ont pas à déclarer leurs gains. Leur position est légitime, voire compréhensible, et c’est même ce que de nombreux sites internet véhiculent comme informations. Cependant, la réglementation juridique est toute autre.
Par principe, les paris sportifs sont généralement assimilés à des jeux de hasard. Or, en France, les gains provenant des jeux de hasard ne sont justement pas soumis à l’impôt sur le revenu. L’administration fiscale le rappelle elle-même dans sa documentation publiée au BOFIP en affirmant que « la pratique même habituelle, de jeux de hasard tels que la loterie, tombolas ou jeux divers, ne constitue pas une activité lucrative ou une source de profits devant donner lieu à imposition au nom des personnes devant participer à ces jeux ».
A ce titre, un récent jugement rendu par le Tribunal administratif de Marseille le 20 juillet 2020 (TA Marseille, n° 1803646, 6ème ch., 20 juill. 2020) est venu préciser le traitement de ces sommes gagnées grâce aux paris sportifs. En l’espèce, un parieur avait fait l’objet d’un examen contradictoire de sa situation fiscale à l’issue duquel l’administration avait constaté l’encaissement d’importantes sommes d’argent qui n’avaient pas été déclarées à l’impôt sur le revenu au titre des années 2012 à 2014. Interrogé sur l’origine de ces fonds par la police judiciaire, le mis en cause avait indiqué qu’il jouait aux jeux de foot et à « Parions-Sport », et que les sommes en cause provenaient de la Française des Jeux. L’administration fiscale avait néanmoins considéré que ces gains constituaient un revenu imposable et devaient être assujettis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux prévue par l’article 92 du code général des impôts. En conséquence, le parieur s’était vu notifier, selon la procédure de taxation d’office, des cotisations supplémentaires d’impôts sur le revenu au titre des années 2012 à 2014. Devant le tribunal, le parieur demandait que soit prononcée la décharge des impositions supplémentaires qui avaient été mises à sa charge.
Pour apprécier le bien-fondé de ces impositions, le tribunal s’appuya sur deux articles du code général des impôts :
- L’article 12, qui prévoit que « L’impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ».
- L’article 92, qui précise que « 1. Sont considérés comme provenant de l’exercice d’une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n’ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus (…) ».
Puis, la juridiction administrative affirma explicitement pour la première fois que « sauf circonstances exceptionnelles, la pratique, même habituelle, de jeux de hasard, tels les paris hippiques ou les paris sportifs, ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profits, au sens des dispositions de l’article 92 du code général des impôts, en raison de l’aléa qui pèse sur les perspectives de gains du joueur ».
Confrontant ces règles aux faits reprochés, le tribunal retient alors que les sommes litigieuses proviennent effectivement de la Française des Jeux et correspondent bien à des paris sportifs réalisés en ligne ou dans des bars tabac. Par suite, « dès lors que l’administration n’établit ni même n’invoque une circonstance exceptionnelle de nature à faire obstacle aux principes rappelés ci-dessus, le requérant était fondé à soutenir que c’est à tort que les gains en litige ont été assujettis à l’impôt sur le revenu ». Le caractère régulier des gains et l’importance de ceux-ci ne sont donc pas des critères à prendre en compte.
In fine, le tribunal déclare que le requérant doit être déchargé des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu mises à sa charge au titre des années 2012 à 2014.
Cette décision nous amène dans un second temps à circonscrire ce qu’entend l’administration fiscale par « les circonstances exceptionnelles » pouvant affecter l’aléa du pari sportif. Concernant les paris hippiques, elle indique dans sa documentation publiée au BOFIP que « Sont, toutefois, imposables au titre de la catégorie des bénéfices non commerciaux, les gains réalisés dans un contexte exceptionnel, c’est-à-dire lorsque l’aléa normalement inhérent aux jeux de hasard peut être supprimé ou à tout le moins fortement atténué par le parieur. Tel serait le cas notamment lorsqu’il est établi que le parieur a pesé de façon frauduleuse sur l’issue de la course ». Cela laisse penser que le parieur lui-même doit être à l’origine de l’altération de l’aléa sportif.
Bien évidemment, on peut légitimement penser que ce sera le cas lorsque le pari sportif a fait l’objet d’un truquage. Ce dernier est d’ailleurs de plus en plus fréquent dans la mesure où l’offre des bookmakers est de plus en plus foisonnante. A titre d’exemple, et outre le simple pari sur la victoire d’une équipe dans un match de football, vous pouvez aujourd’hui miser sur le nombre de corners qu’il y aura dans le match, ou encore le nombre de cartons jaunes, de cartons rouges, le nom des buteurs, des passeurs, le nombre de buts, etc. Encore plus propice à la corruption des joueurs, le tennis vous permettra également de parier sur chaque point du match, sur le nombre d’aces, le nombre de jeux remportés, le nombre de sets, etc. Nombreux sont d’ailleurs les tennismen qui admettent avoir déjà été approchés afin de truquer un match.
Le truquage, et donc les circonstances exceptionnelles permettant d’écarter l’aléa, seront également constatés lorsque le parieur lui-même, ou ses proches, participent directement à la rencontre qui fait l’objet du pari sportif. A ce titre, nous pouvons évoquer l’affaire des paris truqués qui avait vu plusieurs joueurs du Montpellier AHB condamnés à la suite de soupçons de la Française des jeux portant sur un nombre important de paris sportifs placés lors de la rencontre du 12 mai 2012 opposant le MAHB et le Cessons Rennes MHB.
Ensuite, peut-on considérer que l’aléa sportif est altéré lorsque le parieur sportif se dit « professionnel » ou qu’il bénéficie de nombreuses années d’expériences ? A priori non, car malgré l’expérience l’aléa persiste toujours. Mais ce constat est à nuancer au regard de la position du juge vis-à-vis des joueurs de poker, pour lesquels il admet que des joueurs réguliers parviennent à écarter l’aléa du jeu. Ainsi, dans un arrêt du 21 juin 2018, le Conseil d’État affirme que l’aléa est écarté « lorsqu’un joueur peut parvenir, grâce à l’expérience, la compétence et l’analyse de la psychologie de ses adversaires, à maîtriser le caractère aléatoire du résultat et à accroître de façon sensible sa probabilité de percevoir des gains importants », les sommes gagnées étant alors soumises à l’impôt sur le revenu. En l’espèce, les juges relevaient de surcroît que le joueur pratiquait de manière habituelle le poker et que les revenus qu’il en tirait étaient significatifs.
Cette position pourrait-elle un jour se transposer pour le parieur sportif qui mise et gagne de manière régulière ? Une nouvelle fois, cela paraît délicat, car l’aléa persistera toujours. A la différence du poker, et mis à part les cas de truquage, le parieur sportif n’interfère pas et n’intervient pas lui-même dans la rencontre. Ainsi, même les joueurs les plus réguliers ou les plus « aguerris » pourront perdre face à l’aléa sportif, qui réserve parfois des résultats inattendus (prenez par exemple la victoire en football de la Macédoine du Nord, cotée à 27, face à l’Allemagne le 31 mars dernier).
Enfin, peut-on envisager l’existence de circonstances exceptionnelles qui seraient totalement extérieures au parieur et à une hypothèse de truquage ? Prenons par exemple le cas d’une équipe de football privée de tous ses meilleurs joueurs, celui d’un tennisman qui se blesse pendant un match mais qui n’abandonne pas, ou encore celui d’un match de rugby entre équipe professionnelle et une équipe d’amateurs. Dans ces situations, l’aléa est indéniablement altéré, certes, mais il subsiste encore de manière infime, permettant aux sommes gagnées sur ces rencontres d’être, encore aujourd’hui, non soumises à l’impôt sur le revenu.
Pour conclure, si le Conseil d’État s’est depuis longtemps positionné concernant le Loto national (CE, 23 juillet 1976, n° 99398) ou encore les paris hippiques (CE, 25 avril 1979, n° 2306, et CE, 21 mars 1980, n° 11235), excluant explicitement ces sommes du champ d’application de l’impôt sur le revenu, il serait maintenant bienvenu qu’il se prononce sur les gains remportés grâce aux paris sportifs, plus de 10 ans après leur légalisation.
1 https://www.parieur-gagnant.com/chiffres-paris-france-infographie/
3 https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/2824-PGP.html/identifiant=BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40-20190902
4 https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/6463-PGP.html/identifiant=BOI-BNC-CHAMP-10-30-40-20120912
6 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007617210
7 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007613639
8 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007617817
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