« Affaire Mbappé », petite loyauté numérique, grande trahison juridique?

par | 18, Oct, 2022

Fort de la victoire de son équipe face au rival marseillais, Kylian Mbappé affiche sur les écrans de radiodiffusion, un sourire et une complicité marquée avec ses coéquipiers. Surtout, il indique clairement ne « jamais avoir eu l’intention de quitter le PSG dès janvier 2023 ». Pourtant, la semaine passée fût une succession de journées tumultueuses pour son employeur, le Paris Saint Germain. Chaque journée accouchant d’articles de presse sur des sujets divers et variés et souvent axés sur l’environnement juridique.

Focus sur un sujet qui a eu le mérite de soulever plusieurs réflexions dans la sphère juridico-sportive.

Pour évoquer le sujet contractuel, revenons tout d’abord sur le contexte médiatique. Kylian Mbappé exerce la fonction de joueur de football professionnel salarié au sein de Paris Saint-Germain, son employeur. 

La durée du contrat n’est pas officiellement connue mais il est de notoriété publique qu’un nouveau contrat a été signé en fin de saison 2021-2022 afin de permettre audit salarié de placer encore quelques dribbles sur les pelouses de Ligue 1 et surtout, « d’offrir » à son employeur une sérénité sur les prochaines fenêtres de transferts en vue d’une potentielle cession importante à un concurrent européen.

Ce faisant, le salarié Kylian Mbappé tout comme son employeur, exécutent leur contrat et donc les obligations qui en découlent. Qui dit obligations, dit bien évidemment, droits (et notamment le droit à la rupture, sur lequel il conviendra de revenir). 

Ces obligations découlant dudit contrat de travail, quelles sont-elles en général ? 

Rappelons que dans le sport professionnel en général et ici dans le cas du football, le Contrat à Durée Déterminée est la norme. C’est ce que le Code du Sport définit comme le « CDD spécifique » ou le « CDD sport » (pour mémoire, en Droit du Travail « classique », le CDD est l’exception du CDI et il doit conserver ce statut « d’exception »). 

L’on peut notamment lister dans ces obligations du salarié, la mise à disposition active de la force de travail[1], l’obligation de loyauté à l’égard de son employeur, et enfin es obligations liées à ce que l’on nomme « le commercial » (tenues portées, représentation, conférences et autres évènements). 

Côté employeur, ce sont des obligations classiques telles que fournir du travail, rémunérer le salarié et plus encore assurer sa sécurité sur les lieux de travail. Enfin, au même titre que le salarié, notre employeur doit exécuter le contrat de façon loyale.

Mais la loyauté, qu’est-ce dont en droit ? Et que cela implique-t-il ?

Tout simplement un principe issu du droit des contrats général que l’on retrouve dans le Code Civil à l’article 1104[2]. Par exemple le droit pour le salarié d’obtenir des informations de son employeur lui permettant d’exécuter son contrat sereinement, le droit au respect d’engagements convenus par des avenants etc. 

L’actualité de la semaine passée faisait état d’un « dossier » diffusé par le journal MEDIAPART. L’employeur de M. Mbappé aurait (le conditionnel est de rigueur en l’absence de décision de justice rappelons-le) commandité une « armée numérique » par le biais d’un prestataire afin de dénigrer à souhait des groupes cibles de personnalités. Parmi ces cibles, figurerait Kylian Mbappé. 

Immédiatement, l’opinion s’est emparée de cette information en l’accumulant aux griefs sportifs que M. Mbappé reprocherait à son employeur. Notamment, l’absence de promesses tenues sur des garanties sportives (garanties qui rappelons-le si elles étaient avérées, seraient impossible à stipuler dans un contrat de travail). Par exemple, en droit français un joueur ne peut imposer à son employeur une mention dans un contrat qui stipulerait qu’il doive disputer X matchs minimum dans une saison. 

Mbappé peut-il terminer avant son terme, le CDD signé avec son employeur sur la base de cette affaire « d’armée numérique » ? 

Premier élément de réponse, oui, un salarié peut terminer son contrat avec son employeur mais uniquement dans certains cas légaux que sont : accord des parties (rupture amiable), faute grave, embauche en CDI, cas de force majeure ou encore inaptitude constatée par le médecin. 

Dans quelle mesure ici, la faute grave serait appliquée ?

Premièrement, restons pragmatiques, aucune issue non-négociée n’est envisageable en pareille situation. Un procès, tant par sa longueur que par sa mauvaise publicité est à bannir. 

Il a été évoqué à maintes reprises la possibilité d’une faute grave de l’employeur. Est-ce réellement possible dans cette « affaire ». À priori non. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien de la relation de travail selon la jurisprudence. Toutefois, difficile de tracer une ligne directrice dans les affaires en droit du travail. En effet, la faute s’apprécie « in concreto » soit au cas par cas.

La faute grave est donc une qualification des faits potentiels mais elle n’aurait de sens ici qu’en cas de preuves avérées et surtout, de la démonstration par le salarié d’un préjudice tellement grave qu’il ne puisse maintenir sa relation de travail, même temporairement. À ce titre, on peut imaginer que le commanditaire de cette manigance au sein du club soit évincé, ce qui préserverait la bonne foi de l’entité parisienne.

Deuxièmement, si l’obligation de loyauté était certes mise à mal par une campagne avérée de dénigrement par une armée de faux comptes numériques, la démonstration de cette machination commanditée par l’employeur paraitrait irréalisable en l’état. D’autant que la durée des investigations permettant d’établir une vérité concrète et incontestable est un facteur trop imprécis. Le temps n’est jamais en faveur du football. 

Néanmoins, l’accumulation de nouvelles de presse à caractère juridique telle que l’affaire « armée numérique » ne joue pas en faveur de l’employeur. Cela le met en position à minima d’égalité avec son salarié et a maxima, en position de faiblesse dans une négociation.

Le cas Kylian Mbappé, s’il en existe un, se règlera fort probablement par des discussions et donc par une terminaison du contrat avant le terme d’un commun accord (accord qui doit, rappelons-le toujours intervenir même en cas de transfert de club à club). On aura alors un aperçu de la mesure de ces affaires.


[1] Article 12.3.1.1 CCNS https://www.legifrance.gouv.fr/conv_coll/article/KALIARTI000042104939

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032040772

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