Le CIO face au dilemme de l’exclusion des athlètes russes

par | 17, Oct, 2022

Le CIO face au dilemme de l’exclusion des athlètes russes, un piège à éviter?

1. Le 25 février 2022, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la commission exécutive du CIO a demandé à toutes les fédérations sportives internationales de déplacer ou d’annuler leurs manifestations sportives prévues en Russie ou au Bélarus, pour sanctionner la violation de la Trêve olympique par les gouvernements russe et bélarusse. Elle a demandé également de ne pas déployer le drapeau de ces deux pays, ni de jouer leur hymne national lors des manifestations sportives internationales . Enfin, elle a exprimé son entière solidarité à l’égard de la communauté olympique en Ukraine. Quelques mois plus tard, en juillet 2022, lors de son déplacement en Ukraine, le président du CIO a annoncé la décision de soutenir plus fortement les athlètes ukrainiens, en triplant l’aide financière accordée initialement, pour qu’ils puissent « hisser haut » leur drapeau lors des Jeux olympiques de Paris en 2024, puis ceux de Cortina-Milan en 2026[1]. Thomas Bach a également indiqué que « le moment n’était pas venu » de modifier la position du CIO quant à l’exclusion des sportifs russes et biélorusses de toutes les manifestations sportives internationales. Ces décisions spectaculaires et inédites ont été saluées comme étant en phase avec les trains successifs de sanctions adoptés par les Etats Unis et l’Union européenne à l’égard de la Russie.

2. Cependant, la position ferme et résolue affichée par le CIO semble appelée à s’infléchir. En effet, en visite début octobre à Rome, Thomas Bach a confirmé que l’institution qu’il préside étudie actuellement un possible retour des athlètes russes dans les compétitions internationales. Selon ses déclarations, le CIO doit “penser à l’avenir“, et se projeter sur les Jeux de Paris 2024, pour lesquels certaines épreuves de qualification ont déjà débuté sans les athlètes russes et biélorusses. Tout en refusant l’idée de réintégrer la Russie, il s’agit selon lui « de faire revenir en compétition des athlètes avec un passeport russe qui ne soutiennent pas la guerre »[2], et plus largement de faire en sorte que les Jeux olympiques puissent ressembler les athlètes et les peuples, au-delà de leurs différences et de leurs dissensions. Cette idée a priori généreuse nous paraît à la fois guère réalisable, et dangereuse dans sa conception.

3. Comment faire le tri entre les athlètes russes qui ne soutiennent pas la guerre en Ukraine, et ceux qui y adhèrent ? Certes, la « mobilisation partielle » décrétée par Vladimir Poutine a eu pour effet d’inciter les milliers de mobilisables à fuir leur pays[3], mais on peut penser qu’un grand nombre d’autres n’y sont pas parvenus, notamment du fait de la fermeture progressive des frontières. Parmi eux, on pourrait sans doute trouver les athlètes opposés à la guerre.

L’idée même de cette sélection en fonction de l’opinion des intéressés est rejetée par les autorités sportives russes, pour lesquelles le CIO ne peut pas demander aux athlètes russes de prendre position contre leur pays voire de le trahir, et de renier le principe de neutralité inscrit dans la Charte olympique[4]. Le statut d’athlète neutre qui serait revêtu par les athlètes dissidents est rejeté par les mêmes autorités sportives russes comme infamant. Il va de soi que la proposition ne peut qu’être récusée également par les autorités ukrainiennes, le président Zelensky ayant déclaré en juillet dernier : « On ne peut pas permettre qu’un État terroriste se serve du sport pour faire la promotion de ses intérêts politiques et de sa propagande »[5]. Et de fait, la perspective de réintégration partielle ou totale de la Russie dans le circuit des compétitions sportives internationales ne pourrait qu’être perçue par Moscou comme un quitus au regard de ses agissements, et représenter une victoire symbolique essentielle.

4. La question se pose dès lors de savoir si le CIO est en mesure de concilier l’inconciliable, à savoir le maintien de l’apolitisme qui constitue son « mythe fondateur », la poursuite de son projet universaliste de concorde entre les athlètes des différentes nations, et le maintien des sanctions sportives contre la Russie. L’intensification de la guerre d’agression menée par Moscou, avec la menace de recours à l’arme nucléaire de plus en plus régulièrement brandie, ne plaide évidemment pas pour une levée des sanctions, notamment sportives. La guerre n’a certes pas été déclenchée par les athlètes russes, et bon nombre d’entre eux sont probablement lourdement pénalisés par les interdictions dont ils font l’objet. Mais s’efforcer d’identifier ceux qui sont opposés au conflit pour les accueillir au sein des grandes compétitions à venir, et en particulier aux JOP de Paris 2024, ne pourrait qu’entraîner confusion et ressentiment, tout en étant ressenti comme une ingérence par les autorités russes. Non seulement le front uni adopté par le mouvement olympique dans la mise en oeuvre des sanctions sportives contre la Russie et ses athlètes doit être maintenu, mais il mériterait même d’être renforcé. On peut rappeler à cet égard que le CIO compte toujours en son sein deux membres russes, et deux autres comme membres de ses commissions[6].

Quant à l’universalisme olympique, il doit résider avant tout dans la défense des idéaux de paix et de construction d’un monde meilleur, ce qui implique d’écarter les personnes ou les Etats qui les bafouent ouvertement, et non pas de tenter de les intégrer à tout prix, au risque d’un grand écart périlleux. La guerre en Ukraine, et plus largement le contexte géopolitique mondial actuel, oblige à clarifier les positions et à faire preuve de cohérence. Il faut dès lors que le CIO admette avec réalisme que l’apolitisme qu’il promeut peut trouver des limites, et que les idéaux de fraternité et de concorde puissent ne pas être partagés par tous, dans un monde en proie à des tensions croissantes.


[1]Fixé au début de l’invasion russe en Ukraine à 2,4 millions d’euros, le fonds d’aide est passé ainsi à 7,2  millions. 

[2]    Selon les propos relatés par l’excellent site d’information en ligne Francs Jeux.

[3]    Les média évoquent en octobre le chiffre de 700 000 expatriés vers la Finlande, la Géorgie, l’Azerbaïdjan ou d’autre pays.

[4]    Selon le site Francs Jeux, le ministre russe des Sports, Oleg Matytsin, a déclaré que la proposition de Thomas Bach « contredit les principes olympiques, car la tâche du mouvement olympique international est de garantir l’égalité d’accès des athlètes aux Jeux olympiques, quelles que soient leurs opinions, leurs traditions, leur foi ou leur citoyenneté ». Pour le président du comité olympique de Russie, Stanislav Pozdnyakov, « les athlètes russes seraient contraints de violer les lois de leur pays et la Charte olympique ».

[5]    Après avoir rappelé alors que quatre-vingt-neuf sportifs et entraîneurs Ukrainiens avaient péri au combat, et que treize autres avaient été capturés.

[6] Par ailleurs, la très controversée fédération internationale de boxe (AIBA) est toujours présidée par un ressortissant russe, et persiste à admettre des boxeurs russes et biélorusses dans ses compétitions. De plus, malgré la recommandation du CIO de suspendre les athlètes et dirigeants russes du mouvement sportif, Vladimir Lisin, un oligarque proche du Kremlin, préside toujours la Fédération internationale de tir.

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