L’absence de signature dans un mandat d’agent conclu par voie électronique peut être compensée par l’exécution volontaire des parties.

par | 2, Nov, 2020

Dans un arrêt du 7 octobre 2020 (Cass. 1re civ., 7 oct. 2020, n° 19-18.135), la Cour de cassation vient mettre fin à l’affaire Aubameyang, débutée en 2013 et relative au mandat d’agent qui avait été conclu pour permettre le transfert du joueur. Nous avons repris en détail la solution dégagée par la première Chambre civile.

Le 27 juin 2013, par un échange de courriels, l’AS Saint-Etienne donne mandat au gérant de la société AGT UNIT, titulaire d’une licence d’agent sportif, afin de réaliser le transfert de Pierre-Emerick Aubameyang au Borussia Dortmund. Le mandat, qui s’étend jusqu’au 29 juin 2013 à minuit, a pour objet la négociation du transfert du joueur dans le club de Bundesliga, pour le compte de l’ASSE, ainsi que le paiement d’une commission à l’agent. Ce dernier parvient à obtenir une proposition du club allemand et la transmet au club français, en lui demandant également de prolonger le mandat jusqu’au 30 juin à 18 heures afin de finaliser la mutation. Cette dernière requête reste cependant sans réponse, et l’ASSE conclut le transfert le 30 juin 2013, sans la présence de l’agent sportif.

La société AGT UNIT, qui estime que la commission lui est due au titre du mandat, assigne le club en paiement de celle-ci (dont le montant dépasse les 750 000 euros !) ainsi qu’en allocation de dommages-intérêts. La problématique juridique se concentre alors sur le fait de savoir si le mandat, matérialisé par les échanges de plusieurs courriels, était valable ou non. Si oui, alors la commission est effectivement due à l’agent sportif. Dans le cas contraire, l’ASSE ne lui doit rien.

La première réponse fut apportée par la Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 16 novembre 2016 (CA Lyon, 10 nov. 2016, n° 15/06511, AGT Unit). A l’époque, les juges du fond avaient débouté la société AGT UNIT au motif que les différents courriels dont elle se prévalait ne regroupaient pas dans un seul document les mentions obligatoires à la formation du mandat. Les juges estimaient alors que celui-ci n’était pas conforme à l’article L.222-17 du code du sport, qui requérait, selon eux, la formalisation d’un écrit unique.

Inévitablement, la société formait un pourvoi en cassation. La 1ère Chambre civile, dans un arrêt du 11 juillet 2018 (Cass. 1re civ., 11 juil. 2018, n° 17-10.458), vint casser l’arrêt d’appel en affirmant que « l’article L. 222-17 du code du sport n’impose pas que le contrat dont il fixe le régime juridique soit établi sous la forme d’un acte écrit unique ». La solution semblait acquise pour la Cour d’appel de renvoi qui n’aurait plus qu’à appliquer cette décision. Et pourtant…

La Cour d’appel de Grenoble, statuant sur renvoi le 16 mai 2019 (CA Grenoble, 16 mai 2019, n° 18/04025, SARL AGT Unit), vint de nouveau débouter la société AGT UNIT de ses demandes. Cette fois-ci, les juges du fond relevaient que les échanges de courriels entre l’agent sportif et l’ASSE ne contenaient aucune signature électronique, condition pourtant requise par l’ancien[1] article 1301-4 du code civil pour parfaire à la validité d’un écrit électronique. Une nouvelle fois, la Haute-Juridiction était appelée à se prononcer sur cette affaire.

Dans un arrêt rendu le 7 octobre dernier, elle vient de nouveau donner raison à la société AGT UNIT. Sa solution, claire et concise, reprend les différentes étapes de son raisonnement juridique :

  • 1° L’exigence d’un écrit: La Cour rappelle que, selon l’article L.222-17 du code du sport, « le contrat en exécution duquel l’agent sportif exerce l’activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un des contrats mentionnés à l’article L. 222-7 du code du sport est écrit. ».
  • 2° L’équivalence de l’écrit électronique : selon l’ancien article 1108-1 du code civil, « Lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte juridique, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1316-1 et 1316-4».
  • 3° La validité de l’écrit électronique: selon l’ancien article 1316-1, « L’écrit sous forme électronique vaut preuve à la condition que son auteur puisse être dûment identifié (…) ». Enfin, selon l’ancien article 1316-4, « La signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie celui qui l’appose et manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte et lorsqu’elle est électronique, elle consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache ».

On retire de ces 3 étapes que le mandat de l’article L.222-17 du code du sport doit être passé par écrit (sous-entendu un écrit « papier ») pour être valable. Mais, l’ancien article 1108-1 du code civil admet qu’un écrit électronique a la même valeur qu’un écrit papier s’il satisfait aux conditions des anciens articles 1316-1 et 1316-4 du même code. Selon ceux-ci, l’écrit électronique doit notamment contenir une signature électronique pour être valable. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce, et c’est justement ce que retenait la Cour d’appel : sans signature électronique, les exigences de l’écrit électronique ne sont pas remplies, donc celui-ci n’a pas la même valeur qu’un écrit papier. Par conséquent, le mandat est non-conforme à l’article 222-17 du code du sport (car non passé par écrit). Cette non-conformité équivalant à une absence de mandat, les juges du fond en déduisaient que la commission n’était pas due.

Mais la Cour de cassation vient contourner cette problématique en s’appuyant sur une quatrième et dernière étape :

  • 4° La confirmation de l’acte par les parties: selon l’ancien article 1338 al. 3 du code civil, visé par la Haute-Juridiction pour parfaire sa cassation, « La confirmation, ratification, ou exécution volontaire dans les formes et à l’époque déterminées par la loi, emporte la renonciation aux moyens et exceptions que l’on pouvait opposer contre cet acte, sans préjudice néanmoins du droit des tiers. ». Comment comprendre cette dernière étape ?

Rappelons tout d’abord que la confirmation est « l’acte par lequel celui qui pourrait se prévaloir de la nullité y renonce » (art. 1182 al. 1er du code civil). En d’autres mots, il s’agit ici de la manifestation de volonté par laquelle une personne valide rétroactivement un acte qui aurait pu être entaché de nullité relative. Ce faisant, elle accepte de faire disparaître les vices dont une obligation est entachée et renonce ainsi à agir par voie de nullité. Objectivement, le contrat reste défectueux mais il ne peut plus être remis en cause[2].

L’article 1182, al. 3 du code civil prévoit quant à lui que « l’exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité, vaut confirmation » (on retrouve ici, en substance, l’idée de l’ancien article 1338 al. 3).

Or, en l’espèce, la Cour estime justement que les parties ont exécuté volontairement le mandat qui s’était formé par des échanges de courriels le 27 juin 2013, tout en sachant qu’il n’y avait aucune signature électronique. Cette exécution volontaire s’illustrait notamment par la transmission du mandat à la Fédération Française de Football et par la prorogation de celui-ci, prévue dans les courriels, jusqu’au 30 juin, 18 heures.

Ainsi, la Haute-Juridiction conclut son cheminement : « si la signature électronique constitue l’une des conditions de validité du contrat, son absence, alors que ne sont contestées ni l’identité de l’auteur du courriel ni l’intégrité de son contenu, peut être couverte par une exécution volontaire du contrat en connaissance de la cause de nullité, valant confirmation ».

[1] Les faits sont antérieurs à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

[2] Dalloz, Fiches d’orientation, Confirmation.

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