Sentence Matuzalem – TAS, 19 mai 2009

par | 17, Mai, 2022

Arbitration CAS 2008/A/1519 FC Shakhtar Donetsk v. Matuzalem Francelino da Silva & Real Zaragoza SAD & Fédération Internationale de Football Association (FIFA).

La sentence Matuzalem est une décision emblématique prononcée par le Tribunal arbitral du sport (TAS) le 19 mai 2009. 

Tout comme la sentence Webster, elle porte sur les conséquences et sanctions attachées à la résiliation unilatérale d’un contrat de travail sans juste motif, sur le fondement de l’article 17 du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) de la FIFA. La décision a entraîné un important revirement de jurisprudence concernant le calcul de l’indemnité devant être accordée au cocontractant victime de cette résiliation, en contredisant le raisonnement réalisé par les arbitres du TAS dans la sentence Webster. 

Dans les faits, le joueur professionnel brésilien Matuzalem Francelino da Silva (ci-après « le Joueur ») avait été transféré à l’été 2004 au club Ukrainien du Shakhtar Donetsk et s’était engagé pour une durée de cinq ans. En juillet 2007, alors qu’il était devenu un élément clé de l’équipe, le Joueur a subitement résilié unilatéralement son contrat pour s’engager en faveur du club Espagnol Real Saragosse. La valeur des deux dernières années de son contrat (correspondant aux salaires qui auraient dû être versés au joueur) était de 1,2 millions d’euros. En juillet 2008, le Joueur a signé un contrat avec la Lazio de Rome sous la forme d’un prêt avec option d’achat à hauteur de 14 millions d’euros. Le Club Ukrainien s’estimant lésé, a intenté une action contre le Joueur devant la FIFA puis devant le TAS. Le Club réclamait le versement par le Joueur de la somme de 25 millions d’euros à titre de dédommagement, sur le fondement de la clause 3.3. du contrat de travail du Joueur qui stipulait que : « pendant la durée de validité du Contrat, le Club s’engage – dans le cas où le club reçoit une offre de transfert d’un montant de 25 000 000 € ou [plus] – à organiser le transfert dans le délai convenu ». Nous verrons que ces faits revêtent une importance toute particulière pour le calcul de l’indemnité versée au club du Shakhtar Donetsk.

L’article 17 du RSTJ de la FIFA est un article prévoyant les sanctions financières et sportives auxquelles s’expose un club ou un joueur professionnel qui résilie unilatéralement son contrat de travail sans juste cause. En vertu de l’article 17.1, la partie coupable de cette résiliation est dans tous les cas tenue de verser une compensation financière à l’autre partie. De plus, dans le cas d’une résiliation par le Joueur, l’article 17.2 prévoit que le nouveau club du Joueur est présumé responsable de la résiliation et sera de ce fait tenu solidairement au paiement de l’indemnisation. 

Il est probable que le joueur ait reçu l’information qu’il pourrait mettre fin à son contrat prématurément en ne devant payer à son ancien club que le montant des salaires qui lui était dû au titre de ces deux dernières années de contrat, conformément à l’application stricte opérée par le TAS de l’affaire Webster (1). De plus, la  » période protégée  » de son contrat ayant expiré, aucune sanction sportive ne pouvait être prise à son encontre (2). 

À l’occasion d’une décision jugée comme « équitable » par les observateurs, le TAS s’est attelé à étudier et prendre en considération un maximum d’éléments objectifs pertinent afin de déterminer l’indemnité qui devrait être versé par le Joueur (3). 

Il a premièrement interprété la clause 3.3. du contrat comme une clause « de transfert » et non comme une clause de dédommagement (4), en raison de sa formulation. Cette qualification revêt une importance capitale puisque par la stipulation d’une clause de dédommagement valide, les parties déterminent à l’avance le montant du dédommagement qui devra être versé en contrepartie de la résiliation sans juste cause. Le Joueur n’aurait alors eu d’autres choix que de régler les €25 millions au Shakhtar.

Deuxièmement, les arbitres se sont basés sur le principe de l’intérêt positif afin de déterminer les différents critères objectifs pris en considération pour déterminer le montant approprié de la compensation. En droit suisse, le principe de l’intérêt positif permet de déterminer le montant qui place la partie lésée dans la même position qu’elle aurait eue si le contrat avait été exécuté correctement. Le TAS a considéré que la rémunération prévue par le contrat résilié fournissait une première indication de la valeur des services du joueur pour le club employeur. En second lieu, le TAS a étudié à quel montant les clubs tiers valorisent les services du joueur. Sur ce point, le Panel a considéré que la rémunération prévue par le nouveau contrat donnerait une indication sur la valeur marchande des services du joueur. Toutefois, la valeur des services d’un joueur ne se reflète que partiellement dans la rémunération qui lui est due, puisqu’un club doit également effectuer d’autres dépenses pour obtenir ces services, notamment le coût de l’opération de transfert. Par conséquent, le TAS a également pris en considération l’opération de prêt entre Saragosse et la Lazio qui prévoyait une option d’achat pour un montant de € 14 millions. 

Sur le fondement de ces différents critères, le TAS a accordé au Shakhtar la somme de €11,258,934 au titre de la « valeur des services perdus » en conséquence de cette résiliation sans juste cause. En complément, en raison du mauvais timing sportif de sa rupture de contrat (le Joueur, qui était alors capitaine de l’équipe ukrainienne, avait résilié seulement quelques semaines avant le début de la phase de qualification de la Champions League, auquel le Shakhtar participait), le Panel a condamné le Joueur à payer l’équivalent de 6 mois de salaires. 

La justification de cette décision tient à la volonté du TAS de préserver le principe de stabilité contractuelle. Principe cardinal de la FIFA, ce principe qui découle directement du principe international de pacta sunt servanda entend assurer que les parties aux contrats de travail de football professionnel entendent respectent leurs obligations contractuelles en exécutant le contrat dans son intégralité et jusqu’à son terme. Ainsi, en fixant une indemnité particulièrement élevée à l’encontre du Joueur, le Panel a souhaité endiguer la pratique en opportunité consistant à rompre unilatéralement le contrat de travail parce que le joueur ou le club pensent pouvoir en tirer un meilleur profit que s’ils avaient respecté leur contrat (« L’article 17 de la RSTJ de la FIFA ne donne à aucune partie un laisser-passer ou le droit de violer unilatéralement un accord existant ») (5).

Par ailleurs, cette sentence a énoncé une distinction claire entre les clauses dites d’indemnisation et les clauses de « transfert », ce qui a conduit les clubs à définir avec plus de précision la volonté des parties, afin de s’assurer que la qualification juridique faite par un juge ne soit pas contraire à l’intention initiale des parties. À ce titre, l’Auteur recommande aux clubs de mentionner expressément dans la clause d’indemnisation que la somme indiquée correspond à l’indemnisation qui sera due en cas de résiliation unilatérale sans juste cause par l’une ou l’autre des parties, et ce conformément aux prescriptions de l’article 17 du RSTJ de la FIFA. Enfin, cette décision a contribué à une révision substantielle de l’article 17 du RSTJ afin de déterminer plus précisément les critères et éléments devant être pris en compte pour la détermination du montant de la compensation financière en cas de résiliation sans juste cause. À présent en effet, l’article 17.1, alinéa 2 énonce une grille de calcul beaucoup plus détaillée pour assister les juges sportifs dans le calcul de la compensation (6)

Pour conclure, le TAS a souhaité dans cet arrêt revenir sur la jurisprudence Webster, qui offrait aux joueurs la possibilité de résilier à tout moment leurs engagements contractuels à moindre coût. Cette dernière, si elle avait perduré, aurait porté une atteinte certaine au principe cardinal de stabilité contractuelle, sur lequel est basé l’ensemble de la règlementation établie par la FIFA. Ainsi, en faisant le choix d’inclure la valeur de transfert du Joueur dans le montant de la compensation qui était due au Shakhtar, l’arrêt Matuzalem a opéré « un retour à l’équilibre » souhaitable concernant les conséquences de la résiliation unilatérale du contrat de travail entre un joueur et un club professionnel.

  1.  CAS 2007/A/1298, 1299 & 1300 Heart of Midlothian v. Webster & Wigan Athletic FC
  2.  Concept juridique développé par la FIFA pour renforcer la protection de la stabilité contractuelle, la « période protégée » est une période de temps au cours de laquelle, en fonction de l’âge du joueur au moment de la signature du contrat, le joueur peut rompre unilatéralement son contrat sans recevoir de suspension (i.e. sanction sportive)
  3.  Et son nouveau club, tenu solidairement.
  4.  En anglais, « buy out clause » or « indemnification clause ». 
  5.  Arrêt Matuzalem, CAS 2008/A/1519, para. 63. 
  6.  Article 17.1, alinéa 2 : « Eu égard aux principes énoncés, l’indemnité due à un joueur doit être calculée comme suit : (…) ». 

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