Rencontre avec William Sternheimer, avocat spécialisé dans l’arbitrage et plus précisément dans le contentieux sportif au sein du cabinet Morgan Sports Law à Lausanne (Suisse). Ancien Secrétaire Général Adjoint du Tribunal Arbitral du Sport, il cumule une expérience de plus de treize ans et 900 procédures devant l’institution d’arbitrage susvisée avec une dominante pour les dossiers liés au football. Également membre de l’équipe pédagogique au sein des Masters de Droit du Sport à l’Université d’Aix Marseille et de Panthéon Sorbonne, William livre pour Jurisportiva un bout de son expérience dans l’arbitrage, ainsi que son opinion sur la légitimité et l’avenir du TAS, avant d’évoquer avec vous quelques sujets juridico-sportifs d’actualité. Entretien.
Bonjour William. Peux-tu te présenter dans un premier temps?
Bonjour, je suis William Sternheimer, avocat. J’ai travaillé durant trois ans au sein du département arbitrage du cabinet Gide Loyrette Nouel à Paris, avant de déménager en Suisse à Lausanne pour travailler au Tribunal Arbitral du Sport (TAS), entre janvier 2009 et décembre 2018. J’y ai exercé les fonctions de Conseiller puis de Responsable de l’arbitrage et enfin Secrétaire Général adjoint. En 2019 j’ai rejoint le cabinet Morgan Sports Law comme associé pour y ouvrir le bureau Lausannois, et être en charge des dossiers liés au football.
Quel est ton parcours universitaire?
J’ai fait toutes mes études de droit à l’Université de Paris II (Panthéon-Assas). J’ai d’abord effectué mon Master 1 en Droit Privé. J’ai ensuite effectué deux Master 2, l’un en Common Law sous la direction d’Élisabeth Zoller et l’autre en Contentieux, Arbitrage et Modes Alternatifs de Règlement des Conflits sous la direction de Charles Jarrosson.
Peux-tu présenter brièvement le cabinet Morgan Sports Law au sein duquel tu travailles?
Morgan Sports Law est un cabinet qui a été fondé par Mike Morgan il y a 9 ans de cela, en 2013. C’est un cabinet spécialisé uniquement dans le règlement des contentieux sportif (litiges devant les fédérations nationales et internationales, le TAS et autres institutions d’arbitrage…). Nous avons une expertise particulière pour les dossiers anti-dopage, de football et pour les sports équestres.
L’équipe du cabinet est aujourd’hui composée d’une dizaine d’avocats avec 3 associés, 5 collaborateurs et 3 trainee solicitors à Londres. Nous avons aussi 2 analystes scientifiques pour traiter en interne des dossiers anti-dopage.
Nous avons des bureaux à Londres, à Lausanne où je travaille, et à New York. Nous ne sommes pas installés à Paris car le droit du sport en France est légèrement particulier, et nous ne traitons que de dossiers internationaux.
Quels sont les litiges que tu as le plus souvent retrouvés devant le TAS?
Durant dix années au TAS, j’ai suivi environ 940 procédures d’arbitrage dont plus de 700 étaient liées au football. J’ai néanmoins suivi beaucoup de dossiers anti-dopage et des dossiers concernant d’autres sports que le football.
Mon activité concernait essentiellement des litiges de droit du travail entre clubs et joueurs (notamment des ruptures liées aux contrats de travail des joueurs, entraîneurs…), mais aussi des dossiers disciplinaires ou de gouvernance.
Beaucoup d’acteurs du sport doutent de l’indépendance et de l’impartialité du TAS. Quel regard portes-tu sur cela ?
J’ai longtemps travaillé au TAS donc je connais bien le système de l’intérieur. Il y a très peu de questions d’indépendance et d’impartialité qui se posent au TAS. Dans la plupart des dossiers, les arbitres qui sont désignés par les parties prenantes, lorsqu’ils arrivent aux audiences, ne savent plus par qui ils ont été désignés. Ils arrivent ainsi avec un regard neutre sur les dossiers. Toutefois, le « souci » avec l’arbitrage est que les affinités des arbitres sont connues et les parties choisissent en fonction des convictions de ces derniers. Je ne sais pas s’il s’agit véritablement d’une question d’indépendance ou d’impartialité dans la mesure où de nombreux gardes-fous sont mis en place. À titre d’exemple, chaque arbitre signe une déclaration d’indépendance et d’impartialité. Leur attention est toujours apportée sur les directives IBA en matière de conflits d’intérêts. Le Greffe du TAS est aussi là pour suggérer aux arbitres des situations potentiellement délicates. Il y a donc une véritable démarche active de protection de cette indépendance. Cependant, comme dans tout système, il peut y avoir des arbitres qui sont moins indépendants que d’autres. Mais, globalement, je trouve le TAS plus indépendant que d’autres institutions d’arbitrages.
J’entends et je comprends les doutes. Il n’y a probablement pas assez de publicité sur cette indépendance et impartialité du TAS, ce qui aboutit malheureusement à des critiques infondées auxquelles on ne répond pas.
4 clubs russes ont récemment déposé un recours devant le TAS après leur exclusion des compétitions européennes par l’UEFA pour la saison 2022-2023. Penses-tu que le sport doit être apolitique?
Je pense que le sport doit clairement rester apolitique. Sans évoquer mes convictions personnelles, je peux comprendre que certaines personnes n’aient pas envie de défendre un pays, ou qu’ils n’aient pas envie de permettre à un pays de faire de la publicité ou encore que le pays, en l’occurrence la Russie, ne soit autorisée à concourir que sous barrière neutre ou qu’il n’y ait pas de drapeaux russes dans un stade.
En revanche, exclure purement et simplement des compétitions, je suis contre cela car pour moi la politique n’a pas sa place dans le monde du sport, même si j’ai bien conscience qu’il ne l’est plus aujourd’hui : il n’y a qu’à regarder la position de la FIFA récemment contre les clubs russes, l’équipe nationale de Russie avec une décision initiale durcie par la suite. L’opinion publique joue un rôle important.
Penses-tu que l’arbitrage dans le sport est un mode de résolution des litiges qui a de l’avenir?
Énormément de questions se sont posées à ce propos depuis la création du TAS en 1984. Beaucoup d’acteurs du sport se sont demandés si l’arbitrage était un mode adapté ou non. Parfois se posait la question de la transformation du TAS en une Cour Internationale de Justice du Sport avec l’implication des gouvernements.
Selon moi, l’arbitrage est efficace. C’est un mode de résolution des litiges avec de la flexibilité qu’il n’y aurait pas forcément avec un système de Cour Internationale. Je pense que l’arbitrage pourrait toutefois évoluer. L’arbitrage peut rester le mode privilégié de résolution des litiges sportifs à condition qu’il évolue avec les besoins du secteur du sport. Un exemple est le Tribunal Arbitral du Basket (BAT), qui a adopté un règlement efficace et moins coûteux. En résumé, à mon sens, oui l’arbitrage a de l’avenir dans le sport.
Des doutes apparaissent de manière récurrente sur la légitimité de la lex causae devant le TAS. Es-tu d’accord avec cela?
En tant qu’avocat français qui applique le droit suisse depuis plus de treize ans, ce n’est pas une question facile à laquelle répondre. Si l’on regarde les arbitrages en matière d’investissement (entre une société et un État), tout l’enjeu du dossier est de déterminer le droit applicable. Il y aura des écritures de deux cent pages dont plus de 80% reposent sur le droit applicable.
Au TAS, la règle est claire. En matière ordinaire, c’est le droit choisi par les parties au contrat. Autrement, c’est le droit suisse à titre supplétif.
En matière d’appel, c’est la réglementation de la fédération et à titre supplétif, le droit du lieu où est basé le siège de cette fédération. 90-95% des fédérations internationales ont leur siège en Suisse. Ainsi, de fait, le TAS appliquera le droit suisse à titre supplétif. Cela permet une certaine homogénéité du système. Puis les parties ont toujours la possibilité de prévoir un autre droit dans le contrat. Les arbitres prennent toujours en considération le droit choisi par les parties. La réglementation et le droit suisse vont s’appliquer pour combler les lacunes du règlement mais quand il s’agira d’interpréter un contrat, si le contrat prévoit un droit national, les arbitres appliqueront ce droit national.
Donc oui il y a une certaine légitimité de la lex causae dans le sens où elle permet une homogénéité.
Mais encore une fois, chaque partie est libre d’agir comme elle le veut. Lors de mon passage chez Gide, je n’ai pas vu un seul contrat commercial qui ne prévoyait pas le droit applicable. En droit du sport, a contrario, il n’y a quasiment aucun contrat qui prévoit quel est le droit applicable.