Avocate en droit du sport et des affaires, mais également membre de plusieurs instances sportives et disciplinaires, Maître Joëlle Monlouis ne lève jamais le pied. Intervenante en Droit du Sport auprès d’Universités et de Grandes Écoles, elle est spécialiste du développement du sport, et notamment du football, sur le continent africain. Jurisportiva a eu le plaisir d’aller à sa rencontre afin d’échanger sur son quotidien.
Bonjour Maître. Pouvez-vous présenter votre parcours, juridique et sportif ?
Concernant mon parcours sportif, j’ai principalement fait beaucoup d’athlétisme lorsque j’étais plus jeune, notamment de la vitesse et du triple saut. J’ai été championne départementale, régionale, et je suis allée jusqu’aux championnats de France. L’athlétisme a donc été mon premier « amour » dans le sport, et aujourd’hui encore je ressens beaucoup de sensations lorsqu’il y a de grands événements, lorsque j’entends le bruit du starter, ça prend aux tripes comme on dit.
Pour mon parcours juridique, j’ai quasiment fait tout mon cursus à Paris I Panthéon-Sorbonne, à l’exception de deux années : une où je suis partie en Erasmus à la fin de ma maîtrise à l’ULB (Université Libre de Bruxelles), et une autre que j’ai réalisée à Montpellier.
J’ai fait un 3ème cycle en droit des affaires, et un MBA en droit des affaires, toujours à Paris I.
Vous n’avez donc pas de formation spécifique en droit du sport, à quel moment de votre carrière avez-vous été amenée à pratiquer dans ce domaine ?
Alors j’ai effectivement un cursus très « affairiste ». La négociation, le droit des contrats, c’est ce que je préfère. Après, le droit du sport est venu à moi : j’ai eu des clients avec certaines problématiques qui m’ont amenée au droit du sport. J’avais en plus à l’époque un cousin qui était basketteur professionnel et qui évoluait en NBA à cette époque, je me suis donc intéressée à ces différents sujets, et c’est comme ça que j’ai découvert le droit du sport.
J’ai ensuite appris sur le terrain, en étant présente au niveau des instances sportives, notamment à la Ligue de Football de Paris Ile-de-France dont je préside la Commission d’appel en matière disciplinaire. Une chose en entraînant une autre, les dossiers et les rencontres m’ont beaucoup appris, ce qui m’a permis de développer plus encore ma curiosité et mon caractère autodidacte, deux aspects importants et encore plus quand on est une femme.
Vous êtes également arbitre au Tribunal disciplinaire de l’IAAF, Membre de la Commission Juridique et Discipline de la Ligue Professionnelle de Basket-Ball Masculin (LNB), et vice-présidente de la Ligue de Football de Paris IDF, qu’est-ce-que ces fonctions vous apportent dans votre métier et dans la vie de tous les jours ?
Effectivement, et je suis également devenue arbitre au sein de Sport Resolutions qui est, à côté du Tribunal arbitral du sport (TAS), le second organe d’arbitrage international dans le sport. Il valorise particulièrement l’aspect « indépendance » de son organisation et est basé à Londres.
Toutes ces activités viennent compléter à la fois mon expertise ainsi que ma connaissance du secteur, notamment dans la manière dont je vais pouvoir accompagner mes clients. J’ai la chance d’un côté de pouvoir être arbitre, ou présidente de commission, et d’un autre d’avoir la casquette d’avocat, sur le terrain, pour pouvoir aiguiller mes clients au mieux et de les assister de façon plus pertinente. Le fait de connaître aussi bien le côté institutionnel que la réalité du terrain me renforce, et ma pratique s’en trouve particulièrement améliorée.
Vous verra-t-on un jour en tant qu’arbitre au TAS ?
Pour le moment ce n’est pas prévu, qui sait ? (rires). Ce qui m’intéresse, c’est ce que je fais actuellement, c’est-à-dire aller au TAS – en qualité d’avocat – pour accompagner mes clients.
Vous êtes avocate mandataire sportif depuis 2012. Aujourd’hui, l’intermédiation représente-t-elle une part importante de votre travail ?
Je dirai que non. A un moment cela l’a été, mais en réalité ça dépend des périodes. Parfois je suis tranquille, je me dis que je ne vais pas faire grand-chose durant tel ou tel mercato, et d’un seul coup on m’appelle pour me partager des besoins, et là la machine s’emballe (rires). D’autres fois au contraire, on est « sur le pont », et finalement on a des deals qui ne se font pas de la meilleure des manières, donc c’est assez fluctuant. Après, l’intermédiation constitue vraiment un accessoire à ma profession d’avocat, qui reste mon activité principale.
Au vu de votre implication dans le sport en Afrique, est-ce-que en devenant mandataire sportif, vous avez été animée par le souhait d’aider les joueurs africains à “s’imposer” en Europe et à éviter les rencontres opportunistes de nombreux agents ?
C’est le fait d’être avocate, plus que mandataire sportif, qui va orienter mes combats.
Effectivement, le côté « conseil et accompagnement » est particulièrement important sur le continent africain, notamment parce qu’il y a une vraie méconnaissance et qu’il peut y avoir des prédateurs, aux multiples visages. Par exemple, dans une de mes affaires en cours, c’est le club lui-même qui ne règle pas les salaires et qui fait pression sur le joueur, qui est mon client.
Avec les joueurs africains, j’ai vraiment l’impression de créer un lien, d’être une passerelle pour eux, et de faire en sorte que les choses qui étaient mal parties se finissent finalement bien, et ce n’est pas toujours évident !
Bien entendu, ma connaissance globale de l’écosystème du football africain, me permet aussi d’intervenir du côté des institutionnels et des clubs.
Que pensez-vous de la volonté d’anciennes stars du sport africain, notamment du football, comme Didier Drogba et Samuel Eto’o, de s’impliquer dans la direction de leur fédération nationale ?
S’il y a des compétences qui sont présentes et qui peuvent aider la Fédération concernée à se développer, à aller vers le haut, alors pourquoi s’en priver ? Nous en avons un bel exemple avec Samuel Eto’o, élu Président de la Fédération camerounaise de Football en décembre dernier.
Ces anciens joueurs ont, bien entendu, la compétence sur le terrain, c’est certain, après ils ont également le réseau et les contacts pour faire venir de nouveaux sponsors, de nouveaux capitaux et mettre en lumière leurs fédérations, alors pourquoi pas !
Ce qui est très intéressant, c’est que dans les deux cas cités il s’agit de profils jeunes, et ça c’est important. Cela va permettre aux fédérations concernées de se renouveler, d’avoir des idées nouvelles, en termes de stratégie notamment, et de coller un peu plus à ce qui se fait dans les meilleures organisations sportives pour ensuite l’adapter en fonction des contraintes locales. Vouloir aider sa fédération de rattachement, c’est donc, en définitive, une très bonne chose pour moi. Après, il ne faut pas que cette implication soit faite dans leur propre intérêt. Mais en l’espèce, pour ces deux personnalités et au vu de leurs programmes, cela ne semble pas être le cas. Ils sont, au contraire, entre de bonnes mains !
A l’heure où certains États bafouent encore les droits de l’Homme, le sport est parfois mis en avant par ceux-ci pour “redorer” leur image, on parle alors de « sport washing ». Pensez-vous que cette pratique permettra encore longtemps de couvrir certains abus ?
C’est une problématique qui n’est malheureusement pas nouvelle et dont le développement tend à s’accélérer.
Dans cette équation, il y a , d’une part, les droits de l’Homme et le juridique, et, d’autre part, les enjeux politiques et économiques qui pèsent particulièrement lourds dans la balance.
La prise de conscience doit être l’affaire de l’ensemble des acteurs du monde du sport (organisateurs, institutionnels, participants, etc.), chacun ayant sa part de responsabilité.
En définitive, s’il n’y a pas la volonté réelle et commune d’avancer et de faire bouger les choses, le droit ne restera qu’un outil impuissant face à l’imposante puissance économique et aux enjeux politiques qui phagocytent absolument tout.
Pour autant tout n’est pas perdu, le simple fait de mettre en lumière ces situations, de mettre en avant que les droits de l’Homme sont bafoués, de demander et d’obtenir, par exemple, l’amélioration des conditions de celles et ceux qui travaillent à la préparation des évènements majeurs est une 1ère victoire importante pour rétablir l’équilibre à mon sens.
Depuis plusieurs décennies, on constate que le sport féminin se développe, indéniablement, mais sa médiatisation crée encore de nombreux débats. Nous l’avons vu par exemple lors des derniers JO, lorsque le journal l’Équipe a décidé de faire sa Une entière sur l’arrivée de Messi au PSG, plutôt que sur l’équipe de France féminine de handball, sacrée championne olympique la veille. Est-ce que ce choix, qui est un exemple parmi tant d’autres, vous paraît normal ? Est-ce qu’il y a selon vous une sous-médiatisation du sport féminin ? Constatez-vous des efforts ces dernières années ? Que pourrait-on faire pour faire évoluer cela ?
En fait, on retrouve ici l’importance de la puissance économique. Ce qui différencie ces deux événements, c’est la puissance économique du football, et encore plus celle de Messi. On parle de l’un des deux joueurs de football les plus importants dans le monde.
Après, il y a effectivement une sous-médiatisation du sport féminin, même si l’Équipe s’est finalement décidé à ouvrir sa « Une » à plusieurs reprises au Handball féminin. C’est notamment la raison pour laquelle avaient été mis en place en 2014, avec le concours du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), les 24 heures du sport féminin1, qui sont ensuite devenues les 4 saisons du sport féminin2. Cela permettait, pendant 24 heures, de mettre en lumière le sport féminin. Je pense que ce dispositif a été un formidable détonateur pour l’amélioration de la médiatisation du sport féminin, ponctué par ce qui a été un accélérateur phénoménal à mon sens : la Coupe du monde de Football 2019. A l’époque, c’est Brigitte Henriques qui a piloté tant la compétition que son environnement au titre desquelles il y a eu des centaines d’actions visant la promotion du football féminin dans tous les territoires, en particulier les quartiers populaires. Et ce fut une véritable réussite ! La FIFA, portée par Fatma Samoura, avait donné un certain nombre d’objectifs, notamment en termes de médiatisation et de popularisation de l’événement, et la France a parfaitement réussi à relever le challenge.
A l’époque, je faisais déjà partie du club des 100 femmes dirigeantes de la FFF et nous étions intervenues à différents moments de la Coupe du monde. Je me souviens que, pendant l’événement, on a vraiment senti que quelque chose se passait, que les lignes bougeaient. On entendait beaucoup de personnes dire que c’était génial, qu’ils ne s’attendaient pas à voir autant de technicité durant les matchs. Finalement, on ne se posait plus la question de savoir si c’était des joueurs ou des joueuses sur le terrain, les spectateurs retenaient qu’ils voyaient de beaux gestes techniques.
Il y avait aussi ce côté de football « familial », cette possibilité de pouvoir aller regarder le football en famille, sans la présence des supporters ultras par exemple. Pour ma part, le seul match auquel j’ai été en famille, avec mon fils, c’était justement durant cette Coupe du monde.
Cet événement a donc amélioré la médiatisation du sport féminin, même si on est encore loin du compte. Une nouvelle fois, on retrouve le poids de la puissance économique : quand les gens vont se rendre compte qu’il y a une certaine potentialité économique au niveau du sport féminin, alors je pense que les choses évolueront encore plus. Je ne sais pas s’il faut atteindre un équilibre parfait entre le sport masculin et le sport féminin en termes de médias, mais ce qui est certain c’est qu’il faut encore progresser. Avec le temps, je pense qu’on y parviendra, et cette Coupe du monde féminine de football 2019 ou encore la Coupe du monde féminine de handball qui vient de s’achever en sont la preuve.
A l’époque, les joueuses américaines, qui avaient remporté la compétition, ont d’ailleurs demandé à être traitées de la même manière que leurs homologues masculins et à percevoir des primes égales aux leurs, ce qui montre effectivement que cette Coupe du monde a provoqué un véritable changement. Est-ce-que vous trouvez cette demande légitime ? Pourrait-on, par extension, envisager dans le futur une égalité de salaires entre les joueuses et les joueurs de football ?
Je peux comprendre que l’on veuille un traitement égal, ça me paraît légitime. Pour autant, la problématique économique réapparaît très rapidement. Bien sûr que je souhaiterais que tout le monde soit payé au même montant, sauf qu’on est malheureusement rattrapés par la réalité économique. Pour parvenir à cette égalité de traitement, il faudra s’appuyer plus encore sur l’impact de la médiatisation, comme l’ont fait les joueuses américaines pour se valoriser et ainsi démontrer aux facheux qu’elles valaient « économiquement » quelque chose.
Je suis très attachée à toutes ces questions car je ressens le sport comme un vecteur d’émancipation pour tout individu et pour les femmes en particulier.
Plusieurs scandales d’agressions sexuelles sont dévoilés au grand jour ces derniers mois, je pense notamment aux accusations dirigées contre Jean-Yves Bart, président de la Fédération haïtienne de football, ou plus récemment aux accusations portées au sein de la Fédération malienne de basketball. Pensez-vous qu’aujourd’hui il y a assez de protection à l’égard des jeunes sportifs pour éviter des cas similaires à l’avenir ? Qu’est-ce qui pourrait être mis en place pour pallier ces dérives ?
On parle d’un véritable fléau. Il ne faut pas qu’il y ait de langues de bois, il faut faire le maximum pour que ça n’arrive pas/plus, pour qu’il y ait des garde-fous. Par exemple, tout simplement, lorsqu’il y a des jeunes femmes, des jeunes filles, il faut qu’il puisse y avoir un staff avec des femmes également, auprès desquelles elles peuvent parler, échanger. On ne peut plus aujourd’hui avoir des jeunes filles entourées seulement d’hommes. Il faut qu’il y ait un encadrement mixte, qu’il y ait des femmes au contact des sportives féminines. Il faut également que les fédérations sensibilisent leur effectif, qu’il n’y ait plus de langues de bois qui protègent tel entraîneur ou tel dirigeant.
Un autre sujet à explorer concerne les installations sportives. Elles ne sont malheureusement toujours pas adaptées à la pratique des féminines.
C’est en travaillant et en améliorant tous les axes de développement que l’on pourra parvenir à une éradication effective de tels agissements.
Malgré des évolutions ces dernières années, le racisme gangrène encore nos manifestations sportives, et notamment le football. Nous l’avons encore vu il y a quelques semaines lorsque des joueurs noirs de l’équipe d’Angleterre ont été insultés lors du match de qualification pour le Mondial-2022 contre la Hongrie. Quels moyens pourrait-on mettre en place aujourd’hui pour éviter que ces incidents surviennent ? Pensez-vous que les États eux-mêmes devraient adopter un rôle proactif dans cette lutte ?
Je suis bien évidemment pour la lutte contre toutes les formes de discriminations en général et le racisme en particulier. Aucune femme, aucun homme, qu’il soit joueur, arbitre, entraîneur ou dirigeant ne peut se retrouver être une cible. Il faut faire tout ce qui est possible pour que ça n’arrive pas/plus. Après, dans la réalité, que peut-on faire concrètement, réellement, pour empêcher cela ? Je ne sais pas quel serait le meilleur moyen… L’arbitre a un rôle important dans ces situations, c’est certain, notamment par son devoir d’interrompre le match s’il est témoin de gestes ou de paroles racistes.
Après, il appartient à l’État, indirectement, d’éduquer ses citoyens et de les réprimer pénalement si les faits sont effectivement répréhensibles. Dans tous les cas, il faut rester éveillé, aux aguets, et essayer toute nouvelle solution, toute nouvelle idée, qui pourrait permettre de réduire les incidents de ce type.
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Crédit photo : Ministère des Outre-Mer