Interview de Lydie Cohen (un droit au sport pour les personnes en situation de handicap)

par | 23, Mar, 2023

Lydie Cohen (deuxième en partant de la gauche sur la photo) est une juriste toulonnaise, responsable du pôle droit du sport au sein du cabinet LLC & associés et est vice-présidente du Comité Départemental Olympique et Sportif du Var. Docteur en droit, elle a a récemment soutenu sa thèse à l’Université de Limoges questionnant notamment l’existence ainsi que la mise en oeuvre d’un droit au sport pour les personnes en situation de handicap. Nous l’avons rencontrée pour échanger avec elle sur ces sujets précieux à l’aube des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Entretien Jurisportiva.

Bonjour Madame. Pourriez-vous vous présenter dans un premier temps ?

Je m’appelle Lydie COHEN, je suis fraichement docteur en droit. Passionnée de sport depuis l’enfance, je pratique le Muay Thaï et le paddle surf en Méditerranée (oui c’est possible – rires). N’ayant pu accéder au haut niveau en tennis à la suite d’une blessure, je me suis intéressée au droit du sport. Après une expérience sur l’île de la Réunion dans le cadre de l’organisation des Jeux des îles de l’Océan Indien, j’ai travaillé 4 ans au sein du ministère chargé des sports en tant que juriste au Pôle ressources national sport et handicap. Ayant constaté sur le terrain les difficultés d’accès au sport que rencontraient les personnes handicapées, j’ai souhaité reprendre mes études de droit pour réaliser une thèse CIFRE sur le droit au sport des personnes en situation de handicap au sein du CDES de Limoges et du cabinet LLC et Associés, bureau de Toulon. Je suis aujourd’hui responsable du Pôle droit du sport du cabinet et par ailleurs vice-présidente du Comité départemental olympique et sportif du Var.

Vous avez récemment soutenu une thèse à Limoges qui vient questionner un éventuel “droit au sport pour les personnes en situation de handicap”. Que pouvez-vous en dire ?

C’est un sujet qui présente, à mon sens, de gros enjeux de société. Les personnes en situation de handicap représentent en effet 15% de la population mondiale selon l’Organisation mondiale de la santé. Elles occupent pourtant toujours le devant de la scène des discriminations dans le sport. Leur accès au sport constitue donc, encore aujourd’hui, un défi pour l’égalité. C’est ce qui m’a fait réfléchir à interroger l’existence d’un droit au sport pour les personnes en situation de handicap dans les ordres juridiques publics et sportifs ainsi que sa mise en œuvre. J’ai ainsi analysé les indices de son existence dans les différentes sources de droit du sport ainsi que les limites à sa réalisation. J’ai également souhaité, dans le cadre de cette recherche, proposer des solutions concrètes pour contribuer à sa meilleure effectivité. 

Aujourd’hui, en 2023, en France, peut-on dire qu’il existe un droit au sport pour les personnes en situation de handicap ?

Oui et à plusieurs titres. En tant qu’activité humaine, le sport ne peut totalement se soustraire au droit étatique ou interétatique. Les personnes handicapées bénéficient à ce titre de la protection du droit commun, et de facto des principes fondamentaux gouvernant notre société, comme par exemple le droit à la non-discrimination. Surtout, plusieurs conventions internationales, comme notamment la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, reconnaissent un droit spécifique au bénéfice des publics en situation de handicap de participer aux loisirs et aux sports. Le droit au sport se voit ainsi reconnu plus ou moins directement dans l’ordre juridique public. En tant qu’activité sportive, le droit sportif transnational, en majeure partie produit par le Comité international olympique, les fédérations sportives internationales et promu par les sentences du Tribunal arbitral du sport, comprend également des dispositions visant à reconnaître le droit pour tous d’accéder au sport. La Charte Olympique n’hésite d’ailleurs pas à qualifier le sport de véritable droit de l’homme. Plusieurs statuts de fédérations s’engagent également à assurer la lutte contre les discriminations et plus spécifiquement l’accessibilité des pratiques aux personnes handicapées. 

Dès lors, que ce soit sur le terrain du droit étatique et interétatique comme sur celui du droit transnational sportif, tous deux semblent converger vers l’existence, certes de façon diffuse et plus ou moins directe, du sport comme droit universel, réaffirmé au bénéfice des personnes en situation de handicap.

Selon vous, le sport favorise-t-il l’intégration et l’inclusion des personnes handicapées ?

Sans aucun doute. D’ailleurs, il favorise l’inclusion de tous et pas seulement des personnes en situation de handicap. C’est notamment pour cela que le sport a le pouvoir de changer le monde comme l’affirmait Nelson Mandela. Il y a énormément d’initiatives qui démontrent l’enrichissement réciproque que l’on peut retirer des pratiques sportives. Le reportage sur « le onze de légende » est notamment une belle illustration du changement de regard sur le handicap et l’évolution des mentalités que permet le sport.

Les députés ont adopté en 2021 la proposition de loi LREM « Démocratiser le sport ». Parmi les mesures avancées, on retrouve certaines qui concernent les personnes en situation de handicap, le premier axe visant à favoriser l’accès à une pratique plus équitable sur le territoire. Quel est votre regard sur ce texte ?

La critique est aisée mais l’art est difficile. Il faut saluer les dispositions de la loi qui tendent à garantir l’accès à des activités physiques et sportives pour l’ensemble des publics accueillis ou pris en charge dans les établissements et services médico-sociaux (ESMS). Inscrire le sport comme l’une des missions d’intérêt général de ces organismes est une réelle avancée.  L’élargissement du dispositif du sport sur ordonnance est également une mesure dont on peut se réjouir.  

Je regrette néanmoins que le sport n’ait pas été consacré comme un véritable droit dans ce texte. Aussi, je n’adhère pas à la nouvelle rédaction de l’article L. 100-1 du code du sport dès lors que la référence au handicap est beaucoup moins marquée que dans la version précédente. En l’occurrence, la référence au handicap est abordée sous le prime de la non-discrimination, sans distinction particulière avec les autres critères : « La loi favorise un égal accès aux activités physiques et sportives, sans discrimination fondée sur le sexe, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap, l’appartenance, vraie ou supposée, à une nation ou à une ethnie, la religion, la langue, la condition sociale, les opinions politiques ou philosophiques ou tout autre statut ». Or les personnes handicapées subissent une discrimination spécifique, en premier lieu environnementale. C’est pourquoi, à mon sens, les mesures qui sont prises pour garantir un meilleur accès au sport à leur bénéfice doivent être affirmées avec force et pas seulement se présenter comme une composante de la non-discrimination. La précédente rédaction me paraissait ainsi plus pertinente dès lors qu’elle insistait et rendait davantage visible les personnes handicapées : « La promotion et le développement des activités physiques et sportives pour tous, notamment pour les personnes handicapées, sont d’intérêt général ».

La mise en place de la SNSH est-elle un bon début ?

La stratégie nationale du handicap est loin d’être un début. Si le développement des pratiques sportives en matière de sport et handicap est né d’une initiative privée, notamment des fédérations spécifiques, le ministère chargé des sports conduit une politique volontariste sur la thématique depuis 2003. La stratégie nationale du handicap est donc la continuité d’une politique instaurée depuis plus de 20 ans. Je pense que toutes les initiatives qui permettent de rendre visible les problématiques que rencontrent les personnes en situation de handicap dans l’accès au sport, y compris au haut niveau, sont particulièrement nécessaires, à condition néanmoins qu’elles ne soient pas un simple effet d’annonce. Il me paraît donc important, outre l’existence de la SNSH, de tirer les enseignements de sa mise en œuvre au regard d’un bilan et d’une évaluation concrète de ses résultats, de ses forces comme de ses faiblesses. 

Quelles sont les principales difficultés rencontrées aujourd’hui par les personnes handicapées dans la pratique du sport ? Auriez-vous des exemples de discriminations subies par des personnes en situation de handicap dans le sport français ?

Il convient d’insister sur le fait que les personnes en situation de handicap sont victimes d’une discrimination qui est spécifique. Elles subissent en effet une discrimination dite environnementale. Or, comment pratiquer un sport si on ne peut déjà pas accéder à l’équipement ? L’accessibilité des équipements ainsi que de la chaîne de déplacement est donc la première condition à la pratique sportive des personnes en situation de handicap et posent malheureusement encore aujourd’hui des difficultés. 

Par ailleurs, certaines structures refusent toujours d’accueillir des personnes handicapées, notamment par crainte et méconnaissance. C’est pourquoi la formation est un levier central pour faire tomber les préjugés. Au sein du Comité départemental olympique et sportif du VAR nous avons mis en place des formations à cet effet, pour accompagner les clubs dans une dynamique d’accueil de ces publics. 

Des exemples de discrimination, il en existe également au plus haut niveau. Si le mécanisme des classifications instauré dans les compétitions a pour objectif de maintenir l’aléa sportif, il n’en demeure pas moins qu’il peut conduire à l’exclusion de certaines catégories de personnes en situation de handicap, notamment les plus lourds.

Le transport et l’adaptation de l’activité sportive font partie des principales problématiques. Quelles solutions voyez-vous pour pallier cela ? 

L’accès aux activités physiques et sportives nécessite plus que jamais la mise en œuvre d’une approche pluridimensionnelle. Il ne peut se limiter à une seule réalité matérielle (accessibilité de la cité, du cadre bâti des équipements sportifs, des transports…) et s’articule avec diverses composantes qui lui sont complémentaires.

L’accessibilité des pratiques sportives nécessite, outre des équipements sportifs accessibles, le développement d’une offre sportive de proximité diversifiée et adaptée aux besoins des personnes handicapées. Cette approche qualitative et quantitative des activités se manifeste par la construction d’une dynamique humaine qui doit assurer la possibilité pour les personnes handicapées de choisir la discipline qu’elles souhaitent pratiquer que ce soit dans un cadre inclusif ou entre pairs.

Dans cette logique, un personnel sensibilisé et formé à leur accueil et leur encadrement paraît indispensable. L’accessibilité dans sa dimension pédagogique contribue ainsi à assurer la sécurité de l’activité et plus largement le développement des pratiques.

Terrain d’innovation par excellence, elle est également l’opportunité de créer de nouvelles aides techniques qui garantissent effectivement l’accessibilité des activités y compris lorsque ces dernières ne sont pas, par essence, accessibles à tous. Dès lors, la création, la mise à disposition et le financement de matériels spécifiques représentent un réel facteur de réduction des discriminations.

Enfin, il est important de porter à la connaissance du public en situation de handicap les activités sportives accessibles afin d’assurer la rencontre entre l’offre adaptée et la demande des personnes handicapées.

Il semblerait qu’il existe des textes juridiques mais limités et peu adaptés à la situation. Que préconisez-vous ? Quelles sont les autres solutions que vous voyez pour faire avancer les choses et rendre le sport français encore plus inclusif ?

Outre la consécration d’un véritable droit au sport, je pense que l’un des principaux leviers pour que le sport français soit plus accessible est certainement la pédagogie. Il faut adopter une pédagogie du handicap, y compris d’ailleurs dans les textes juridiques, sensibiliser les acteurs et promouvoir le fait que sa prise en compte bénéficie à tous. La difficulté est ici de réussir à créer une véritable adhésion autour des enjeux liés au handicap et que chacun se sente concerné. Je suis persuadée que le handicap peut être une réelle opportunité de repenser le sport, notamment dans une dynamique de mixité, qu’elle soit à l’échelle des pratiques, des institutions sportives ou des évènements. La visibilité du handicap et de ses enjeux apparaît à cet effet incontournable. 

Enfin, l’approche des JOP 2024, ont-ils un rôle à jouer dans cette lutte pour la reconnaissance totale d’un droit au sport des personnes en situation de handicap ?

Je mets toute mon énergie au service de cette cause. J’espère profondément que les JOP 2024 permettront de consacrer le droit au sport comme héritage juridique des Jeux et que ce dernier sera affirmé avec ferveur pour les personnes en situation de handicap. Le chemin est encore long mais je suis intimement convaincue que c’est la voie à suivre.  

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