Jurisportiva est récemment allé à la rencontre de Ludovic ROYE, Directeur Technique National de la Fédération Française de Canoë Kayak et Sports de pagaie (FFCK) mais également Président de l’Association des DTN (AsDTN). Au cours de l’interview, ce dernier revient en détails sur cette profession clé de DTN au sein des fédérations sportives et notamment à l’approche des JOP 2024. Entretien.
Propos préliminaires – Extrait du site du ministère des sports[1]
« Depuis les années soixante, le mouvement sportif bénéficie d’un appui technique spécifique à travers l’intervention de fonctionnaires ou d’agents publics rémunérés par l’État, au nombre de 1600 à ce jour, répartis dans 79 fédérations (dont les 38 fédérations olympiques et paralympiques, 27 fédérations non olympiques reconnues de haut niveau et 13 fédérations multisports).
Ces agents, exerçant des missions de conseillers techniques sportifs (CTS), sont chargés de responsabilités diversifiées, liées, en particulier, au sport pour tous (progression de la pratique licenciée), au sport de haut niveau (détection des talents et perfectionnement de l’élite, sélection des équipes nationales), à la formation des cadres. Ils contribuent directement à la mise en œuvre de la politique sportive de l’État et sont garants de la cohérence entre les projets sportifs des fédérations et les orientations prioritaires du ministère de la santé et des sports.
Ils s’assurent de la bonne utilisation des crédits publics. Ils assurent auprès des fédérations sportives les missions de directeur technique national (DTN), de DTN adjoint (DTNA), d’entraîneur national (EN), de conseiller technique national (CTN) ou régional (CTR). ».
Concernant plus spécifiquement le Directeur Technique National (DTN), l’article R131-16 du Code du sport[2] précise que sa mission est de « concourir à la définition de la politique sportive fédérale, de veiller à sa mise en œuvre et de contribuer à son évaluation ». Dans le cadre de l’accomplissement de sa mission, il dirige et anime la direction technique nationale de la fédération.
Bonjour Ludovic ROYE, pouvez-vous dans un premier temps vous présenter et nous détailler votre parcours ?
J’ai un parcours un peu particulier puisqu’à l’âge de 16 ans j’ai quitté l’éducation nationale pour entrer au ministère de la Défense. Là-bas, je suis devenu électricien dans la construction navale militaire, notamment pour des sous-marins et des frégates à destination de la marine nationale. J’ai fait ça pendant 8 ans, pendant lesquels j’étais en parallèle sportif de haut-niveau au pôle France de Rennes.
A l’époque, mon entraîneur m’a poussé à passer mon BE1 (brevet d’État 1er degré) que j’ai ensuite enchaîné directement avec mon BE2 (brevet d’État 2ème degré). J’ai enfin passé le concours de professeur de sport qui m’a permis de devenir Conseiller Technique Régional Coordonnateur en Normandie pour la Fédération Française de Canoë Kayak et Sports de Pagaie (FFCK). En parallèle, j’ai obtenu le diplôme de l’INSEP, option encadrement et direction de structure, et un master en management des organisations sportives à Lyon.
A l’issue de ce master-là, cela faisait 4 ans que j’étais en Normandie, mon épouse a réussi le concours de professeur des écoles dans l’académie de Créteil et j’ai donc demandé au DTN de la FFCK de me trouver un poste au siège de la Fédération, où je suis arrivé en septembre 2008. J’étais alors chargé de la coordination des CTR et de la réforme du système d’intranet fédéral.
J’ai fait ça pendant 8 mois, mais c’était une période d’élection assez tendue donc je n’ai pas pu avancer comme je voulais. Je me suis donc remis sur le « marché des transferts » et je suis devenu DTN adjoint et directeur général de la Fédération Française de Squash. J’ai occupé ce poste pendant 4 ans, à l’issue desquels j’ai réussi le concours pour entrer en préparation à temps plein au concours de l’ENA. J’étais donc détaché à l’ENA et affecté à l’IGPDE (Institut de la gestion publique et du développement économique) de Vincennes. J’ai préparé à temps plein pendant un an le concours de l’ENA, que je n’ai finalement pas eu.
J’ai ensuite passé le concours de CTPS (conseiller technique et pédagogique supérieur), et j’ai été recruté comme chef du service juridique, instances statutaires et relations collectives du travail à l’INSEP. Petit à petit, le directeur général de l’INSEP a souhaité réorganiser les services, et a élargi mon périmètre en me nommant chef du pôle administration. J’avais donc sous ma responsabilité le service juridique, le service financier et marchés publics, et le service RH. J’ai fait ça pendant 3 ans, et au moment où j’allais partir, Jean ZOUNGRANA, l’actuel président de la FFCK, est venu me chercher pour devenir DTN de la FFCK, en 2017.
J’ai tout de même continué à me former, et j’ai fait un Master 2 en droit du sport (M2 Professions Juridiques du Sport) à l’Université de Bourgogne sur l’année 2019/2020.
« Il n’y a pas de règle figée, le poste se dessine en fonction des Hommes, et du contexte du moment. »
Pouvez-vous nous expliquer quel est le rôle et la place du DTN au sein d’une Fédération sportive ?
Cela dépend en réalité. Le rôle commun à tous les DTN, c’est que nous sommes les représentant(e)s de l’État au sein des Fédérations. C’est vraiment LE point commun, et j’aurais presque tendance à dire que c’est peut-être le seul point commun finalement.
Après, en pratique, il y a autant de « profils » de DTN qu’il y a de Fédérations. On trouve des DTN qui sont des vrais techniciens de leur(s) discipline(s), ils seront alors directeurs de performance ou même entraîneurs, et on a à côté des DTN qui sont également Directeurs généraux (comme à la Fédération Française de Basket-Ball par exemple).
Il n’y a pas de règle figée, le poste se dessine en fonction des Hommes, et du contexte du moment. Si on devait résumer, on peut dire qu’il y a 2 grandes filières métiers chez les DTN : la filière « encadrement sportif », et la filière « administrateur du sport ».
On dit souvent que le DTN est placé sous la double autorité, hiérarchique, du ministère des Sports et, fonctionnelle, du président de sa fédération. Comment cela se matérialise en pratique ?
Les DTN restent effectivement des agents de l’État, d’où cette autorité hiérarchique permanente avec le ministère. Après, vis-à-vis du président de la Fédération dans laquelle ils sont, on ne peut pas parler en soi d’une autorité fonctionnelle, c’est plutôt que nous exerçons nos missions auprès du président pour mettre en œuvre son projet fédéral. Nous sommes finalement un « outil » que l’État met à disposition d’un président fédéral pour qu’il puisse mettre en œuvre sa politique, qui forcément doit être en lien avec les priorités de l’État.
Est-ce que le DTN a les mêmes pouvoirs dans chaque Fédération ?
Clairement, pas du tout. On peut par exemple avoir des DTN qui n’ont pas du tout accès à la comptabilité de leur Fédération, qui ne gèrent pas leurs budgets, et de l’autre côté des DTN qui gèrent la totalité des activités de leur Fédération.
Comment devient-on DTN ? Y a-t-il des prérequis obligatoires ? Une procédure à suivre ?
Il n’y a pas en soi de parcours « initiatique ». Le processus administratif est même assez simple : le président fédéral propose un profil de poste au ministère, que celui-ci publie, et ensuite les agents candidatent sur ce poste. Il y a dans un deuxième temps une commission d’évaluation qui se réunit et qui émet un avis, transmis à la ministre des sports. Celle-ci sollicite alors le point de vue du président fédéral concerné, et c’est elle qui prend la décision finale.
Après, sur le parcours des différents DTN, on constate qu’ils sont très diversifiés, que ce soit dans le public ou dans le privé. Ils sont pour la plupart issus des corps techniques et pédagogiques (professeurs de sport ou CTPS), mais on a quand même des parcours très divers.
Le DTN d’une Fédération doit-il avoir lui-même pratiqué la discipline dont sa Fédération à la délégation ?
C’est une très bonne question. Beaucoup de gens disent que oui, moi j’aurais tendance à dire « oui et non ». En réalité, il n’y a pas de règle, cela va dépendre des attentes du président fédéral, du profil du poste, et du contexte du moment. Parfois c’est bien, mais parfois ça ne l’est pas.
Par exemple, à la FFCK, le DTN a toujours été un homme kayakiste. Et bien aujourd’hui, j’aurais tendance à dire qu’il faudrait que ce poste soit pour la prochaine olympiade occupé par une femme, venant de l’extérieur (non-kayakiste). Après, ce n’est que mon avis, et peut-être que le prochain président de la FFCK ne sera pas d’accord avec moi.
« Quand je suis devenu DTN, la première chose que l’on m’a dit c’est ‘’Tu vas voir, DTN, c’est un métier qui isole’’ »
Depuis septembre 2020, vous êtes président de l’AsDTN (Association des DTN), pouvez-vous nous en dire plus sur cette association, son but, ses objectifs ?
L’AsDTN a été créée il y a de nombreuses années, dans le but de regrouper tous les DTN en activité. Quand je suis devenu DTN, la première chose que l’on m’a dit c’est « Tu vas voir, DTN, c’est un métier qui isole ». Et c’est vrai, quand on devient DTN, on se retrouve vite tout seul, et donc on a ce besoin d’échanger avec nos pairs. C’était donc ça l’objectif initial de l’ASDTN, que les DTN échangent entre eux sur leurs problématiques professionnelles et qu’ils s’entraident.
Après, sous la présidence de Philippe BANA, l’AsDTN a pris un poids institutionnel important, certains diront même un poids politique, ou a minima un rôle de lobbying. A ce moment-là, la physionomie de l’AsDTN a donc changé. Par la suite, quand je suis devenu président de l’association, j’ai souhaité élargir l’association à deux autres collèges : celui des anciens DTN, et celui personnes qualifiées ayant ou ayant eu une fonction d’encadrement supérieur dans le champ du sport. L’idée était que l’on s’enrichisse de profils différents et diversifiés, pour contribuer aux réflexions et à nos propositions auprès des pouvoirs publics.
Comment s’articule son rôle avec celui du Ministère des sports, de l’ANS et du CNOSF ? A-t-elle un poids auprès de ces trois instances ?
Ça, il faut leur demander (rires). Plus sérieusement, l’AsDTN n’est pas syndicat, c’est vraiment une association professionnelle, au même titre que l’association des DRAJES par exemple. Aujourd’hui, l’AsDTN est associée à quasiment toutes les discussions et réflexions menées dans le domaine sportif. Est-ce-que cela signifie qu’elle est toujours entendue ? Pas forcément. Mais au moins, nous avons l’occasion de donner notre point de vue.
En juillet 2021, la ministre des sports officialisait la création de l’école des cadres du sport [3], dont l’enjeu est de former les cadres du sport, en lien avec l’évolution des métiers. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette entité ? son objectif ? Son bilan après presque 2 années d’existence ?
Cette école des cadres est née d’une proposition de l’ASDTN. Philippe BANA, à l’époque président de l’association, avait été missionné par une ministre pour faire un rapport sur le sujet. C’est vraiment quelque chose que nous portons depuis très longtemps, et notamment car la vraie richesse de notre ministère réside dans ses ressources humaines, et pas forcément dans ses moyens financiers. Certains diront même que c’est sa seule richesse finalement. Or, il faut l’entretenir, et donc l’objectif de cette école des cadres est de fructifier ce potentiel humain.
Est venue ensuite s’ajouter à cela la crise des CTS, à la suite de laquelle l’école des cadres a été officialisée. On peut aujourd’hui s’en féliciter, mais il faut encore attendre les résultats, car c’est ça la seule chose qui compte.
« Je suis de plus en plus convaincu qu’il faut vraiment passer à un modèle de gouvernance totalement différent de ce qu’on a connu jusqu’à aujourd’hui. »
Le 2 mars 2022, la loi visant à démocratiser le sport en France a été promulguée, avec notamment un volet relatif à la gouvernance des fédérations sportives. On y trouve 3 points primordiaux :
- L’instauration de la parité femmes/hommes dans les instances dirigeantes dès 2024,
- La nécessité qu’au moins 50% des voix proviennent des clubs lors des élections fédérales,
- La limitation à 3 du nombre de mandats des présidents et présidentes de Fédération.
Pouvez-vous nous partager vos positions sur chacun de ces 3 points ?
J’aurais plutôt tendance à répondre de manière globale. Évoluer dans ce sens, c’est une très bonne chose, voire même une nécessité. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’acteurs aujourd’hui qui soient contre ces évolutions. Cependant, j’estime aussi que cette loi n’est pas suffisante, car elle n’est qu’un énième toilettage de notre modèle de gouvernance qui perdure depuis 50 ou 60 ans. Je suis de plus en plus convaincu qu’il faut vraiment passer à un modèle de gouvernance totalement différent de ce qu’on a connu jusqu’à aujourd’hui. Et pour cela, il y a encore beaucoup de travail, parce qu’en toilettant en permanence un système, in fine on ne comprend plus sa cohérence ni son sens.
Les délégations pour les 4 prochaines années ont été accordées l’année dernière par le ministère des sports, avec, pour la première fois, la conclusion de véritables contrats de délégation entre ce dernier et chaque Fédération délégataire. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’impact de ces contrats ? Est-ce une véritable rupture avec la manière dont les délégations étaient accordées par le passé ?
Clairement, oui, car jusqu’à présent la délégation était exclusivement un pouvoir discrétionnaire de l’administration, et dont le périmètre était seulement défini par le code du sport de manière relativement vague.
En passant par ces logiques de contrat, on impose 2 choses :
- Redéfinir bien précisément le périmètre de la délégation attribuée par l’État, et par conséquent des prérogatives de puissance publique qui en découlent ;
- Retrouver un équilibre entre l’État et la Fédération délégataire, avec notamment des obligations explicitement inscrites de celui-ci vers cette dernière (et non plus uniquement des obligations de la Fédération envers l’État).
Après, nous sommes qu’au tout début de cette logique, et là nous allons rentrer dans la première phase d’évaluation intermédiaire de ces contrats de délégation, ce qui va constituer un exercice intéressant.
Si on pense à plus long terme, peut-être que nous basculerons un jour sur des mises en concurrence (qui n’existent pas aujourd’hui) entre opérateurs privés souhaitant exercer les mêmes prérogatives de puissance publique, pour savoir quel est l’opérateur le plus légitime pour les assumer. C’est peut-être une des hypothèses concernant les futurs modèles de gouvernance dans le sport.
Dans 1 an, la France accueillera les Jeux Olympiques d’été, comment les différents DTN se préparent-ils à cet événement ? Quelle est la conduite édictée par le Ministère ?
La ministre a fixé 3 axes : Célébrer, Hériter, Performer. Mais la première des choses reste de ramener des médailles, et ensuite que ce soit bien organisé. Si ces deux objectifs sont remplis, alors effectivement nous pourrons penser sereinement à l’héritage.
« On ne peut plus penser les fédérations sportives comme on le faisait auparavant. »
Quels sont les défis majeurs que nos fédérations doivent relever d’ici Paris 2024 ?
Quand je suis arrivé à la FFCK en 2016 avec Jean ZOUNGRANA, la vision que celui-ci portait, et que je partageais, c’était qu’il y aurait un « avant » et un « après » 2024. En réalité, on ne peut plus penser les fédérations sportives comme on le faisait auparavant. La FFCK par exemple, a été pendant longtemps une fédération sportive de compétition. Aujourd’hui, elle veut se positionner comme l’acteur majeur et légitime d’un marché économique global. A ce titre, on s’est engagés dans une économie sociale et solidaire, et on a, je crois, profondément transformé la physionomie de notre fédération et sa taille.
Je pense que c’est une orientation que toutes les fédérations doivent suivre, et Paris 2024 constitue une grande opportunité pour ces transformations et ces changements de modèle et de gouvernance. Beaucoup de fédérations ont déjà engagé cette transition, à leur manière, mais certaines n’ont pas encore intégré ce changement de culture.
Enfin, comment nos fédérations s’organisent-elles pour penser l’après Paris 2024, afin de laisser un héritage et éviter, au contraire, l’apparition « d’éléphants blancs » comme ce fut le cas après Athènes en 2004, et Rio en 2016 [4] ?
Éviter l’apparition d’éléphants blancs, ce n’est pas le job des fédérations selon moi. C’est plutôt la mission du COJO (Comités d’organisation des Jeux Olympiques) et de l’État, et je crois que le modèle qu’ils ont retenu va dans ce sens-là (avec notamment beaucoup d’installations temporaires).
Après, si on prend des installations comme le Stade Nautique Olympique d’Île-de-France à Vaires-sur-Marne, qui est un projet ayant couté environ 100 millions d’euros, alors là effectivement il y a un enjeu collectif (impliquant notamment l’État, les collectivités, la FFCK) pour faire en sorte que ce site continue de vivre, intensément, même après 2024.
[1] https://www.sports.gouv.fr/conseillers-techniques-636#:~:text=Ils%20contribuent%20directement%20%C3%A0%20la,bonne%20utilisation%20des%20cr%C3%A9dits%20publics.
[3] https://www.olbia-conseil.com/2021/07/07/reforme-des-conseillers-techniques-sportifs-creation-de-lecole-des-cadres/
[4]https://www.francetvinfo.fr/sports/jo/bresil-six-mois-apres-les-jo-cest-devenu-un-elephant-blanc-ici_2067739.html