Interview de Alix Faguer (juriste esport à la FIFA)

par | 17, Nov, 2022

Rencontre avec Alix Faguer, autrefois juriste Chee Lagardère, Deezer et Gameloft et actuelle juriste sénior esport à la FIFA. Pour Jurisportiva, elle présente le rôle que joue la FIFA dans le secteur du esport, ses missions en termes de web 3.0, ou encore le développement du metaverse : simple tendance ou émergence d’un nouvel écosystème. Entretien.

Bonjour Madame, pourriez-vous vous présenter dans un premier temps ?

Bonjour ! Je suis actuellement en poste à la FIFA en tant qu’expert juridique digital, eSports et gaming. Juriste de formation avec un cursus de droit franco-italien et un master en droit de la propriété intellectuelle appliquée aux nouvelles technologies, j’ai accumulé 10 ans d’expérience au sein des directions juridiques d’entreprises de l’entertainment d’envergure internationales (Lagardère Active, Gameloft) et de licornes française (Deezer). 

Comment avez-vous commencé à travailler dans le secteur de l’esport? 

Le secteur de l’eSport a pris une place très importante dans le monde du gaming et tout naturellement, la FIFA a investi ce secteur depuis une dizaine d’années, forte du succès de son jeu phare FIFA. Aujourd’hui, la FIFA organise des compétitions eSports dans le monde entier confrontant clubs, équipes nationales et sportifs. 

Pourriez-vous définir en quelques mots l’esport ? 

Le terme « eSport » designe les compétitions de jeux vidéos confrontant joueurs individuels ou équipes professionnelles eSports. Les joueurs « eSports » s’entrainent plusieurs heures par jour et les meilleurs vivent des gains remportés lors des compétitions mais aussi des contrats signés avec des sponsors. On assiste à une véritable professionnalisation du secteur depuis quelques années, qui attirent marques et sponsors, d’où est née l’exigence d’un cadre juridique régulant cet univers. 

Avant de rejoindre la FIFA, vous avez travaillé comme juriste chez Gameloft. Pourriez-vous présenter vos missions ? 

Gameloft est une entreprise de développement et d’édition de jeux vidéo, leader dans son secteur, appartenant au groupe Vivendi. Au sein du studio de création de jeux de Barcelone en Espagne, mes missions consistaient principalement à conseiller les équipes opérationnelles lors du processus créatif des jeux, attirant leur attention sur les risques juridiques liés, notamment, aux droits de la propriété intellectuelle, droit de la consommation et données personnelles et proposant par conséquent la mise en place de solutions pratiques pour éviter tout contentieux. S’agissant de jeux sur Smartphone distribués dans le monde entier, j’ai également participé à la négociation des nombreux accords commerciaux que Gameloft signe avec ses licensors (Disney, Mattel, Marvel…), distributeurs et annonceurs publicitaires qui participent au succès des jeux Gameloft. 

Quelles sont vos missions désormais à la FIFA ?

Mes missions sont centrées sur les projets divers et variés de la FIFA dans le digital et le gaming, visant à engager les supporters et communautés de gamers autour du football et des compétitions organisées par la FIFA, dont les coupes du monde masculine de 2022 et féminine de 2023.  La FIFA a notamment engagé énormément de ressources cette année dans le web3 et a renforcé sa présence online en lançant sa plateforme de streaming FIFA+ et son site de vente de NFTs FIFA+ Collect, qui sont autant de projets que j’ai suivi de très près. 

De quelle manière la FIFA s’implique t-elle dans l’esport ?

La FIFA organise depuis plusieurs années des compétitions eSports sous sa marque crée à cet effet « FIFAe ». Elle produit chaque année trois séries de compétitions : la FIFAe World Cup invitant les joueurs du monde entier à se confronter à titre individuel et les FIFAe Club World Cup et FIFAe Nations Cup dont les compétiteurs sont des clubs et équipes nationales eSports. Les compétiteurs se rencontrent lors de compétitions online ou lors de grands représentations qui aboutissent au couronnement des champions de chaque catégorie. A l’heure actuelle, ces compétitions se jouent sur le célèbre jeu FIFA développé en collaboration avec Electronic Arts. 

Pensez-vous qu’une création d’une fédération internationale de l’esport soit envisageable à l’avenir ? 

Il est tout à fait envisageable que le Comité Olympique reconnaisse le « eFootball » ou tout autre eSport comme discipline olympique. L’IOC a d’ailleurs montre son intérêt pour l’eSport en organisant en marge des Jeux Olympiques de Tokyo 2020 les Olympic Virtual Series qui ont réuni les joueurs de plusieurs disciplines sportives dans le monde virtuel.

La création d’une telle fédération pose cependant de nombreuses questions juridiques qui devront être résolues: quelle fédération ou organisation sera la plus à même de gouverner et réguler le secteur dans le respect des règlementations en vigueur et notamment des lois de la concurrence et anti-trust ? Qui peut se targuer d’être « propriétaire » d’une discipline qui n’existe que grâce a un ou plusieurs produits préexistants, c-a-d des jeux vidéo dont les droits de propriété intellectuelle appartiennent à des sociétés commerciales? 

Travaillez-vous également sur les NFT et autres sujets web 3.0 ? Si oui, de quelle manière ?

Oui, les NFTs et le web3 occupent une grande partie de mon temps actuellement, puisqu’à l’instar de certains clubs de football et de joueurs individuels, la FIFA a affiché ses ambitions dans ce domaine. La FIFA s’est ainsi associée avec des développeurs et distributeurs de NFTs afin de distribuer et mettre en vente ses NFTs en marge de la coupe du monde et a également lancé sa propre plateforme exclusive de vente de NFTs FIFA, FIFA+ Collect. Mon rôle est de conseiller et alerter nos équipes commerciales sur les risques juridiques que posent les NFTs, dans un univers encore très peu régulé. 

Par ailleurs, la FIFA s’est récemment associée avec Roblox, la première plateforme de metavers afin de proposer à tous les amateurs de football une expérience en ligne immersive et interactive, permettant de collectionner des objets virtuels, de participer à des quests, de rencontrer des joueurs professionnels etc. 

Que pensez-vous du metaverse de manière plus générale, simple tendance ou véritable source alternative de revenus pour les acteurs du sport selon vous ? 

Le metaverse représente selon moi une version premium de ce qu’Internet propose déjà, en combinant réseaux sociaux, gaming et e-commerce au sein d’univers immersifs et ludiques. Grace à la blockchain, les utilisateurs peuvent acquérir des objets virtuels (les NFTs ou autres tokens), en toute transparence, et les revendre sur des plateformes dédiées. Le metaverse intéresse les marques en ce qu’il permet un engagement fort des utilisateurs en proposant des expériences uniques (si on pense par exemple au concert de Travis Scott dans Fortnite ou la Metaverse Fashion Week qui proposera des défilés de grandes maisons de mode dans Decentraland). 

Le pont qu’il crée entre monde réel et monde virtuel constitue notamment une formidable opportunité pour le monde du sport, et du football en général car il amène des univers a priori opposes à se rencontrer comme c’est le cas pour les gamers et les joueurs de foot pro ! 

Cependant, le metaverse a aussi montré ses limites : environnementales mais aussi économiques, le prix des équipements limitant de fait son accessibilité à une population d’initiés. Les dernières nouvelles concernant Meta et d’autres entreprises de la tech américaines font craindre que les attentes des dirigeants dans ce domaine aient largement surpassé la réalité et que la révolution du metaverse ne soit pas encore à l’ordre du jour. 

En tant que juriste, s’agissant d’un espace pour l’instant très peu régulé, j’estime que le succès du metaverse dépendra de sa capacité à s’autoréguler et à mettre en place des mécanismes visant à protéger ses utilisateurs, notamment les mineurs, face aux risques de cybercriminalité et de piraterie.  

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