Article écrit avec la collaboration de Luis Villas-Boas Pires, Responsable du département Agents de la FIFA.
Alors que le marché des transferts estival touche à sa fin et que de nombreux mouvements de joueurs sont en négociation, un des principaux acteurs du mercato s’apprête à voir son statut bouleversé : l’agent de joueur.
La FIFA, engagée depuis 2017 dans un processus de réforme de la réglementation des transferts sous l’impulsion de son nouveau président Gianni Infantino, a récemment dévoilé le contenu de son projet de Règlement sur les agents qui pourrait entrer en vigueur en juillet 2022. Avec une mesure majeure : rétablir un système de licence obligatoire pour ces intermédiaires. Alors même qu’elle y avait mis fin en 2015, la FIFA semble aujourd’hui décidée à faire machine arrière et à réguler un marché des transferts qui n’a cessé de croître ces dernières années, mettant en lumière ses dérives. Parmi elles, est souvent ciblée la place de plus en plus importante qu’occupent les agents, aussi bien auprès des clubs que des joueurs.
Si leur rôle de conseiller et de créateur d’opportunité n’est pas remis en question, c’est toutefois leur influence grandissante dans la prise de décision des transferts qui est critiquée. Il leur est reproché de favoriser une approche spéculative plutôt que sportive et de chercher à maximiser le nombre de transferts pour augmenter leurs commissions. Une critique confirmée par des études menées par la FIFA mais aussi par des organisations extérieures, comme le Conseil de l’Europe. Ces études mettent en évidence la nécessité de rendre le marché des transferts plus juste et transparent. Elles soulignent notamment une forte augmentation du montant des commissions versées aux agents pendant que les contributions de solidarité, elles, diminuent. Selon la FIFA, le montant de ces commissions est passé de 131,1 millions de dollars en 2011 à 640,5 millions de dollars en 2019. Sur les dix dernières années, le montant total s’élève à 3,5 milliards de dollars dans le cadre de transferts internationaux1. La pratique de la multi-représentation, qui donne la possibilité aux agents de représenter plusieurs, voire toutes, les parties d’un transfert, créant ainsi d’importants conflits d’intérêts, est aussi dénoncée.
Ce constat a convaincu la FIFA de mettre en place une nouvelle réglementation à même de réguler le marché et d’élever les standards professionnels des agents. La première de ces règles implique le retour à un système de licence obligatoire pour exercer la profession d’agent. “Le nombre d’intermédiaires a fortement augmenté depuis la fin du système de licence en 2015, avec pour conséquence principale de diminuer la qualité des services fournis aux joueurs”, explique Luis Villas-Boas Pires, responsable du département Agent de la FIFA. Cette mesure a pour but de protéger les joueurs des intermédiaires ne présentant pas les compétences requises. Une obligation de formation continue pour les agents est aussi prévue afin de s’assurer de la qualité de leurs services. “Il s’agit aussi de mieux protéger les agents eux-mêmes” ajoute Luis Villas-Boas. En effet, une obligation de souscrire à une police d’assurance professionnelle est comprise dans cette nouvelle réglementation.
Cette évolution sera accompagnée par la nouvelle chambre de compensation que la FIFA compte mettre en place prochainement. Cet outil central, par lequel devront se faire les versements des indemnités de transfert, permettra à la FIFA de s’assurer du versement des contributions de solidarité, mais aussi de contrôler les commissions versées aux agents. Celles-ci se verront plafonnées en fonction du rôle exercé par l’agent. Si celui-ci représente le club “vendeur” cédant un joueur lors du transfert, le montant de la commission sera plafonnée à 10% de l’indemnité de transfert. Pour l’agent représentant le joueur ou le club acquéreur, ce plafond représente 3% du salaire du joueur concerné.
Les revenus des agents vont donc se voir strictement encadrés, d’autant plus que cette nouvelle réglementation prévoit aussi de mettre fin à la multi-représentation. Fini la triple-représentation qui permettait à un agent d’agir au nom des trois parties d’un transfert (joueur, clubs vendeur et acquéreur), et donc d’être triplement rémunéré. Subsiste toutefois la double-représentation du joueur et du club vendeur qui reste possible, avec des commissions cumulables. Une exception qui ne devrait néanmoins pas suffire à rassurer les agents.
En effet, ils sont nombreux à s’opposer à cette réforme et aux contraintes qu’elle leur impose. C’est notamment le cas de Mino Raiola, président du Football Forum, une organisation internationale représentant les agents de joueurs créée en 2019 et regroupant de nombreux acteurs majeurs de la profession comme Jorge Mendes. Il estime notamment que ces règles sont contraires au droit européen de la concurrence et envisage de les contester devant les juridictions européennes. Le dialogue avec les instances dirigeantes du football mondial semble difficile à établir dans de telles conditions, d’autant plus qu’il n’existe pas de représentant des agents au sein de la Commission des Acteurs du Football de la FIFA.
“Il nous est difficile d’établir un dialogue constructif avec ces associations, dont la plupart ont été créées très récemment”, explique Luis Villas-Boas. “Chacune représente généralement une catégorie d’agents en particulier, “gros” ou “petits”, et défend les intérêts propres à cette catégorie. Or, en tant que FIFA, nous nous devons d’écouter l’ensemble de ces acteurs”. Certaines organisations, comme la Professionnal Football Agents Association, sont tout de même ouvertes à la discussion et permettent à la FIFA d’avoir un retour sur sa réglementation.
Le discours des contestataires semble toutefois difficilement audible face aux critiques des dérives d’un marché des transferts dont ils sont l’un des principaux acteurs. Ce projet de Règlement sur les agents de la FIFA, qui inclut aussi la création d’une chambre de résolution des litiges concernant les agents au sein du futur Tribunal du football de la FIFA, a notamment été salué par un récent rapport du Groupe d’Etat contre la Corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe2. Il reconnaît qu’il s’agit d’un « pas important dans la bonne direction ; le rôle des agents sera ainsi davantage aligné sur celui des autres parties prenantes du football – clubs, joueurs, etc. – et les objectifs du système de transferts. »
Comme les autres réformes du système de transferts par la FIFA, elle doit donc permettre de réduire efficacement les dérives de ce système et une meilleure distribution de ses flux financiers grâce aux mécanismes de solidarité. Des objectifs ambitieux pour cette nouvelle réglementation, dont on jugera le bilan sur le long terme, mais dont l’impact sur les agents s’annonce immédiat.
- Rapport de la FIFA sur les transferts internationaux entre 2011 et 2020, 30 août 2021
- “FIFA Transfer System Reform – Analysis and Recommendations”, Drago KOS, consultant du Conseil de l’Europe, Mai 2021