Interview de Patrice Martin (Président de la FFSNW)

par | 6, Sep, 2021

12 fois champion du Monde, 34 fois champion d’Europe et 26 records du Monde, Patrice Martin est l’un des français les plus titrés de l’histoire du sport. Pour Jurisportiva, il retrace sa carrière de sportif professionnel, témoigne de ses expériences en tant que Président de la Fédération Française de Ski Nautique et Wakeboard depuis 2009 et Vice-Président du Comité National Olympique Sportif (CNOSF). Enfin, le nantais de naissance livre son analyse sur la crise actuelle que traverse le sport français ainsi que les transformations nécessaires pour pérenniser ce dernier. Entretien.

Bonjour Monsieur Martin, pouvez-vous retracer brièvement votre carrière de sportif ?

Je m’appelle Patrice Martin, je suis un ancien athlète de haut-niveau en ski nautique. J’ai été 12 fois champion du monde, 34 fois champion d’Europe, ai gagné 6 fois les Jeux Mondiaux et battu 26 records du monde. J’ai commencé le ski nautique dans les années 70 et j’ai terminé ma carrière dans les années 2000. J’ai commencé très jeune, en effet, j’ai été champion du monde pour la première fois à l’âge de 15 ans. Durant mon enfance, j’ai suivi un cursus scolaire tout à fait normal, il n’y avait pas de sport étude à mon époque. À 20 ans, on m’a proposé un contrat qui me permettait de m’insérer professionnellement tout en continuant la pratique de mon sport. J’ai d’abord travaillé à la Banque de France, j’ai ensuite changé de secteur depuis.

Comment avez-vous découvert le ski nautique?

Des rencontres, surtout celles de mon père. En 1962, il est parti en voyage de noces avec ma maman sur la côte d’azur au Lavandou, et sur la plage ils ont vu passer un bateau avec quelqu’un sur l’eau qui était tracté derrière. Il s’est tout de suite dit qu’il faudrait essayer cela. Il a demandé à en faire sur la plage et a adoré. Il a alors demandé à ma grand-mère d’acheter un petit bateau pour pratiquer. C’est vite devenu le sport familial du week-end. Mon père s’est pris d’affection pour ce sport, si bien qu’il s’était renseigné sur les championnats de France en 1972 de ski nautique en Normandie. Il s’est aperçu que dans ma catégorie d’âge, il n’y avait pas de skieur. Il a tout de suite essayé de m’intégrer à cela. Fin 1972, j’ai réalisé ma première compétition. Comme quoi, parfois partir en vacances vous amène à devenir un champion.

Quel est votre plus beau souvenir sportif ?

Je pourrais vous dire mes titres de champion du monde, notamment le premier et le dernier. Les deux que j’ai eu en France ont une saveur particulière aussi car j’ai pu être suivi par mes proches. Mais pour moi, mon meilleur souvenir sportif c’est les rencontres, c’est un peu particulier mais c’est notamment ma rencontre avec le Pape Jean Paul 2 en 1979. Je l’ai rencontré à Castel Gandolfo, la résidence estivale du pape. Je l’ai revu plusieurs fois après. Tout le monde n’a pas la chance de le rencontrer et de baiser l’anneau papal. Sans le ski nautique, je n’aurais jamais vécu de moment comme ceux-là.

En 2008, lors d’une épreuve du Senior Tour, vous faites une chute terrible, pouvez-vous revenir sur cet épisode douloureux ?

En 2008, lors du Senior Tour (compétition pour les + de 35 ans) et alors que je skiais beaucoup moins depuis la fin de ma carrière, je me suis gravement blessé. Est-ce le manque d’entraînement, une baisse de forme physique? J’ai fait une erreur d’appréciation que je n’aurai pas faite en compétition je pense, j’ai fini la course avec beaucoup de mou dans la corde, et au lieu d’attendre que la corde se retende, j’avais peur qu’elle aille dans mon ski. J’ai donc jeté la corde le plus loin possible mais elle s’est rétractée et est venue s’enrouler autour de mon bras. Je me suis cassé le bras, radius, cubitus, luxation de la main. C’était assez grave, beaucoup de muscles étaient sectionnés, hachés. Ils ont pensé à m’amputer, heureusement que mon épouse était là. Elle leur a dit « vous refermez comme vous voulez mais je ne prends pas la décision ». Maintenant cela va mieux, je n’ai pas toutes les fonctions mais je ne me plains pas. C’est aussi la force du sportif, savoir s’adapter.

Que pensez-vous de la difficulté pour le ski nautique à tendre vers un statut professionnel? Avez-vous dû mener une double carrière en parallèle du sport, pour vivre décemment ?

Il y a très peu de sports professionnels, il y en a quelques uns surtout dans les sports collectifs mais rapidement on se rend compte qu’être professionnel dans le sport, c’est avoir un salaire comme monsieur « toutlemonde». Dans les sports individuels, il y en a encore moins. Certes il y a les plus connus, que l’on voit aux Jeux Olympiques mais beaucoup de disciplines payent encore très mal comme la lutte ou l’escalade. Cela faisait partie des choses que je mettais en avant dans mon programme à la présidence du CNOSF. Un statut, une protection pour les sportifs professionnels dans les sports collectifs, c’est bien mais il ne faut pas oublier toutes ces disciplines parallèles. Pour ma part comme je disais précédemment, j’ai eu la chance d’avoir une convention d’insertion professionnelle dès 20 ans mais cela m’a obligé d’une certaine manière à changer mes objectifs de vie. A l’époque j’avais commencé des études de médecine, mais rapidement j’ai été confronté à cet ultimatum : les études ou le sport. Il y avait un championnat du monde en France l’année d’après, j’avais envie de m’investir dans le sport. J’ai essayé de rentrer en Kiné également mais il n’y avait pas non plus d’aménagements possibles pour les sportifs à l’époque. Je me suis retrouvé à travailler à la Banque de France, rien à voir avec mon projet initial. Ce double projet que l’on connaît aujourd’hui entre le sport et la vie professionnelle est très important. Il faut savoir s’adapter au besoin et à ce qu’on nous propose. Il faut préparer au plus tôt ce projet, c’est important. J’ai pour ma part commencé dans le secteur bancaire et j’y suis resté pendant 20 ans, aujourd’hui je ne suis plus du tout là dedans. Le modèle économique des sports individuels est à revoir complètement. Il faut s’assurer que les sportifs individuels aient un autre projet que le sport, ce sont ces disciplines où on obtient le plus de médailles aux Jeux Olympiques. Il y a du travail à faire à ce niveau là.

Que penser de l’absence du ski nautique, wakeboard aux JO 2024?

Le Ski Nautique a été « sport de démonstration » en 1972, malheureusement celui-ci n’a pas réussi à convaincre. Notre discipline n’était pas prête à l’époque, pas assez mature pour intégrer les JO. Il faut savoir qu’aux JO, depuis leur rénovation en 1896, il n’ y a que 4 sports qui ont toujours été au programme. Cela montre qu’il y a une rotation des sports aux Jeux Olympiques. Le tennis est entré puis sorti puis est revenu aux JO, de même avec le rugby, le golf. D’autres sports historiques risquent de sortir des jeux. Ce n’est pas qu’ils ne sont plus dans la tendance mais il y a d’autres nouvelles formes. L’évolution aujourd’hui est davantage liée à la durabilité, au côté écologique du sport. Il faut être en lien avec « l’agenda 2020 +5 ». Ce sera donc difficile pour le ski nautique de rentrer. Nous avons candidaté avec le Wakeboard Câble pour 2024 et ce n’est pas passé mais on retentera car cette discipline remplit tous les critères recherchés par le CIO : sport dynamique, spectaculaire, télégénique, qui intéresse les nouvelles génération, qui est 100% mixte et durable car fonctionne à l’électricité. En tout cas on travaille sur cela. On espère que pour les Jeux de Los Angeles, beaucoup de sports type « américain » vont vouloir rentrer aux JO. Si ce n’est pas en 2028, il y aura toujours 2032 à Brisbane où la discipline est en train de se développer considérablement. 

Vous avez décidé de vous engager assez tôt dans la Fédération Française de Ski nautique et Wakeboard (FFSNW). Pourquoi?

Au départ, on ne sait pas pourquoi on s’engage. L’envie, la volonté, le souhait de défendre les athlètes de haut niveau, notre statut, notre vision, notre présence. Je pense que les jeunes athlètes le font aussi aujourd’hui. La défense des athlètes et la promotion de la discipline, voilà les deux raisons de mon engagement. Je suis parti après ma carrière en 2001, j’ai découvert d’autres choses comme l’entreprenariat. Voyant que certaines choses n’évoluaient pas dans mon sport, j’ai voulu faire bouger les choses en 2009.

Ancien vice-président du CNOSF, vous aviez décidé de candidater au poste de président, quelles sont les raisons qui vous ont poussé à cela?

Plusieurs. Premièrement, j’étais engagé dans le sport depuis très longtemps, j’ai une vision assez large en tant qu’athlète, en tant que dirigeant et même comme entraîneur. J’ai aussi travaillé pour une collectivité territoriale et on sait que les collectivités sont les premiers investisseurs du sport en France. Il y a cette vision à 360 °. Puis ma vision, que j’ai en tant que membre du Conseil d’Administration du CNOSF d’abord puis comme vice-président pendant 4 ans ensuite. Il y avait des choses à faire évoluer, il fallait transformer le modèle économique sportif. La crise, l’uberisation de la pratique que l’on sentait venir m’ont amené à considérer qu’il fallait apporter d’autres réponses et répondre aux besoins des pratiquants de ces sportifs qui ne sont pas nécessairement engagés mais qui ont besoin du sport dans leur vie personnelle.

Quels étaient les 5 piliers de votre programme ?

5 piliers, 25 propositions, 100 actions. L’idée était de transformer le sport en profondeur pour le préparer aux enjeux de demain.

Le premier est la gouvernance avec la modernisation du CNOSF.

Le deuxième est la représentativité, défendre les intérêts du mouvement sportif.

Le troisième est l’accessibilité, renforcer l’accès à la pratique notamment avec des rencontres de l’équipe de France partout en France, contribuer à la distribution des 30 minutes de sport par jour de manière plus large.

Le quatrième est la coopération, une vision commune pour le sport en développant notamment la mutualisation au service des membres.

Enfin, le cinquième et dernier axe est l’excellence. Tout est fait dans l’objectif d’obtenir des résultats, de performer, de faire rayonner la France.

Que pensez-vous du fait que seulement 17 fédérations sportives en France sur 108 sont dirigées par des femmes ? Comment faire bouger les choses?

18 désormais avec la Fédération Française de Ski. Il faut savoir que les femmes il y en a de plus en plus dans les postes clés des Fédérations. On voit que cela se développe mais encore trop doucement. Dans mon programme, justement je parlais d’encourager la féminisation du sport en favorisant l’accompagnement. Il y a aussi des limites que certaines femmes se mettent. Il faut continuer, inciter les femmes à s’engager, avoir des partages d’expériences et des parrainages pour que s’assurer demain que les femmes engagées localement puissent rentrer dans des instances régionales, nationales. On sait que cette évolution ne peut pas se faire du jour au lendemain, cela avance. Pourquoi ne pas envisager un binôme féminin masculin à la présidence des fédérations ? Il y a pleins de choses à travailler là-dessus et notamment la médiatisation du sport féminin. Nous étions à 18 % du taux de médiatisation sport féminin il y a 2 ans contre 7% en 2012. Travaillons ensemble sur la promotion du sport féminin et sur l’inclusion de femmes aux postes clés dans les structures sportives. 

La pandémie a modifié les pratiques sportives, avec notamment le développement du sport à la maison via des plateformes en ligne. À quoi ressemblera le sport de demain ?

Le sport de demain comme on le connaît, il existera toujours mais il évolue bien sûr comme la société. On a un sport qu’on appelle fédéré, organisé au travers des fédérations, et un sport non fédéré avec l’uberisation du sport. Différents réseaux ont révélé une réelle évolution de ce type de sport. Cela s’est encore accentué avec la pandémie. Dans mon programme, je parlais du mouvement sportif qui passait dans une ère 3.0, pour favoriser les relations entre les pratiquants et entre les clubs et prévoir une application qui permettait une interaction entre les sportifs. De même, avec le développement de l’Esport, on voit que le sport est en train de muter. 

Vous dites utilisé le sport comme « vecteur de positivité dans l’action quotidienne », qu’entendez-vous par là?

Ce que je veux dire par là c’est que le sport est une école de la vie, le sport c’est la santé, c’est l’émulation, la stimulation. C’est aussi une culture humaine, un développement de l’être humain. Le sport crée aussi du bien être et favorise le lien social. 

Crédit photo : Le Parisien

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