La bicatégorisation a toujours été ancrée dans nos mœurs. Aujourd’hui, la voix donnée aux personnes transgenres révèle la caducité de cette dichotomie, notamment dans le sport. L’inclusion des personnes transgenres dans le sport soulève des questions d’équité sportive, eu égard principalement aux disparités entre les hommes et les femmes concernant le taux de testostérone. Bon nombre de fédérations sportives internationales se sont saisies de la question et d’autres comme la FIFA sont jusqu’à ce jour restées muettes. Plusieurs choix s’offrent à elle : le statu quo, l’inclusion des athlètes transgenres, la création d’une catégorie spéciale.
Ci-après, un panorama de la position des différentes fédérations sportives :
La Fédération Internationale de Natation a créé une “catégorie ouverte” composée des sportifs et sportives transgenres. Cette mesure est venue à la suite de la performance de Lia Thomas, première nageuse transgenre devenue championne universitaire sur le 500 yards. Le titre remporté par la nageuse américaine a suscité de nombreuses réactions de la part de ses détracteurs, arguant qu’elle ne bénéficiait pas des mêmes capacités physiologiques que les autres nageuses.
La Fédération Française de Rugby a fait le choix de l’inclusion, devenant la première fédération française à inclure les athlètes transgenres. Les transgenres réassignées physiquement et dont la transition est reconnue administrativement peuvent concourir à toutes les compétitions organisées sous l’égide de la Fédération Française de Rugby (FFR). Cette décision, impulsée par la commission anti-discriminations et égalité de traitement, a été prise afin que la pratique du rugby soit en “cohérence avec la vie que l’on a choisie, et non celle nous a été assignée”. Les femmes trans n’ayant pas subi d’opération chirurgicale doivent suivre un traitement hormonal pendant 12 mois minimum et présenter un taux de testostérone inférieur à 5 nanomole/litre pour concourir. Les hommes trans ne sont pas soumis à cette réglementation. Une commission s’assurera dans un délai de deux mois que le gabarit de chaque athlète soit inférieur à la norme médiane. La décision de la FFR est en rupture avec les recommandations de la Fédération Internationale de Rugby, qui recommandait une exclusion des joueuses trans de toutes les compétitions élite et internationales féminines. L’instance dirigeante relève l’importance cruciale au haut niveau de “la taille, la force, la puissance et la vitesse” mais encourage les fédérations à faire preuve de flexibilité au niveau amateur.
Le conseil de World Athletics, Fédération Internationale d’Athlétisme, a décidé le 23 mars dernier d’exclure des compétitions féminines internationales les athlètes transgenres qui ont connu une puberté masculine, peu importe le taux de testostérone. En effet, l’ancien règlement en vigueur imposait aux athlètes souhaitant concourir dans la catégorie féminine de maintenir un taux de testostérone inférieur 5 nmol/L pendant un an. Sebastien Coe, le président de la Fédération Internationale d’Athlétisme n’est pas enclin à inclure les athlètes transgenres participant aux compétitions féminines pour selon lui “protéger l’intégrité du sport féminin”.
La Fédération Internationale d’Athlétisme avait déjà dû, il y a quelques années de cela, se pencher sur une question voisine : l’inclusion ou non des sportives avec de l’hyperandrogénie à travers le cas de la championne sud-africaine Caster Semenya. L’hyperandrogénie correspond à une présence excessive d’androgènes (hormones sexuelles masculines) circulants dans le sang chez une femme. La Fédération Internationale d’Athlétisme a instauré un taux maximal de testostérone (5 nmol/L de sang). Au-delà de ce taux, sont interdites de concourir les participantes aux épreuves allant du 400 mètres au mile (1609 mètres), dont Caster Semenya, coureuse de 800 mètres. Caster Semenya a contesté cette réglementation qui, selon elle, l’oblige à subir des traitements médicaux pouvant comporter des effets secondaires notables. Des athlètes ayant accepté de suivre des traitements hormonaux ont eu des troubles de l’équilibre, un développement de maladies des os, une fatigue constante, ou encore une infertilité. Si tel est le cas, il est critiquable que l’équité sportive soit disant altérée prenne le pas sur la santé des athlètes. Le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) valide la réglementation, position confirmée ensuite par la Cour Suprême Suisse au nom de l’équité sportive”. L’athlète à décidé de porter l’affaire devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Elle se plaint entre autres d’une atteinte au droit au respect de la vie privée et à l’interdiction de la discrimination, droits respectivement protégés par l’article 8 et 14 de la CESDH (Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales). Quoi qu’il en soit, la Cour de Strasbourg devra décider si une violation d’un des droits invoqués est légalement justifiable. Concernant l’article 8, toute violation doit être fondée sur une règle de droit interne. Sauf qu’ici, la Suisse devra soutenir la conventionnalité d’une réglementation édictée par World Athletics, personne morale de droit privé implantée à Monaco. La Suisse sera chargée de prouver que la réglementation est proportionnée à un but légitime poursuivi et qu’elle est nécessaire dans une société démocratique pour atteindre ce but. Il est possible d’émettre un doute sur l’existence d’un “besoin social impérieux” si celui-ci n’est que la préservation d’une “équité sportive”. A contrario, ce besoin existait bien pour les règles antidopage portant sur la localisation des athlètes. La CEDH a affirmé la conventionnalité de ces dispositions puisque la suppression de celles-ci “conduirait à accroître les dangers du dopage pour la santé des sportifs et celle de toute la communauté sportive”.
Néanmoins, la sécurité dans la pratique du sport pourrait constituer un besoin social impérieux à explorer dans certaines disciplines sportives.
En effet, dans les sports de contact, il est possible que l’inclusion des athlètes transgenres s’avère dangereuse en raison des différences potentielles de gabarits. Assurément, il est probable que les femmes trans (nées hommes) aient un plus grand gabarit que les femmes cisgenres, faisant courir un risque de blessure plus important aux femmes cisgenres en cas de choc. Il est aussi probable que les hommes trans (nés femmes) aient un gabarit plus petit que les hommes cisgenres, faisant donc courir un risque de blessure plus important aux hommes trans en cas de choc. C’est évidemment le cas dans les sports de combat et dans les sports où le contact a une place importante voire cruciale, comme le rugby, le handball ou encore le football. En athlétisme ou en natation par exemple, aucune discipline n’est censée comporter des contacts, donc le risque de choc est ici infime.
En tout état de cause, nul doute que la décision de la CEDH dans l’affaire Caster Semenya aura un impact considérable sur l’appréciation de la légalité des réglementations en matière de genrisme dans le sport, et même au-delà. Affaire à suivre donc…
Disclaimer : Jurisportiva n’est en aucun cas responsable des opinions formulées par l’auteur de l’article.
Sources :
https://www.world.rugby/the-game/player-welfare/guidelines/transgender
https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFCOM/COMMUNICATEDCASES/2021/CEDH001-210174