La Super League Européenne : Décryptage

par | 21, Avr, 2021

Ce dimanche 18 avril 2021, 12 dirigeants de clubs européens ont fait paraître un communiqué de presse qui a eu l’effet d’une bombe dans le football mondial : l’European Super League (ESL) est prête à être créée. Le Real Madrid CF, la Juventus FC, Manchester United FC, Manchester City FC, le FC Barcelone, l’Atletico Madrid, Chelsea FC, Arsenal FC, Tottenham Hotspurs FC, Liverpool FC, l’Inter Milan et l’AC Milan se sont entendus pour créer cette nouvelle compétition. Ce projet n’est pourtant pas né sur un coup de tête de ces 12 dirigeants, mais conclut un long processus autour de cette question et permet surtout de mettre en avant les différents maux du football moderne.

La genèse d’une envie de révolution

Ce projet est une réminiscence d’une volonté née à la fin des années 1990 avec le projet de Media Partners. Déjà à l’époque, les manquements de l’UEFA dans sa gestion du football à l’échelle européenne sont pointés du doigt. La société italienne souhaite créer une compétition semi fermée où le vainqueur toucherait un pactole déjà plus important que le vainqueur de la Ligue des Champions à l’époque. La réaction de l’UEFA a été la même qu’aujourd’hui : une menace de suspension d’équipe nationale pour quiconque jouerait une minute de cette compétition. Malgré tout, l’UEFA a réformé ses compétitions en étendant la Ligue des Champions aux troisièmes et quatrièmes des grands championnats, et en supprimant la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe. Cette réforme est acceptée par les frondeurs de l’époque et le projet de Super League disparaît.

Cependant, c’était sans compter la pugnacité de Florentino Pérez en 2009, président du Real Madrid, lequel déclarait : « Nous devons convenir d’une nouvelle Super League européenne qui garantit que les meilleurs jouent toujours les meilleurs, ce qui ne se produit pas en Ligue des champions ». Dès lors, les rumeurs vont bon train, jusqu’au communiqué de ce 18 avril 2021. Le projet présenté par The Super League, financé par la banque JP Morgan, fait état de la présence de 12 membres fondateurs, 3 autres clubs fixes dont l’identité est encore inconnue pour le moment et 5 clubs qui changeront de manière régulière dans des conditions restant à déterminer. Outre le projet sportif sujet à de nombreuses interrogations, c’est aussi la philosophie même du projet qui suscite les passions et qui fait réagir l’entièreté de la planète football. 

Malgré cela, il est important de s’interroger sur le pourquoi de ces frondes afin de tenter de comprendre comment le football en est arrivé là : est-ce seulement une volonté de gagner plus d’argent ? Ou y a-t-il un souhait pour les clubs frondeurs de voir le football autrement, en dehors du prisme de l’UEFA ?

Quelle est la nature de cette fronde : révolution ou volonté de faire réagir l’UEFA ?

« Le jour où le football a arrêté d’être football et est devenu du soccer ». Les mots du défenseur du Zénith Saint-Pétersbourg Dejan Lovren, ancien joueur du Liverpool FC, sont symptomatiques du ressenti du monde du football. L’américanisation du football semble être le mal porté par ces douze dirigeants de club. À une époque où les montants des transferts atteignent des niveaux jamais atteints, où les investissements dans le football sont exponentiels, comment faire pour gagner encore plus d’argent ? Le modèle américain basé sur la NBA, la NFL ou encore la jeune MLS semble constituer un véritable eldorado pour les fondateurs de l’ESL. 

À l’image du projet de 1998, la Super League de 2021 tombe à point nommé à un moment où l’immobilisme de l’UEFA est plus que dénoncé. D’ailleurs, le timing de parution du communiqué n’est pas dû au hasard : la veille de l’annonce par l’UEFA d’une profonde réforme de la compétition reine des clubs pour 2024 avec, notamment, une augmentation du nombre des matches et une disparition de la phase de poules laissant la place à 9 rencontres qualificatives, plus propices à des rencontres entre les cadors européens. 

Juridiquement, l’aboutissement d’un projet de Super League ne semble pas aussi rapide que ce que ses créateurs semblent affirmer, et cela pour plusieurs raisons. En effet : Maître Loïc Alvarez nous explique “qu’il existe de nombreuses conséquences et problématiques juridiques à traiter, dont certaines encore méconnues en raison du manque de recul vis à vis de cette annonce, de sorte que le chantier de l’ESL semble difficilement surmontable en peu de temps”.

À l’aune des différentes déclarations des dirigeants politiques, comme celle du ministre britannique des Sports Oliver Dowden qui souhaite faire « tout son possible » pour empêcher la création de l’ESL, ou encore Roxana Maracineanu qui évoque un « club VIP de quelques puissants », cette uniformité ne semble pas être atteinte dans un futur proche. De plus, un projet aussi controversé que celui-ci fera, sans aucun doute, l’objet d’une montagne de recours judiciaires nationaux et européens. 

Dans cette nouvelle guerre entre The Super League et l’UEFA, la donne semble être différente de la fin des années 1990 dans le sens où même la réforme a été rejetée. Les déclarations d’Alexandra Ceferin du 19 avril ont été dans le sens d’une véritable velléité de l’instance vis-à-vis de ce projet. Les menaces de l’UEFA semblent être prêtes à être mises en œuvre, reste à connaître de la légalité de ce processus d’exclusion systématique des joueurs des sélections …

Maître Gautier Kertudo s’exprime « Il convient de modérer ces menaces et de considérer qu’elles feront également l’objet d’un long feuilleton judiciaire. Il faut rappeler que l’Union européenne dans une affaire concernant le patinage de Vitesse a confirmé l’interdiction de menacer de sanctionner des patineurs qui souhaitaient participer à une compétition “privée” différente du « circuit officiel » ».

Les conséquences sur le futur du football

« La Super Ligue de foot va accentuer les déséquilibres financiers ». L’analyse de Christophe Lepetit est tristement véridique. En effet, le projet semble beau, laisse rêveur, et les fondateurs de l’ESL ont tenu à le souligner dans leurs diverses déclarations : extension de cette ESL pour le football féminin, volonté de redistribuer la manne financière générée par les droits de retransmission, sont autant de projets portés par l’ESL.

Le New York Times évoque des montants astronomiques : 400 millions de dollars rien qu’en étant participant à la compétition et un total de 3.5 milliards d’euros à se répartir entre les 20 clubs participants (contre environ 2 milliards actuellement pour les 32 équipes participant à la LDC). Bien qu’à prendre avec prudence, ces montants permettent de saisir la direction que souhaitent donner au football ces grands d’Europe. 

La création de l’ESL illustre la manière dont le futur du football semble se dessiner : la conquête des marchés américains et chinois couplée avec l’adéquation à la nouvelle consommation du football des nouvelles générations, basée sur les résumés de matchs et la seule retransmission des  « grosses » affiches.

« Le plaisir des grands matchs, c’est qu’ils n’ont lieu qu’une ou deux fois par an, pas toutes les semaines ». Voilà ce que le monde du football souhaite exprimer aux créateurs de l’ESL, et ainsi sont les mots de Mesut Özil.

Un projet mort-né…

48 heures après l’annonce du lancement de ce nouveau format de compétition et suite aux nombreuses oppositions à la Super League émanant, tant des supporters, des joueurs que de certains clubs, la suspension du projet est officielle (Talksport). En effet, Chelsea s’est retiré ce mardi 20 avril au soir, et l’ensemble des clubs anglais ont suivi le mouvement, conduisant à une réunion avec les dirigeants de l’ESL qui mirent fin à cet épisode qui aurait pu « tuer le football » (Ander Herrera). Toutefois, si le projet est bel et bien suspendu, il semblerait que celui-ci sera modelé. C’est pour sûr, le point de départ d’une révolution dans le football. Affaire à suivre… 

1. (en) – « Real Madrid’s Florentino Perez reveals ‘European Super League’ ambition », The Daily Telegraph, 5 juillet 2009. 

2.  « La Super Ligue de foot va accentuer les déséquilibres financiers », interview de Christophe Lepetit par Julie Renson Miquel, Libération, 19 avril 2021. 

Article rédigé par Amaury Lagarde avec les collaborations de Maître Gautier Kertudo et Maître Loïc Alvarez.

Crédit photo : RMC Sport

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