Jurisportiva vous propose le 2ème volet de la trilogie sur les groupements d’acteurs de l’esport. Après quelques propos introductifs, et afin de mieux comprendre les problématiques du secteur esportif à se mobiliser autour de groupements, nous avons abordé la structuration collective de l’esport américain que nous avons mis en balance avec celle existante à ce jour en France. L’article peut être retrouvé ici. Cette semaine, Victoire Avocats s’attache à présenter la structuration par groupement dans d’autres secteurs. Focus.
I – Regard non-endémique sur la structuration par groupements dans les autres secteurs
Il sera présenté :
- L’exemple des influenceurs et créateurs de contenus (2/a) ;
- L’exemple du sport (2/b).
Il s’agit de deux secteurs professionnalisés qui se sont d’ores et déjà rassemblés autour de groupements collectifs et qui pourraient inspirer l’esport.
A. L’exemple récent de l’UMICC
Courant janvier 2023, de nombreuses agences d’influenceurs se sont réunies afin de trouver un terrain d’entente dans la perspective de leur rencontre avec le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire.
Est alors née l’Union des Métiers de l’Influence et des Créateurs de Contenu (« UMICC »), regroupant pas moins d’une trentaine d’agences, et dont l’origine s’explique entre autres par :
- La volonté de n’avoir qu’une seule voix avec plus de poids, notamment auprès des pouvoirs publics ;
- La défense des intérêts des influenceurs, dont l’image avait été largement écornée par différents scandales dans le courant de l’année 2022.
Comme un symbole de la volonté de structuration de ce secteur, certaines règles ont d’emblée été prévues en vue de valider l’adhésion à l’UMICC et, partant, de crédibiliser sa création. À ce titre, on peut citer :
- L’adhésion à la Charte de Bonne Conduite de l’UMICC ;
- L’acceptation du Règlement Intérieur ;
- La condition de la résidence fiscale française.
La mise en place d’une documentation unique, commune à tous les adhérents, permet incontestablement de constituer un socle juridique commun, indispensable à la bonne administration d’un groupement. Le cas échéant, le secteur de l’esport ne devrait pas faire exception à cette règle.
Cela étant, il convient de noter à ce titre que malgré l’établissement d’un socle commun et la défense d’intérêts à priori convergents, les initiatives de groupement peuvent parfois faire l’objet de dissensions.
L’exemple de la polémique entourant la tribune de l’UMICC initiée en mars 2023, visant à faire pression sur les pouvoirs publics dans le cadre du vote de la loi visant à réguler le secteur de l’influence, est, en ce sens, assez éloquent. Ce n’est pas parce qu’un groupement est mis en place que les acteurs qu’il représente partagent tout à coup les mêmes opinions.
Il est donc essentiel, lors de la rédaction de la documentation juridique du groupement de bien prévoir le processus de décision et les modalités de prévention/sanction lors de dissensions rendues publiques qui pourraient nuire aux intérêts dudit groupement.
Finalement, eu égard aux influenceurs, la Loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux a été promulguée le 9 juin 2023, et publiée au Journal Officiel le lendemain.
Cette loi permet de donner une définition des influenceurs, mais également de leurs agents. De plus, certaines publicités sont dorénavant interdites (chirurgie, médecine esthétique, produits financiers, paris sportifs, etc.), et les abonnés aux influenceurs doivent être prévenus de toute « publicité » ou « collaboration commerciale », avec une indication claire par les influenceurs qu’une publication est promotionnelle et rémunérée.
Compte tenu de tout ce qui précède, il convient de souligner que de nombreux points positifs ont été apportés par la création de l’UMICC.
Cela étant, cet exemple a également montré que la création ad hoc d’un groupement, se structurant en vue du passage imminent d’une loi pour réguler les métiers du secteur, peut apporter son lot de désagréments s’il n’est pas monté suffisamment en amont.
Que faire pour ne pas reproduire de telles erreurs ? – Identifier et catégoriser les modèles et visions afin d’être le plus représentatif possible dans la gouvernance ; – Se structurer relativement tôt, afin d’inclure de nombreuses personnes dans le mouvement et d’obtenir une certaine légitimité au sein du secteur que le groupement est censé représenter ; – Prévoir une procédure de prise de décision qui prend en compte l’avis de tous les concernés (effectuer un acte, donner une certaine direction dans la défense des intérêts du secteur, au détriment d’autres intérêts, etc.) ; – Anticiper les éventuelles dissensions et prévenir d’éventuelles sanctions des adhérents si leurs actions nuisent à l’intérêt collectif ; – Appliquer une transparence complète auprès de ses adhérents au risque de les voir réagir publiquement sur les communications. |
Le milieu sportif, quant à lui, connaît ce modèle d’organisations professionnelles depuis des décennies, notamment à travers les syndicats, très présents dans ce secteur.
B- Un modèle préexistant dans le milieu sportif : l’exemple du football français
Dans le milieu sportif français, et en particulier dans le football, les différents acteurs du domaine ont, concomitamment au développement et à la professionnalisation de leur secteur, eu la volonté de se grouper.
Par suite, de nombreuses institutions sont nées, notamment des syndicats souhaitant représenter les joueurs, pour défendre leurs intérêts, que ce soit vis-à-vis de leurs employeurs (clubs) ou des fédérations délégataires :
- L’UNFP (Union Nationale des Footballeurs Professionnels)
- Créé dès 1961 ;
- Syndicat professionnel représentatif des joueurs
- Sa mission ? « défendre les droits et protéger les intérêts des footballeurs professionnels »[1] :
- FIFPRO (syndicat international des footballeurs)
- Créée en décembre 1965 ;
- Association internationale des footballeurs professionnels et de leurs syndicats nationaux, reconnue par la FIFA ;
- Son objectif ? Rechercher « la défense des intérêts collectifs et individuels des joueurs professionnels » au niveau international ;
- La FIFPRO souhaiterait prendre des mesures telles que notamment celle d’établir un contrat type de joueur international.
- FootUnis (syndicat des employeurs du football français)
- Né de la fusion de Première Ligue et de l’UCPF le 1er juin 2021 ;
- Sa mission ? « la défense des intérêts généraux et particuliers, matériels et moraux des clubs professionnels participant aux championnats de Ligue 1, de Ligue 2, de National et aux championnats de D1 et de D2 féminins » ;
- Conduite du dialogue social et de la négociation des accord sociaux, notamment avec les représentants des syndicats de joueurs professionnels et les instances nationales ou internationales de football (LFP, FFF, FIFA).
Pourquoi ne pas s’inspirer de ces modèles pour les transposer au secteur esportif, que ce soit pour les joueurs ou les clubs ?
Afin de se structurer au mieux, le secteur esportif a donc l’avantage de pouvoir s’inspirer de ce qui préexiste en dehors de son secteur et de tirer le meilleur de ce qui a déjà pu être fait.
Toutefois, la tentation est grande de calquer à l’esport des modèles conçus pour le sport traditionnel par exemple, sans tenir compte de la spécificité de l’esport et de ce qui est transposable ou non.
En France, l’exemple le plus concret de cette tendance a sûrement été la création du CDD spécifique aux joueurs de jeux vidéo professionnels[2], largement inspiré du CDD des sportifs traditionnels du Code du sport, et qui peine encore à convaincre, plus de six ans après sa création.
Aussi, s’il est important d’observer ce qui peut être fait en dehors de l’esport, il est nécessaire pour le secteur d’être conscient de sa propre identité et de ses spécificités afin d’être en mesure d’adapter chaque modèle de structuration en conséquence.
Ainsi se clôt notre deuxième volet de la trilogie sur les groupements d’acteurs de l’esport.
Nous vous retrouvons la semaine prochaine pour étudier, ensemble, quelques propositions de structures collectives possibles pour le secteur de l’esport en France.
Julien LOMBARD – Avocat associé, Créateur du Podcast « Droit à l’Esport »
Manon LEFAS – Avocate collaboratrice
Edouard LUCKEN – Avocat collaborateur
Gwendal MADEC – Alternant juriste
[1] http://www.etranger.unfp.org/presentation/
[2] LOI n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique