« S’il y a bien une chose que j’ai apprise, c’est que la chose la plus importante dans une activité quelle qu’elle soit, c’est le recrutement ». Laurent Martini a une longue carrière dans le sport. À l’UCPA tout d’abord, comme Directeur des Ressources Humaines puis Directeur en tant que Général Adjoint, il a ensuite été le Directeur Général de l’école de voile des Glénans, avant de rejoindre le Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) en tant que Directeur Exécutif. Il est, enfin, arrivé il y a 5 ans au sein du COSMOS (organisation patronale du sport) au poste de Délégué Général. Au cours de cette interview signée Jurisportiva, Laurent présente les intérêts de rejoindre une organisation patronale comme le COSMOS et revient sur l’évolution du marché de l’emploi dans l’industrie du sport. Accroissement du nombre d’emplois dans les années à venir ? Possible saturation du marché post JO 2024 ? Quel bilan du dialogue social en 2023 ? Entretien.
Bonjour Monsieur, pourriez-vous vous présenter dans un premier temps?
Bonjour. Je suis Laurent Martini, j’ai 54 ans et suis notamment Délégué Général du COSMOS (organisation patronale de la branche sport). Cela fera 5 ans en fin d’année que je suis à ce poste. Auparavant, j’ai exercé différentes fonctions. À l’UCPA tout d’abord, (plus grand opérateur français de vacances et de loisir sportifs pour les jeunes) en tant que Directeur des Ressources Humaines et en tant que Directeur Général adjoint. J’ai aussi été Directeur Général de l’école de voile des Glénans et enfin, le Directeur Général du CNOSF (Comité National Olympique et Sportif Français) pour une courte durée.
J’ai plusieurs engagements à côté. Je suis notamment le Président du Paris Saint-Germain Handball Association (la partie amateur qui est devenu plus grand club de handball en France en termes de licenciés). Je suis aussi Secrétaire Général de l’association “Solidarité Sida” qui organise le festival Solidays à Longchamp notamment. Enfin, je suis administrateur de l’association “Premiers de cordée” qui organise des activités sportives aux jeunes en nécessité, en situation de handicap.
Être à la tête d’une organisation patronale dans le sport et président d’un grand club permet d’avoir une approche complète et pragmatique de la situation de l’emploi dans le sport en France.
Vous êtes l’actuel Directeur Général du COSMOS. Pourriez-vous présenter l’institution et expliquer vos principales missions ?
Cela reste toujours obscur en France ce que représente une organisation patronale. La plus connue en hexagone reste le MEDEF. Une organisation patronale fédère un secteur, en l’occurrence celui du sport pour le COSMOS. Nous avons trois collèges d’adhérents, le premier regroupe le sport associatif, les fédérations sportives et leurs organes déconcentrés et les clubs. Il y a également des entreprises sportives comme l’UCPA ou Paris2024. Le deuxième collège est celui du sport professionnel est également représenté au sein du COSMOS au travers d’union de clubs : Foot Unis pour le football, UCPR pour le rugby… les unions de clubs professionnels de sport féminin se développent également preuve de structuration et cela passe par le dialogue social. Le troisième collège regroupe les loisirs sportifs marchands et l’événementiel sportif (gestionnaire d’équipement, salles de sport, circuits automobiles, sport outdoor avec l’UTMB et prochainement l’eSport). Vous l’aurez compris, le COSMOS représente les employeurs du sport dans toute leur diversité.
L’objectif du COSMOS est de représenter ces différents acteurs auprès des pouvoirs publics. On négocie pour le compte de nos adhérents la convention collective du sport. Enfin, on les accompagne au quotidien, puisque tout le monde ne dispose pas d’un département ressources humaines, sur ce qui touche au contrat de travail, au recrutement, à la formation, à la rémunération et globalement à tous les aspects liés aux relations employés-employeurs.
Le COSMOS représente ses adhérents sur l’ensemble des question sociales importantes. On a été en première ligne durant les crises successives pour échanger avec les pouvoirs publics et arriver à des actions concrètes (Covid-19, sobriété énergétique, inflation, lien social et insertion dans les QPV).
Sur 23 000 structures employeuses dans le secteur du sport, 12.000 sont adhérentes au COSMOS. Il s’agit d’une représentation extrêmement forte avec une couverture à plus de 50% de la branche.
Quel est l’intérêt d’adhérer au COSMOS pour les employeurs du sport ?
D’abord, le premier intérêt est de savoir s’ils sont bien représentés, accompagnés et de faire entendre leur voix.
S’ils envie que l’on entende leur voix sur les taux de prévoyance dans vos charges sociales, sur la façon dont on rémunère les salariés, ou sur les diplômes financés dans le cadre de la formation professionnelle, tout cela se décide dans la branche. On est finalement une union de personnes morales qui portons les différents sujets de nos adhérents et négocions pour eux avec les institutions étatiques et avec les partenaires sociaux.
Nous disposons aussi d’une équipe de juristes très expérimentée ce qui permet d’apporter des solutions et des échanges tant aux dirigeants bénévoles de petites associations qu’aux DRH de gros groupes employant plusieurs centaines de personnes.
De même, vous êtes Chief Executive Director d’EASE. Dans les grands traits, à quoi sert cette association et quelles sont vos missions là-bas?
Mes missions sont essentiellement de la direction au sein d’EASE. C’est un réseau européen, créé il y a 20 ans, qui a vocation à générer du dialogue social dans le champ européen et dans le secteur du sport. Il n’y a aujourd’hui pas de dialogue social sectoriel du fait d’un manque de représentativité (pas de représentants des salariés et pas assez de pays représentés chez les employeurs).
Nous avons vocation à représenter les employeurs, à faire du lobby, à porter le dialogue social et des projets au niveau européen. Un autre objectif que nous avons chez EASE, c’est d’agréger le plus de pays au sein de l’association afin de faire peser le sport car nous considérons que le sport, à l’instar de notre pays, n’est pas toujours considéré comme il devrait l’être dans le cadre des politiques publiques et comme secteur économique à part entière.
Quels sont les sujets brûlants au COSMOS et au sein d’EASE en ce moment ?
Pour EASE, c’est la Charte Sociale européenne pour les Evénements Sportifs. Ce projet vise à créer une Charte sociale adaptée au public le plus large possible parmi les organisateurs d’événements sportifs. Cette Charte sociale, qui s’inspire du travail réalisé par les GESI français, se veut un document de référence en matière de politiques sociales dans le secteur du sport dans l’Union européenne.
Ce projet réunit de nombreux acteurs internationaux. L’objectif est désormais de livrer ce projet de charte, faire en sorte que les pouvoirs publics et la Commission Européenne s’en empare et peut être qu’il y a un modèle demain, que cela soit en Slovénie, en Italie, au Portugal ou aux Pays-Bas, où les normes sociales se rapprocheront pour éviter les abus en droit du travail afin qu’il n’y ait aucune rupture d’équité entre employés et employeurs.
Concernant le COSMOS, 2 sujets animent actuellement le dialogue social dans la branche : d’abord les salaires, on ne peut être des patrons responsables si on ne se préoccupe pas des salaires. Depuis l’année dernière, il y a une attention particulière sur la rémunération, notamment en raison des différentes crises traversées par les Français : le Covid, la crise de l’énergie, l’inflation, les taux d’intérêts… L’attention va dans 3 sens, il ne faut pas que cela soit trop haut sinon les entreprises ne peuvent pas suivre, il ne faut pas que ce soit trop bas sinon ils ne peuvent recruter et surtout il faut que ce soit un peu lisible dans le temps (notamment en raison de l’augmentation fréquente du SMIC).
Le deuxième point : ce sont les régimes de prévoyances qui commencent à se compliquer dans le sport car comme tous les autres, il y a une convention collective qui date d’il y a 15 ans, il y a beaucoup d’arrêts maladies longue durée, de burn-out, et là on se rend compte que la prévoyance est importante. Tout le monde s’interroge aujourd’hui sur comment améliorer le bien-être en entreprise et faire en sorte que plus de gens se sentent bien. Il faut que collectivement qu’on se préoccupe de cette question et que l’on se demande comment améliorer notre promesse employeur à l’avenir ?
Ces deux questions sont d’importance en ce moment, et j’imagine qu’après les JOP 2024, il faudra également faire en sorte d’accompagner nos anciens collègues pour qu’ils retrouvent du travail.
Que peut-on retenir de l’année 2023 en termes de dialogue social pour le sport ?
Je rajouterai à mes propos que la branche sport s’est mobilisée, aussi bien syndicats salariés que syndicats employeurs, avec le concours des pouvoirs publics pour garantir les financements de la formation professionnelle dans le sport. Il y a une réelle prise de conscience sur l’accompagnement des jeunes en termes de formation professionnelle dans le sport. Des fonds ont été mobilisés par l’Etat, y compris sur le CPF et le FNE Formation, pour qu’il y ait de l’argent pour former les jeunes à l’aube des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024, afin que chaque personne qui intégrera un brevet professionnel ou un diplôme du sport, bénéficie d’un financement. C’est une vraie avancée de 2023 pour les jeunes et le sport.
Si Paris 2024 est une excellente opportunité pour de nombreux emplois dans le sport, ne pensez-vous pas que le post JOP de Paris sera un véritable tsunami sur le marché du travail dans le secteur du sport-business avec des milliers de posts qui seront supprimés et donc de nombreuses personnes qui vont chercher un travail à cette période dans ce microcosme qu’est le sport? Autrement dit : le marché du travail dans l’industrie du sport business va-t-il être quelque peu bouché?
C’est compliqué à dire. Il y a des chances effectivement. Et en même temps, il y a un tel développement et une appétence des français pour occuper leur temps libre, une telle volonté de développer le sport loisir des différents acteurs, un tel besoin de lien social et un besoin d’expérience dans les clubs qui se professionnalisent de plus en plus, que cela n’est pas si évident à prévoir.
Par ailleurs, notre pays n’a jamais été aussi proche du plein emploi et on se rend compte qu’y compris dans les structures sportives, on a pourtant du mal à recruter. Il y aura vraisemblablement à l’issue de ces grands évènements sportifs, des gens qualifiés et compétents sur le marché du travail. L’objectif sera de bien les flécher et les orienter. Par ailleurs, il y a ce travail aujourd’hui de revoir le business modèle des clubs sportifs, s’appuyer plus sur des ressources endogènes et être moins dépendants de l’État et des collectivités, pour ce faire on a besoin de personnes responsables du développement.
Nous sommes donc en train d’y réfléchir avec nos adhérents. C’est une des missions que je conduis également en tant qu’administrateur de Sporsora. Mais je suis confiant pour les raisons que je viens d’évoquer, sans oublier la liaison entre sport et tourisme qui se développe (nous sommes tout de même la première destination touristique au monde).
Le monde du sport représente un potentiel de 448 000 emplois en France. Pour les seuls Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, l’impact économique est estimé entre 5,3 et 10,7 milliards d’euros. Comment qualifieriez-vous le marché du travail dans l’industrie du sport? Est-ce un marché porteur ? Peut-on s’attendre à un accroissement de l’emploi dans les années à venir?
Le sport est enfin reconnu comme une filière économique à part entière. On va enfin avoir un rapport de branche annuel (le dernier date de 2018 avec des chiffres de 2014) qui vient mesurer chaque année le niveau d’emploi, les turnovers, le nombre d’entreprise évoluant de ce secteurs… Ce sont des chiffres dont nous avons grandement besoin dans le sport.
Aussi, le Ministère travaille enfin sur la création d’un Observatoire National du Sport afin d’avoir un suivi statistique un peu précis. On manque cruellement de datas dans le sport.
Enfin, la France vieillit, il y a davantage de temps libre, il y a un souhait de revitalisation des territoires, et d’amélioration de la santé des français et du développement de la pratique sportive par l’État, que les jeunes soient moins sédentaires, qu’il y ait encore plus de tourisme en France, sans oublier l’esport qui arrive à pleine allure. Pour toutes ces raisons-là, je crois que l’emploi sportif qui croît de 3% par an a de l’avenir devant lui. Partout, dans le secteur du sport, il y a des axes de croissance. Je suis confiant.
Pour terminer, que pensez-vous de l’évolution des processus de recrutement dans l’industrie du sport en France avec notamment l’émergence du métier de chasseur de tête ?
J’ai été DRH à l’UCPA qui emploie 13.000 personnes différentes. S’il y a bien une chose que j’ai appris, c’est que la chose la plus importante dans une activité quelle qu’elle soit, c’est le recrutement. Il est nécessaire d’avoir la bonne personne au bon endroit. Il faut donc passer du temps au recrutement. Le secteur du sport se professionnalisant, ne soyons pas surpris de faire appel à des cabinets de recrutement. Je trouve très bien que nos adhérents se fassent accompagner par des cabinets spécialisés dans le recrutement. On a besoin plus que jamais de vraies compétences et recruter la personne au bon endroit, cela nécessite un véritable savoir-faire. C’est une preuve de plus de la maturation de la branche du sport. Il est indéniable que la question du recrutement fait partie des principaux défis du sport français. Le sport, qui était en retard sur la culture, se rattrape.